Lettre à Ernst Nolte

Mon cher collègue,

Je crois que ma dernière lettre date de près de deux ans, exactement du 21 juillet 1991. Je vous y faisais une proposition et je vous y lançais une invitation. Sauf erreur de ma part, vous n’y avez pas même répondu. Je vous disais :

Il faudrait manifestement que nous nous rencontrions. Je vous renouvelle donc mon offre d’aller vous voir à Berlin ou de vous recevoir à Vichy.

Vous vous mépreniez sur le révisionnisme. Une rencontre était d’autant plus nécessaire que vous prépariez, à ce que je vois, un livre dont un chapitre serait consacré à ce que vous ne craignez pas d’appeler le révisionnisme « radical » avec toutes les graves implications de ce mot. Si, de mon côté, j’avais eu à rédiger un chapitre sur vous et si, dans votre correspondance, vous me faisiez sentir que je faisais fausse route, j’aurais estimé qu’il était de mon devoir d’historien d’aller à votre rencontre, surtout si vous aviez pris l’initiative et aviez eu l’obligeance de me proposer cette rencontre.

Je viens de découvrir, à mon retour de Washington, la copie de votre lettre du 23 avril à ma sœur. Cette lettre confirme mes craintes.

Sachez, pour commencer, que ma sœur est pour moi la plus précieuse des collaboratrices. La qualité de son travail est exceptionnelle. Elle connaît assez bien l’argumentation révisionniste et prend sa part des épreuves qu’il nous faut traverser. Mais elle n’est pas mon porte-parole et ne se vante d’ailleurs pas de l’être. Elle vous écrit ce qu’elle veut et n’a pas à me consulter là-dessus. Elle, c’est elle ; et moi, c’est moi.

Je laisserai de côté quelques points de votre lettre qui ne me paraissent pas appeler de commentaire particulier. Je me limiterai à six points qui me laissent perplexe [1] :

1. Comment pouvez-vous prendre la grave responsabilité d’accoler l’épithète de « radikal » au révisionnisme de Paul Rassinier, Robert Faurisson et de Pierre Guillaume ? Cette épithète implique, que vous le vouliez ou non, une critique… radicale. Nous sommes ainsi présentés comme des gens excessifs pour ne pas dire extrémistes, et extrémistes pour ne pas dire d’extrême-droite. Il y a là-dedans, en plus d’un jugement intellectuel (qui est faux), un jugement moral et un jugement politique (que je m’abstiendrai de qualifier). Pour ma part, je nous estime aussi peu « radicaux » que pouvaient l’être Galilée et ses pareils; ils affirmaient : « De deux choses l’une : ou la terre est mobile ou elle est immobile. Pour nous, elle est mobile. » Leur radicalisme n’allait pas plus loin. Dire que la terre est à la fois un peu mobile et un peu immobile permet de se faire passer pour un homme modéré, prudent, raisonnable, mais c’est une sottise, n’est-ce pas? De la même façon, la question de savoir si les Allemands ont utilisé ou non une arme d’extermination systématique ne peut pas être évitée. Je dirais: «Ou bien les chambres à gaz nazies ont existé ou bien elles n’ont pas existé. » Et jusqu’à présent, j’ai vu le professeur Nolte insinuer que «chambres à gaz nazies ou pas, quelle importance ?» En fin de compte, je ne vous ai jamais entendu nous dire si ces chambres ont existé ou non! PROFESSEUR NOLTE, CES CHAMBRES À GAZ ONT-ELLES EXISTÉ ? OUI OU NON?

Soyez assez aimable pour répondre à cette question au lieu de la commenter ou de parler d’autre chose.

