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Jusqu’en avril 1945, personne n’a vraiment su l’extermination physique des juifs par les Allemands

En avril 1945, à la découverte des charniers de typhiques dans les camps de Bergen-Belsen, Dachau et Buchenwald, les Alliés ont su (ou cru savoir) que les Allemands avaient physiquement exterminé des êtres humains, en particulier dans des chambres à gaz. Jusque-là d’innombrables rumeurs avaient couru sur le sujet, à partir, semble-t-il, de la fin de 1941, mais ces rumeurs étaient vagues, gravement contradictoires et, par moments, visiblement fantaisistes. Les autorités alliées avaient, bien sûr, dénoncé à plusieurs reprises la politique d’«extermination» pratiquée, selon elles, par l’Allemagne nationale-socialiste à l’endroit des Polonais, des Russes et de tous les peuples occupés mais elles n’avaient pas repris à leur compte les accusations de gazages systématiques. En 1943, elles avaient envisagé de le faire, puis s’étaient ravisées devant l’insuffisance de preuves.[1] En novembre 1944, un rapport du War Refugee Board, publié sous le timbre de la présidence des États-Unis et portant sur des « camps d’extermination » allemands avait été diffusé mais il n’avait pas rencontré grande créance.

En 1987 Stéphane Courtois et Adam Rayski publiaient Qui savait quoi ? L’extermination des juifs 1941-1945 (La Découverte, Paris). Dans cet ouvrage, ils cherchaient à démontrer que la presse clandestine des communistes juifs avait, à plusieurs reprises, fait état d’informations sur l’extermination physique des juifs. En quelques mots l’historienne juive Annette Wieviorka a fait justice de cette prétention. Elle écrit :

Mais l’interrogation majeure réside dans le fait que ceux-là mêmes qui confectionnaient cette presse et la distribuaient – je pense en particulier à Henri Krasucki […] – ignoraient tout des chambres à gaz d’Auschwitz. Si savoir c’est, comme l’écrit le Petit Robert “pouvoir affirmer l’existence de”, ou encore “être conscient de”, force est de constater que ceux-là mêmes qui avaient confectionné ou distribué ces textes ne savaient pas.[2]

En 1964, l’historien Léon Poliakov, rapportant une réflexion des juifs de Salonique (déportés à Auschwitz du 20 mars au 18 août 1943), écrit :

Avec le recul du temps, une telle crédulité paraît invraisemblable ; mais à l’époque, même dans les pays occupés de l’Occident, l’existence des camps d’extermination était communément considérée comme une invention de la propagande britannique.[3]

En 1979, le même L. Poliakov devait déclarer dans une interview :

Songez que déjà, pendant la guerre, la plupart des juifs eux-mêmes étaient persuadés que les déportés rentreraient des camps de concentration. Je puis en témoigner, j’étais bien renseigné, étant agent de liaison. Et cela jusqu’en 1945, où ont été découverts Auschwitz et Buchenwald. Encore une fois, il y avait l’idée de bobards de guerre, venant de Londres… Et puis il faut le dire, l’inexistence de précédents qui rendait la “solution finale” inimaginable. D’où des gens qui nient aujourd’hui l’existence des chambres à gaz.[4]

Entre-temps, en 1973, Georges Wellers avait publié un ouvrage à la fois historique et biographique : L’Étoile jaune à l’heure de Vichy. De Drancy à Auschwitz. La préface était de Jacques Delarue et la postface du R. P. Riquet. Dans sa préface, J. Delarue rappelle que G. Wellers fut « le seul témoin français au procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem ».[5] Il ajoute :

Aucun de ces milliers de futurs déportés que Wellers vit pendant les dernières heures précédant le départ n’avait le moindre soupçon concernant le terrible sort qui l’attendait.[6]

G. Wellers écrit pour sa part :

Au fur et à mesure que le temps s’écoule il devient de plus en plus difficile de faire le partage entre ce que l’on savait réellement à l’époque et ce que l’on apprit depuis la fin de la guerre. L’extermination systématique des juifs, l’existence des chambres à gaz spécialement construites à cet effet en Pologne appartiennent à cette catégorie de vérités que l’on ignorait à l’époque.[7]

