Pierre Vidal-Naquet à Lyon

Ce lundi 25 février, à l’INSA (Institut national des sciences appliquées) de Lyon-Villeurbanne, Pierre Vidal-Naquet, historien de la Grèce antique et officier de la légion d’honneur, prononcera une conférence, organisée par la Maison d’Izieu, sur «La pseudo-science des négationnistes». L’hebdomadaire Lyon capitale lui consacre un « portrait », accompagné de propos recueillis par Raphaël Ruffier (20-26 février, p. 13).

Ceux qu’il blâme et ceux qu’il loue

Dans ses propos, P. Vidal-Naquet s’en prend d’abord, au sujet de Jean Moulin, à Thierry Wolton auquel il a consacré un écrit dont le but, nous confie-t-il en propres termes, « était de “tuer” intellectuellement Thierry Wolton ».

Puis, il exprime son aversion pour les révisionnistes, qu’il appelle des «négationnistes». À ses yeux, tous ces gens, en particulier Faurisson, ne sont que des « assassins de la mémoire » et des « fous », définitivement « fous ».

Pour P. Vidal-Naquet, Jean-Paul Allard est un méprisable « complice des faussaires de l’histoire », qui a présidé un jury de thèse (celle d’Henri Roques sur Kurt Gerstein) «alors qu’il ne connaissait rien au problème». P. Vidal-Naquet se vante d’avoir envoyé à J.-P. Allard (traqué tel le cerf dans l’hallali) une missive portant : « La question qui se pose, c’est de savoir si vous êtes plus lâche que bête ou plus bête que lâche ».

À propos de l’africaniste Bernard Lugan, il déclare : « Les spécialistes de l’Afrique disent que ses ouvrages sont nuls, ça, je ne suis pas capable d’en juger ». Et d’ajouter : « Entre autres exploits, [B. Lugan] a déplacé le lieu de la victoire de Charles Martel ».

Au sujet de Jean Haudry, P. Vidal-Naquet affirme : « Le fait qu’il reçoive l’éméritat montre qu’il y a toujours un noyau fasciste à l’intérieur de Lyon III », université qui, à l’entendre, ressemblerait beaucoup à « un repaire de nazis ».

Il avance que, dans un récent passé, le président Goudet et « les autres » étaient des gens d’extrême droite. Il en appelle à l’épuration de Lyon III :

Il faut faire en sorte que Lyon III soit peuplée de gens honnêtes. Pour l’instant, il n’y a pas que des gens honnêtes. Ni Haudry, ni Lugan, ni Allard ne sont honnêtes intellectuellement. Et jusqu’à présent la direction [lisons : le président Gilles Guyot] les a protégés.

Pour mener à bien cette épuration, P. Vidal-Naquet accorde sa confiance à l’Association Hippocampe, gardienne de la Mémoire. Il accorde également sa totale confiance à Henry Rousso, que Jack Lang vient de nommer à la tête d’une commission spéciale chargée de faire la lumière sur le racisme et le «négationnisme» au sein de l’université Lyon III et dans l’environnement lyonnais. Pour ladite association, P. Vidal-Naquet nourrit « la plus grande estime ». Quant à H. Rousso, il assure qu’il le voit « comme un homme parfaitement sérieux et honorable ».

Une conférence pour rien ?

Le journaliste de Lyon capitale lui demande si ce n’était pas « pour répondre au négationnisme de Faurisson » qu’il avait, en 1987, publié un livre intitulé : Les Assassins de la mémoire. P. Vidal-Naquet rectifie : « Pas pour répondre aux négationnistes mais pour démonter leur discours. Montrer qu’il ne repose sur rien ». Et d’ajouter cette surprenante réflexion : « Aujourd’hui, cela ne vaut plus la peine : il y a une masse gigantesque d’études historiques qui ont été publiées depuis, notamment en Allemagne ». Le propos étonne de la part d’un homme qui s’apprête à prononcer une conférence sur « La pseudo-science des négationnistes ». Le titre de la conférence ne donne-t-il pas à entendre que le professeur Vidal-Naquet va, devant son auditoire, précisément « démonter le discours » de ceux qu’il appelle des «négationnistes» ? Ou bien faut-il penser vraiment qu’« aujourd’hui, cela ne vaut plus la peine » ? Sa conférence vaudra-t-elle la peine ?