2. Que signifie « des déportations spontanées » (»Deportationen […] auf Freiwilligkeit«) ?

3. Vos deux souvenirs d’enfance vous ont, dites-vous, beaucoup marqué. Je laisserai de côté le premier parce qu’il m’entraînerait trop loin. Je vais retenir le second, et, bien sûr, ce n’est pas l’enfant qui m’intéresse ici mais le septuagénaire, sage professeur d’histoire, qui a tiré une leçon, pour la vie, d’un épisode jugé significatif. Soit dit en passant, je crains que vous n’ayez eu une enfance bien trop privilégiée par rapport à l’enfance de centaines de millions d’enfants, pendant la guerre, en Europe, en Chine, au Japon, en Russie, etc. J’ai vu, pour ma part, quelques horreurs pendant l’été 44 et j’ai connu dans ma vie d’adulte quelques épreuves qui me font paraître malheureusement bénins l’épisode d’une mère et de sa fille, portant l’étoile juive et se séparant sur un quai de gare ; deux SS emmènent la vieille dame (sans brutalité, je le suppose, sinon vous l’auriez noté) dans un compartiment de chemin de fer dont ils invitent d’un ton «rogue» quelques jeunes gens à le quitter pour s’installer dans un autre compartiment. Pour ce qui est du ton «rogue», on peut se demander quelle expérience vous avez bien pu avoir, dans votre vie, de la police allemande ou de la police française quand cette police est de corvée; je vous conseille là-dessus de venir constater aujourd’hui en France le genre d’accueil qu’on vous réserve généralement dans un commissariat de police, fût-ce à Vichy, ville paisible pourtant. Je vous signale aussi qu’en France, quand deux gendarmes escortent quelqu’un dans un train, ils font évacuer un compartiment, s’y installent seuls et bloquent la porte. La leçon que vous tirez de cette affaire est surprenante de la part d’un historien ; je la comprendrais chez un adolescent mais je ne la comprends plus du tout chez un adulte raisonnable. A propos du port forcé de l’étoile et du comportement de ces SS envers cette vieille dame et les jeunes gens, vous avez pensé : « Celui qui fait cela est littéralement capable de tout. » Quelle naïveté ! Voulez-vous dire : capable de tuer ? Capable de gazer? Et vous ajoutez : « C’est pourquoi je n’ai jamais pu tenir les nouvelles à propos des “camps d’extermination” à l’Est, qui se répandirent en 1945, pour simple propagande de guerre. » Mais que veulent dire les mots suivants : les «nouvelles» ? Les « camps d’extermination » ? «simple propagande de guerre»? Voulez-vous dire que vous reconnaissez avoir été réceptif à tout ce que disaient, en particulier, les Soviétiques et les Polonais ? Voulez-vous dire qu’il n’y aurait pas de fumée sans feu ? Ne savez-vous pas que les calomniateurs n’aiment rien tant que l’adage « il n’y a pas de fumée sans feu » ? Ignorez-vous que le fumier laisse échapper de la fumée alors qu’il n’y a pas de feu (et donc le fumier de la propagande de guerre) ? N’y a-t-il pas une étonnante naïveté à se dire – fièrement – prêt à croire n’importe quoi au sujet de celui qu’on n’aime pas? Je vous suggère une autre interprétation de l’épisode en question, une interprétation qui devrait intéresser le professeur d’histoire: en cette circonstance, voilà des SS qui ne brutalisaient pas des juives ; qui laissaient une jeune juive, sur un quai de gare, embrasser sa vieille mère et qui laissaient repartir, libre, la jeune juive ; la vieille juive n’était pas embarquée dans un wagon à bestiaux. Pourquoi avoir arrêté la vieille et non la jeune ? La vieille présentait-elle, du point de vue de la police, un cas particulier ? Je n’en sais évidemment rien. A votre place, je suspendrai mon jugement. Ces deux dames étaient marquées de l’étoile jaune. C’est certainement déplorable mais relisez ce que j’en dis dans mon interview à Storia Illustrata et songez que le marquage d’énormes groupes de population est malheureusement une constante de bien des guerres. Avez-vous vu, à la « Libération », des femmes tondues ? Avez-vous vu des millions d’Allemands, en temps de paix, marqués du badge N [2] ? Que devient, avec votre épisode, la politique d’extermination de tous les juifs ?

4. Vous dites de vos expériences personnelles qu’elles sont des indices ou des indications (Hinweise) ; mais des indices ou des indications de quoi au juste ?

5. En dernière page, vous écrivez: « Je donnerais raison aux révisionnistes s’ils se limitaient à dire : beaucoup de ce que l’on tient pour prouvé est incertain et même impossible. Je ne leur donne pas raison quand ils affirment que des événements aussi extraordinaires ne sont qu’un “bobard de guerre”. » Je voudrais bien savoir quels sont ces «événements aussi extraordinaires» que nous appellerions un « bobard de guerre ». A ma connaissance, nous n’avons appelé «bobard de guerre» que les prétendues chambres à gaz nazies et ce que l’usage de ces chambres aurait impliqué. Les révisionnistes font ce que vous souhaitez. Ils ne cessent de répéter que «beaucoup de ce que l’on tient pour prouvé est incertain et même impossible.» A ce titre, ils citent, par exemple, non seulement les magiques chambres à gaz mais aussi les chambres à vapeur, les chambres à électricité, les pompes à faire le vide, les piqûres d’air, les piqûres d’acide cyanhydrique, le savon ou les engrais fabriqués avec de la graisse de juifs, les abat-jour en peau humaine, les viols systématiques de juives, les expériences impossibles sur les jumeaux, les juifs précipités vivants dans des fours crématoires ou dans des hauts-fourneaux, les confessions délirantes de soldats, d’officiers et de fonctionnaires allemands, les chiffres extravagants de victimes (les quatre millions d’Auschwitz ; le million et demi d’Auschwitz ; le total, chez Hilberg, de cinq millions cent mille; le total, chez Reitlinger, de quatre millions quatre cent mille)… Voulez-vous que je continue la liste interminable des mensonges sur le compte des vaincus ? A côté de cela, jamais les révisionnistes n’ont contesté la réalité de certaines horreurs de la guerre dont les juifs ont été les victimes, parmi des millions d’autres victimes de cette sanglante boucherie. Voyez, par exemple, le tableau ci-joint des souffrances subies par les juifs; j’avais dressé ce tableau pour les jurés du second procès Zündel en 1988 à Toronto. Vous trouverez mention de tout cela dans la transcription des deux procès : celui de 1985 et celui de 1988. Vous en avez, je l’espère, le compte rendu minutieux dans le livre de Lenski et surtout dans l’opus magnum de Barbara Kulaszka, que j’ai préfacé.