Je peux affirmer d’une façon catégorique que l’on n’avait aucun soupçon concernant l’assassinat systématique auquel en réalité étaient voués les juifs au bout du voyage en déportation.[8]

G. Wellers dit que c’est sur place, à Auschwitz, à l’occasion d’une conversation, qu’il a enfin compris « la vérité tellement incroyable ». Il ajoute :

Et si quelqu’un me trouve naïf et sot, qu’il sache que tous les juifs étaient pareillement naïfs et sots.[9]

En 1991, Lucie Aubrac déclarait :

À Lyon, en 1943, personne n’était au courant des tortures, des camps de la mort. Cela paraît énorme de dire ça aujourd’hui, mais à l’époque on pensait que les gens arrêtés allaient en prison.[10]

En 1992, André Frossard écrivait :

J’ai vécu, mieux vaudrait dire j’ai survécu longtemps dans la “Baraque aux juifs” du Fort Montluc, à Lyon, où j’ai eu des centaines et des centaines de compagnons, souvent livrés à la police allemande par la Milice. Pas un seul d’entre eux n’avait la moindre idée du sort qui l’attendait en Allemagne et pourtant il y avait là, je vous le garantis, des esprits curieux. Ils s’imaginaient qu’ils seraient envoyés dans un camp de travail et qu’ils y seraient sans doute malheureux, mais moins qu’en prison, et qu’en tout cas ils échapperaient aux rafles d’otages qui dépeuplaient inopinément la baraque le jour ou la nuit. Je n’en ai jamais entendu aucun mettre cette illusion en doute, et quand on les alignait dans la cour pour les embarquer, ils avaient un dernier regard presque compatissant pour ceux qui ne partaient pas et restaient exposés aux représailles. Moi-même, lorsque j’ai appris le 12 août 1944 que je serais déporté le 16, j’ai accueilli la nouvelle avec une sorte de soulagement. Ni en prison ni au dehors, je n’ai entendu quelqu’un parler de la “solution finale” avant le retour des rescapés et le dévoilement de l’horreur.[11]

 

Ces remarques aident à mieux comprendre pourquoi Pierre Laval, sur intervention notamment des autorités religieuses, avait demandé que les enfants juifs pussent être déportés afin d’éviter la dislocation des familles. Ces mêmes remarques permettent aussi de saisir pourquoi il existait des « optants » pour la déportation.[12] Enfin, elles expliquent qu’en certains cas les parents aient eu le droit de voter pour ou contre la déportation de leurs enfants.[13]

Tel était le degré de connaissance que les autorités juives françaises pouvaient avoir d’une politique d’extermination physique des juifs.

Il en était de même pour toutes les autorités juives de tous les pays occupés, y compris de Pologne, ainsi que pour les autorités juives de Palestine ou des organisations internationales comme le World Jewish Congress, l’American Jewish Congress, la Jewish Agency. C’est même pour cette raison que des responsables juifs comme Ben Gourion se sont élevés contre l’idée d’un bombardement d’Auschwitz.[14] À Londres, Raymond Aron n’avait pas entendu parler de chambres à gaz. En 1981, interrogé sur le génocide, il répondait :

La vérité, c’est que je ne sais pas exactement ce que j’ai su. Bien entendu, j’ai su qu’il y avait des persécutions. Je suis sûr que je n’ai pas connu à Londres l’existence des chambres à gaz. Est-ce que j’ai su que des millions de juifs étaient exterminés ? Je crois que je ne l’ai pas su, mais je suis tenté aujourd’hui de penser que c’était encore une forme de confort émotionnel. Je ne voulais pas y songer. Je savais naturellement que les juifs de l’Ouest étaient déportés vers l’Est. Je savais aussi qu’il y avait des camps de concentration. […] Je n’ai jamais imaginé le génocide. […] Finalement, quand ai-je connu de manière certaine le génocide ? En France, plus tard, quand ça a été publié, quand ça a été écrit.[15]

 