On se répète mais on ne répond pas

Dans Les Assassins de la mémoire, le spécialiste de la Grèce antique ne faisait essentiellement que reprendre une étude qu’il avait publiée en 1980 sous le titre parlant de « Un Eichmann de papier » (Esprit, septembre 1980, p. 8-56). Je dois confesser que j’étais cet Eichmann-là. L’année suivante, sous le titre non moins parlant de « Un Eichmann de papier. Anatomie d’un mensonge », il reprenait à nouveau son étude dans un livre intitulé Les Juifs, la mémoire et le présent (Petite collection Maspero, 1981, p. 193-289). Bref, notre professeur s’est beaucoup répété sans pour autant, me semble-t-il, trouver de réplique aux arguments que je lui avais opposés, en 1982, dans ma Réponse à Pierre Vidal-Naquet (éditions de la Vieille Taupe). Il est vrai, pour prendre un exemple, qu’à mon argumentation technique d’alors sur la radicale impossibilité physique et chimique de l’existence des chambres à gaz nazies, il m’avait, dès 1979, fait, avec son ami Léon Poliakov et trente-deux universitaires, une réponse qui m’était apparue comme un acte de capitulation ; il avait, en effet, alors écrit :

Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible ; il a été possible techniquement puisqu’il a eu lieu (Le Monde, 21 février 1979, p. 23).

On ne traduit pas mais on trahit

Par la suite, tous les documents qu’il avait cru devoir invoquer afin de prouver l’existence des chambres à gaz nazies et la réalité d’un programme d’extermination physique des juifs s’étaient, à l’analyse, révélés inoffensifs. Si, dans un document allemand apparaissait le mot de « déportation », P. Vidal-Naquet ou ses amis traduisaient ce mot par … « extermination ». Là où les Allemands parlaient d’une «solution finale de la question juive» par l’émigration ou l’expulsion (procès-verbal de la réunion de Berlin-Wannsee, le 20 janvier 1942), on voulait nous faire croire à une solution finale … par l’assassinat organisé. Là où il était question de fours crématoires, on nous donnait à voir … des chambres à gaz d’exécution. Là où figurait en allemand le mot de « désinfection », le traducteur faisait surgir … une exécution par le gaz. Là où un camion à gaz (un gazogène) était dit « spécial », la traduction créait de toutes pièces … un camion spécialement équipé pour tuer des juifs.

On « décode » au lieu de lire

Mes contradicteurs avaient deux façons de déformer le sens des documents originaux. La première, en vogue au procès de Nuremberg, consistait, pour le traducteur, à froidement altérer le sens des mots allemands, sans nous prévenir de la manœuvre. La seconde revenait à nous avertir de la transformation. Pour cela, on nous expliquait qu’il ne convenait pas de prendre les mots allemands au pied de la lettre. Il fallait comprendre que les Nazis ou les SS, soucieux de ne laisser aucune trace de leurs innombrables crimes, avaient fait, dans leurs documents, grand usage d’euphémismes et d’un langage bureaucratique dont seule l’apparence était inoffensive. Heureusement des historiens sagaces étaient parvenus à déchiffrer ce langage et, pour l’édification de lecteurs par trop candides, le traduisaient en conséquence. Ils décodaient. Ils décodaient très fort. Le procédé de ces traducteurs très spéciaux était habile car le lecteur, en pareille circonstance, a toutes chances de se sentir flatté. Il a été mis dans la confidence. On ne la lui fait plus. Il s’imagine avoir compris la duplicité teutonne et les colossales finesses de la bureaucratie allemande. C’est ainsi, par exemple, que le bon lecteur, instruit par ses bons maîtres, croit que, dans la langue allemande du IIIe Reich, administrer un «traitement spécial» doit finement se traduire en français par… « liquider ». Quant aux historiens allemands d’aujourd’hui, dûment « rééduqués » et chapitrés, ils ont acquis le réflexe pavlovien : dans un document datant du IIIe Reich, ils ont appris à ne plus laisser aux mots leur sens normal mais à leur trouver une signification cachée. Maintenant, chez eux, d’instinct, on traduit comme on trahit. Et P. Vidal-Naquet, trop souvent, de leur emboîter le pas et de prendre pour argent comptant le produit de leurs manipulations.

