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Entretien avec National-Zeitung

(Paru en allemand le 21 janvier 2009 :
« Faurisson, comme on ne le connaît pas »)

  1. Wittgenstein disait : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Ne parlons donc que de ce qu’il est permis de parler.

Il y a 80 ans, le 25 janvier 1929, vous êtes né à Shepperton, près de Londres. Quand avez-vous vu la France pour la première fois ?

Mon père travaillait à Londres pour la Compagnie (française) des Messageries Maritimes. En 1931, mes parents se sont rendus à Tamatave (Madagascar) où ils se sont mariés et où est né mon frère Philippe. J’ai été confié aux parents de mon père qui habitaient à Saint-Mandé, près de Paris. En 1934, je rejoindrai mes parents à Saïgon. En 1935, je suis allé pour la première fois de ma vie dans une école anglaise à Singapour. En 1936, j’ai continué mes études en anglais dans une école américaine à Kobé (Japon). Je ne regagnerai la France qu’à la fin de 1936. Se moquant de mon accent, mes camarades de classe m’appelaient « l’Angliche ». Par la suite, j’ai fait toutes mes études secondaires ou supérieures en France, notamment dans une école de jésuites à Marseille (1941-1943), au Collège Stanislas à Paris (1943-1946), au Lycée Henri-IV, à la Sorbonne,…

  1. Votre père était français, votre mère écossaise. Vous sentez-vous français, écossais, tous les deux, ou encore européen ?

Je me sens français. Je ne connais pour ainsi dire pas l’Ecosse. «Se sentir européen»? Je ne vois pas trop à quoi cela peut correspondre. Mon père prétendait que j’étais marqué par mon ascendance écossaise. Je suppose qu’il voulait dire par là que je manifestais une hardiesse, une détermination et une indépendance d’esprit qui pouvaient déconcerter les Français, lesquels, sauf en temps de guerre ou de révolution, sont plutôt raisonnables et moins obstinés qu’ils ne se l’imaginent.

  1. Êtes-vous un homme de droite, de gauche, du centre – ou rien de tout cela ?

Tout cela, selon l’humeur du jour et les circonstances. Je n’ai aucun goût pour le maniement des théories ou des idées politiques mais j’aime à m’engager dans telle ou telle action aux côtés de gens qui peuvent avoir, eux, une théorie ou une idée politique. J’aime l’action précise pour une cause précise. Samedi dernier, j’ai participé à une manifestation en faveur de la Palestine. [Là où j’habite] cette manifestation était conduite principalement par le Parti communiste. J’ai horreur du vague et de l’abstraction, en particulier du vague communiste et de l’abstraction communiste, mais je peux, à l’occasion, m’associer à une initiative de gauche, de droite ou du centre. Je suis athée.

  1. Est-ce par hasard que vous avez choisi un auteur aussi énigmatique que Lautréamont pour sujet de votre thèse de doctorat? Etiez-vous attiré par les énigmes de sa biographie ?

Ce n’est nullement par hasard que je me suis intéressé aux œuvres d’Isidore Ducasse (1846-1870) et, en particulier, à ce qu’il a appelé Les Chants de Maldoror [par le Comte de Lautréamont] (1870). Ses œuvres avaient la réputation d’être d’une haute et mystérieuse inspiration. J’ai voulu aller voir ce mystère de près. Je l’ai fait méticuleusement. J’ai découvert qu’il s’agissait en réalité d’une sorte de farce ou de mystification. Le plus fort est qu’il avait lui-même fait cette révélation à son lecteur dans un très bref passage, tout à la fin de son livre. Mais rares sont les lecteurs attentifs. La plupart aiment à rêver ou à philosopher ou à éprouver des sentiments.

  1. Il y a une vieille tradition de germanophilie chez les penseurs et littérateurs français. Je pense à Madame de Stael, à Stendhal (dans son livre De l’amour), à Gérard de Nerval, qui considérait l’Allemagne comme « notre mère à tous ». Cette tradition reste-t-elle encore vivante ?