6. Il vous semble, dites-vous, «très vraisemblable que les révisionnistes vous accorderont au moins un effort d’objectivité tandis que l’autre partie manifestera une grande indignation» parce que vous aurez parlé de nous. Vous avez tort, je le crains, de raisonner ainsi. Ne comptez pas sur notre compréhension de ces deux arguments-là. Vous ne serez pas jugé de cette façon, c’est-à-dire sur des notions aussi vagues qu’un «effort» et une «indignation». Nous mettrons côte à côte ce que nous avons réellement dit et ce que vous nous aurez fait dire; s’il y a adéquation, vous serez bien jugé mais, s’il n’y a pas adéquation, vous serez mal jugé. Les hauts cris poussés par la partie adverse ne nous intéressent pas ; ils ne seront pas la preuve que vous avez été honnête et courageux. Ne vous présentez pas d’avance en victime prise entre l’enclume et le marteau. Cette partie adverse pousse toujours des cris de ce genre. Ces cris ne signifient plus grand-chose. Votre carrière – bien sage – est derrière vous, de toute façon.

J’en ai terminé avec les six points annoncés. Je vais maintenant aborder un bien triste sujet: celui du comportement des historiens allemands, tels que Broszat, Jäckel, Benz, Jagschitz, etc. Ces gens ont déshonoré, déshonorent la science historique allemande par leur couardise et leur malhonnêteté. Je les trouve, aussi, bêtes et lourds. Ils font partie de ces gens qui n’ont à la bouche que le mot de Kontext, un mot facile qui donne l’impression qu’on est sérieux, mais qui est vague et permet toutes les échappatoires dont une en particulier: celle qui conduit à ne pas traiter du plus difficile, c’est-à-dire du texte. Il ne faut pas aller du contexte au texte mais du texte au contexte. Il faut commencer par le commencement. Le reste – qui est si facile – vient après.

J’espérais qu’un Nolte ferait montre de courage et d’honnêteté mais il a inexplicablement décliné mon offre d’une rencontre, pourtant indispensable. A moins que je ne me trompe, il n’a pas même pris la plume pour me dire qu’il déclinait cette offre. Et je constate aujourd’hui les dégâts avec cette lettre adressées à ma sœur et qui contient tant de graves ambiguïtés qui, en une rencontre d’une heure, auraient été levées. Notez bien que, dans cette rencontre, je n’aurais rien ajouté à ce que nous avons écrit mais, voilà: d’abord, nous avons énormément écrit et vous n’avez pas pu tout lire et, enfin, on peut mal lire ce qu’on lit. Je vous aurais prouvé, textes en main, que certaines de vos affirmations sur notre compte étaient infondées.

Ma lettre est longue parce que je veux prendre date avec l’histoire. Quand votre ouvrage paraîtra, je pourrai dire que je vous ai averti et que je n’ai pas ménagé ma peine pour le faire en dépit de la vie terrible que m’imposent les ennemis de l’exactitude historique.

Sauverez-vous, par votre livre, l’honneur des historiens allemands ? Il me reste à le souhaiter.

P.J. – Les quatre tableaux de Toronto (1988), en particulier le troisième : “What Really Happened to the Jews ? They suffered specific measures (equals persecutions), war, internment, deportation, transit camps, concentration camps, labour camps, ghettos, diseases, execution of hostages, reprisals, massacres.” [Qu’est-il réellement arrivé aux juifs ? Ils ont subi des mesures spécifiques (ce qui équivaut à une persécution), la guerre, l’internement, la déportation, les camps de transit, de concentration, de travail, les ghettos, les maladies, les exécutions d’otages, les représailles, les massacres.

– « Les chambres à gaz en voie de disparition ? » (10 avril 1992, article qui me vaut poursuite pour un fragment de phrase) – « Une date dans l’histoire du révisionnisme: le 22 avril 1993… » (six pages)

– « L’aventure révisionniste » (deux pages) – « A Memorable Quotation », Remarks, novembre 1992 – « Pierre Vidal-Naquet tuerait Faurisson. » (une page)

– « Les témoins […] » (deux pages)

15 mai 1993

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[1] Le professeur Faurisson fait ici référence au livre qu’allait publier le professeur Nolte, Streitpunkte…, et surtout au chapitre 15, Die »Endlösung des Judenfrage« in der Sicht des radikalen Revisionismus (La « solution finale de la question juive » dans la perpective du révisionnisme radical), p. 304-319. [NdÉ]
[2] NdA : première lettre de Niemiec, mot polonais signifiant « Allemand ».