La fausse découverte des télégrammes

On en a un exemple dans son entretien avec le journaliste lyonnais auquel, à propos de ce qu’il appelle la « masse gigantesque d’études historiques qui ont été publiées depuis [les années quatre-vingt], notamment en Allemagne », il ose déclarer :

On a même trouvé des télégrammes intérieurs au Reich, que les Anglais avaient décryptés et dans lesquels est donné le nombre de victimes de Treblinka, Maïdanek ou Belzec… Par exemple on sait maintenant grâce à ces télégrammes qu’il y a eu 700 000 morts à Treblinka.

Le sens commun nous avertit que, si ces télégrammes avaient constitué pour de bon une preuve écrite et irréfutable du génocide des juifs et des chambres à gaz d’exécution de Treblinka, de Majdanek et de Belzec, les médias du monde entier auraient, jour et nuit, claironné la nouvelle tant attendue. Les révisionnistes auraient été enfin invités à la télévision pour s’y voir confondre. Or, rien de tel ne s’est produit.

L’examen des faits confirme que P. Vidal-Naquet nous la baille belle. D’abord, ces télégrammes ont été interceptés et déchiffrés par des spécialistes britanniques il y a environ soixante ans. À l’époque, les informations qu’ils contenaient ont dû être immédiatement évaluées et prises en considération par toutes les parties intéressées: armée, économie, propagande, et partagées avec les Américains. En 1981, tout cela s’est trouvé expliqué dans l’ouvrage de F. H. Hinsley, British Intelligence in the Second World War / Its Influence on Strategy and Operations, volume deux, HMSO, Londres. Soit dit en passant, on découvre, à la page 673 du livre en question, la phrase suivante : « There were no references in the decrypts to gassing » (Dans les pièces déchiffrées il n’a pas été fait mention de gazage).

Errements de deux amateurs

En 2001, deux auteurs, l’Allemand Peter Witte et le Britannique Stephen Tyas, commerçant de son état, ont prétendu, comme tant d’autres, qu’ils venaient d’exhumer un «nouveau document» (sic) alors qu’il s’agissait d’une pièce depuis longtemps connue. Leur étude est parue dans le périodique Holocaust and Genocide Studies (vol. 15, numéro 3 [hiver 2001], p. 468-486) sous le titre : « A New Document on the Deportation and Murder of Jews during “Einsatz Reinhardt” 1942 » (Un nouveau document sur la déportation et l’assassinat des juifs durant l’«action Reinhardt» de 1942). P. Witte en a publié un résumé en allemand dans l’hebdomadaire Die Zeit du 10 janvier 2002 sous le titre : « “… zusammen 1 274 166”. Der Funkspruch des SS-Sturmbannführers Hermann Höfle liefert ein Schlüsseldokument des Holocaust » (« … au total 1 274 166 [juifs assassinés] ». Le radio-télégramme du commandant SS Hermann Höfle livre un document-clé de l’Holocauste). Dès le début de leur étude, les auteurs sont contraints d’admettre qu’en réalité le document en question n’est pas aussi nouveau que venait de l’assurer leur titre. Les Britanniques le connaissaient et l’avaient déchiffré pendant la guerre. Mais, voilà, nos deux auteurs estiment que le déchiffrement n’avait été que «partiel». Pour eux, les Britanniques avaient bien vu qu’il s’agissait de «déportations» mais il leur avait échappé que ces déportations signifiaient … la mort de tous les déportés. En réalité, les Britanniques avaient noté, comme on peut le faire aujourd’hui, que le texte allemand ne parlait que de « Umsiedlung », de « umgesiedelt » et de « durchgeschleust », c’est-à-dire de « transfert », de «transférés» et de personnes « passées par » des camps de transit. Les Britanniques s’en étaient tenus là et ils avaient bien fait.