Aucun gouvernement allié, y compris le gouvernement soviétique (même après la libération, par ses troupes, du camp d’Auschwitz le 27 janvier 1945) n’a agi jusqu’en avril 1945 comme s’il avait cru à une extermination physique des juifs. Le Vatican, remarquablement renseigné (sur les événements de Pologne en particulier), le Comité international de la Croix-Rouge (dont un représentant s’était rendu au camp d’Auschwitz en septembre 1944), la Résistance allemande à Hitler, le Foreign Office, Edouard Bénès, n’ont, pas plus que les organisations juives d’Europe ou d’Amérique, su, vraiment su, que le IIIe Reich avait une politique d’extermination physique des juifs et tuait des juifs dans des chambres à gaz. Tous les accusés du procès de Nuremberg (1945-1946), y compris les plus portés à s’accuser eux-mêmes (Baldur von Schirach, Hans Frank et Albert Speer), ont affirmé n’avoir rien su d’une telle politique et d’une telle arme. À ce procès, seul Rudolf Höss, l’un des trois commandants d’Auschwitz, a déclaré qu’un tel crime avait été perpétré dans son camp. Or, nous savons aujourd’hui que ses aveux lui ont été extorqués si bien que les historiens de l’« Holocauste » des juifs n’accordent plus de crédit à la «confession» de R. Höss.[16]

Dans leurs mémoires respectifs, ni Winston Churchill, ni le général Eisenhower, ni le général de Gaulle, pourtant tous si résolument hostiles à l’Allemagne hitlérienne et à l’esprit de la Collaboration avec cette Allemagne, n’ont mentionné l’existence de «camps d’extermination» ou de « chambres à gaz homicides ».

Comment Paul Touvier aurait-il su ce que tout le monde, à considérer les documents d’époque, semble avoir soit totalement ignoré ou « su » de façon tout à fait vague. Pour reprendre la remarque de l’historienne Annette Wieviorka et la définition du Petit Robert, personne à cette époque ne savait l’existence du génocide et de ces véritables abattoirs chimiques qu’avaient constitué les chambres à gaz. Personne ne pouvait en affirmer l’existence, personne n’était conscient de cette existence. Comment Paul Touvier pouvait-il en savoir plus que Léon Poliakov, Georges Wellers, Lucie Aubrac, André Frossard, Pierre Laval, Ben Gourion, le président Bénès, Winston Churchill, le général Eisenhower, le général de Gaulle, le Vatican, la Croix-Rouge, la Résistance allemande, les organisations juives européennes, américaines et palestiniennes et, enfin, s’il faut les en croire, le maréchal Göring, le maréchal Keitel, le général Jodl ?

11 avril 1994

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Notes

[1] R. Faurisson, Mon expérience du révisionnisme, Écrits révisionnistes (1974-1998), vol. III, p. 993, note 3.
[2] A. Wieviorka, « Histoire et mémoire », L’Arche, novembre 1987, p. 86.
[3] L. Poliakov, Auschwitz, Julliard, Paris 1964 et 1973, p. 31.
[4] L. Poliakov, « L’Antisémitisme : les racines du mal… », L’Express, 3-9 mars 1979, p. 153.
[5] G. Wellers, L’Étoile jaune à l’heure de Vichy. De Drancy à Auschwitz, Fayard, Paris 1973, p. III.
[6] Id., p. v.
[7] Id., p. 4.
[8] Id., p. 5.
[9] Id., p. 7.
[10] Le Figaro, 15 octobre 1991.
[11] A. Frossard, Excusez-moi d’être français, Fayard, Paris 1992, p. 68-69.
[12] S. Klarsfeld, Mémorial de la déportation…, éd. Beate et Serge Klarsfeld, Paris 1978, page (non numérotée) précédant la liste alphabétique du convoi n° 21.
[13] G. Wellers, « Déportation des juifs de France. Légendes et réalités », Le Monde juif, juillet-septembre 1980, p. 106.
[14] E. Matz, « Britain and the Holocaust », Midstream, avril 1982, p. 59.
[15] R. Aron, Le Spectateur engagé, Julliard, Paris 1982, p. 102.
[16] Voy. Raul Hilberg, Jean-Claude Pressac et Christopher Browning sur le sujet ainsi que mon texte intitulé Le témoignage du “commandant d’Auschwitz” est déclaré sans valeur !, en date du 3 mars 1994.