Je crains que cette tradition n’ait disparu chez les intellectuels mais je crois pouvoir vous assurer que, dans le peuple français, on continue de nourrir une certaine germanophilie. C’est contre les Anglais et les Américains que le peuple français reste critique, hostile ou réservé. Quant à Nerval, il était amoureux de l’Allemagne. Si, en particulier, vous déchiffrez les confidences qu’il a faites dans les poèmes merveilleux et énigmatiques des Chimères, vous vous apercevez que Nerval avait horreur du froid, de la nuit, de la neige, du nord et de celui qu’il appelait le « duc Normand », c’est-à-dire Wellington, le vainqueur de Napoléon (réincarnation des Césars de l’Antiquité païenne). Il n’aimait pas les barbares du Nord, c’est-à-dire les Anglais. En revanche, il aimait le soleil, le sud, l’Italie antique, l’Orient et, pour lui, Berlin, si l’on peut dire, ne se situait pas au Nord mais à l’Est, comme une porte ouverte sur l’Orient, d’où, dit-on, nous sont venues les lumières de l’esprit.

  1. Vous auriez pu éviter toutes les poursuites judiciaires en vous installant en Grande-Bretagne car vous n’êtes seulement citoyen français mais aussi sujet britannique ? Pourquoi n’avez-vous pas choisi cette voie ?

J’aime trop la France ainsi que les Français et les Françaises. Je ne pourrais me passer d’entendre et de pratiquer la langue de Molière, de La Fontaine, de Victor Hugo, de Céline et des plus humbles de mes vrais compatriotes.

  1. Vous avez enseigné à la Sorbonne, puis à l’Université Lumière de Lyon. Vos spécialités ont été d’abord la « littérature moderne et contemporaine », puis la «critique de textes et documents (littérature, histoire, médias)». Quelle sorte de littérature peut vous émouvoir aujourd’hui ?

Un jour on a demandé à Céline : « Pourquoi écrivez-vous ? » Sa réponse, gouailleuse, a été : «Pour rendre les autres illisibles». Dans mon cas, il a réussi. Je ne lis plus guère que Céline. Je l’admire pour son génie, son humanité, sa maîtrise de toutes les langues françaises (argotique, populaire, familière, soutenue, guindée, aristocratique), sa force comique surtout. Il est un lyrique dénué de tout chiqué, un satiriste à la Juvénal, un poète épique. Vous l’avez peut-être noté, il n’est pas d’épopée possible pour un vainqueur ; le vainqueur a gagné ; il ne bouleverse donc pas les cœurs. Seul le vaincu, frappé de malheur par les dieux au terme d’un long combat, peut avoir vécu une épopée. L’Allemagne a connu une incomparable tragédie, un naufrage sans pareil, une grandiose épopée. Qui jusqu’ici s’est montré capable d’écrire une épopée de l’Allemagne vaincue? La réponse est: un cavalier français blessé en 1914 par des balles allemandes, un gentilhomme, Céline, alias Louis-Ferdinand des Touches (de Lentillière), une sorte de hobereau déclassé, proche du petit peuple. L’épopée de l’Allemagne tient en trois livres de Céline : D’un château l’autre, Nord et Rigodon. Les céliniens appellent cet ensemble « la trilogie allemande ». Il s’agit d’un « monument plus durable que l’airain » (monumentum aere perennius, disait le poète Horace).

  1. Avez-vous une proposition à suggérer pour mettre fin à la tragédie en Palestine ?

J’ai mieux qu’une simple proposition. J’ai une solution, et qui ne tuerait personne. La loi française et la loi allemande m’interdisent de vous en dire plus.

  1. Comment Dieudonné va-t-il ? Il est devenu la cible du maire de Paris qui a indiqué qu’il veut empêcher l’humoriste de jouer dans tous les théâtres publics de la Ville lumière.

Dieudonné va bien, mais que va-t-il devenir? Il a une sensibilité d’artiste. Un artiste peut-il longtemps résister au boycottage? Ce qu’il a osé faire le 26 décembre 2008 au Zénith, à Paris, devant 5 000 personnes, tient de l’héroïsme. Le contraste est venu quelques heures plus tard quand le monde entier, et non plus seulement 5 000 personnes, a eu le spectacle de la plus infâme lâcheté avec l’agression perpétrée par les Israéliens contre Gaza. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, joint sa voix à celle des puissants. Il s’enflamme, s’excite et se surexcite contre Dieudonné et Faurisson. Il multiplie menaces et provocations. Il cherche à susciter un grave incident ou même un accident mortel à l’occasion de mon passage, prévu pour le 29 janvier, au théâtre privé qui appartient à Dieudonné. Ma propre réponse est connue. Le 29 janvier, je serai là où l’on m’attend et, s’il nous arrive quelque malheur, j’en tiendrai Bertrand Delanoë pour « responsable et coupable ». Je vais lui écrire en ce sens.

18 janvier 2009