Le serpent de mer de « l’action Reinhardt »

Pour accréditer leur propre version, les deux auteurs se permettent force spéculations qu’ils présentent, la plupart du temps, sous la forme d’assertions dénuées de la moindre preuve. La plus voyante de leurs manières de procéder réside dans l’affirmation, non accompagnée de preuves, selon laquelle l’« action Reinhardt » désignait une opération massive de déportation et d’assassinat de juifs qui aurait été ainsi appelée en hommage à Reinhard Heydrich, mort le 4 juin 1942 des suites d’un attentat. Or, ainsi que les documents le prouvent, il s’agissait, en réalité, d’une opération dont les quatre objectifs étaient : 1° le transfert de certaines populations polonaises ou juives ; 2° l’utilisation de la main-d’œuvre polonaise ou juive (parfois dans des camps) ; 3° l’exploitation de biens confisqués à ces Polonais et à ces juifs ; 4° la collecte des valeurs dissimulées ou encore la saisie d’immeubles (pièce du procès de Nuremberg PS-4024, qu’on trouve dans le volume XXXIV des documents soumis au tribunal, aux pages 58-92). L’opération avait été lancée peu avant la mort du Protecteur de Bohême-Moravie et ne devait donc rien à son prénom qui s’écrivait, d’ailleurs, sans le « t » final. Comme le proposait l’historien Uwe Dietrich Adam, dont nos deux auteurs ne citent ni le nom ni l’hypothèse, ce nom de « Reinhardt » «évoque sans doute plus vraisemblablement celui du secrétaire d’Etat aux finances, Fritz Reinhardt », patronyme qui s’écrivait avec un « t » final (Colloque de la Sorbonne de 1982, L’Allemagne nazie et le génocide juif, Gallimard / Le Seuil, 1985, p. 259, n. 70). Mais des serpents de mer comme celui de « l’action Reinhardt ou de « la conférence de Wannsee » ou encore du « témoignage Gerstein » ont la vie longue.

Trop d’erreurs

P. Vidal-Naquet a donc repris à son compte une affirmation sans preuve avancée par deux auteurs, dont un commerçant britannique, lesquels, – c’est le moins qu’on puisse dire, – ont procédé en amateurs quelque peu présomptueux. Il lui reste à se repentir d’avoir accordé sa confiance à ces auteurs comme cela lui est souvent arrivé dans le passé. Je fais ici allusion à ses palinodies : 1° sur « le piège », où il a reconnu être tombé, du livre Treblinka (déjà !), un faux fabriqué par Jean-François Steiner et Gilles Perrault ; 2° sur Au nom de tous les miens, œuvre non point du faussaire Martin Gray mais de son nègre à gages, le romancier Max Gallo ; 3° sur le Journal d’Anne Frank qu’il a jugé authentique, puis déclaré « trafiqué », puis, à nouveau, jugé authentique ; 4° sur la prétendue innocence du violeur récidiviste Luc Tangore ; 5° sur Élie Wiesel qui, dit-il, « raconte N’IMPORTE QUOI » dans La Nuit à propos d’Auschwitz, et surtout 6° sur Jean-Claude Pressac qui le traite maintenant de « girouette » et qu’à son tour il traite de «girouette». Je passe sur bien d’autres palinodies.

Je propose à P. Vidal-Naquet un débat public

J’ai souvent proposé à P. Vidal-Naquet un franc débat public dans les conditions de son choix. Jusqu’ici il s’est dérobé. Pour lui, on doit discuter sur le révisionnisme mais on ne doit pas discuter avec les révisionnistes. Autrement dit, il se déclare le plus fort mais il refuse d’avoir à le prouver devant un public. Aujourd’hui, à l’occasion de sa venue à Lyon, je lui renouvelle mon offre. La rencontre aura lieu où il lui plaira. Je suis prêt à en assumer les risques, à la fois physiques et judiciaires, risques que n’encourt certes pas mon adversaire. Je lui laisse, comme on dit, l’avantage du soleil et du vent. À Lyon, la controverse autour du révisionnisme et non sur le révisionnisme dure depuis novembre 1978. Elle a connu des développements spectaculaires dans les médias, dans la vie universitaire et devant les tribunaux. Elle n’est pas près de s’éteindre. Les affaires Plantin le prouvent. Or, jamais à Lyon, le grand public n’a, jusqu’ici, été autorisé à voir s’affronter face à face, sur le fond même du sujet, les tenants de l’une et l’autre thèse : la thèse exterminationniste et la thèse révisionniste. Il est temps que cesse une si criante anomalie. Quitte, ce faisant, à défier « une insupportable police juive de la pensée » (Annie Kriegel), le moment est venu d’un vrai débat public sur le fond. – Pourquoi pas à Lyon, capitale de la Résistance et du Révisionnisme ?

23 février 2002