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Pires que Le Pen, les révisionnistes Churchill, Eisenhower et de Gaulle

Dans “Précisions sur le détail” (National Hebdo, 1er au 7 janvier 1998, p. 15), j’avais écrit qu’Eisenhower, Churchill et de Gaulle n’avaient, tout au long de leurs mémoires de guerre, soufflé mot des chambres à gaz nazies. Autrement dit, dans un ensemble de 7.061 pages publiées de 1948 à 1959, c’est-à-dire bien après le conflit de 1939-1945, ces trois chefs de guerre, américain, britannique et français, avaient traité lesdites chambres à gaz par l’ignorance pure et simple. Leur silence ne pouvait être que délibéré.

Attaqué de toutes parts pour ses récidives sur “le détail, Jean-Marie Le Pen vient de répliquer par trois phrases que reproduit Der Spiegel dans sa livraison n° 42 (12 octobre 1998, p. 163). Voici ces phrases, suivies de leur traduction en français :

Ich habe die Existenz der Gaskammern nie geleugnet oder verharmlost. Aber schriebe man die Geschichte des Zweiten Weltkriegs auf tausend Seiten nieder, kämen den Gaskammern allenfalls ein paar Zeilen zu. Churchill, Eisenhower und de Gaulle haben sie in ihren Kriegserinnerungen mit keinem Wort erwähnt.

Je n’ai jamais nié ou minimisé l’existence des chambres à gaz. Mais si on écrit l’histoire de la seconde guerre mondiale sur mille pages, les chambres à gaz recevront, tout au plus, quelques lignes. Churchill, Eisenhower et de Gaulle ne les ont pas évoquées d’un mot dans leurs mémoires de guerre.

Cette traduction – correcte – semble être celle de l’AFP et elle a été reproduite dans la presse française. Même le quotidien de Clermont-Ferrand, La Montagne, en a publié les trois phrases. Le Monde, lui, journal oblique, a reproduit la déclaration en l’amputant de sa partie la plus substantielle, la plus nouvelle, la plus perturbante pour le confort des bien-pensants et pour les habitudes de penser du grand public ; il a, en effet, supprimé la partie finale (in cauda gravissimum) où Jean-Marie Le Pen précise que ni Churchill, ni Eisenhower, ni de Gaulle n’ont même évoqué d’un mot ce que, pour sa part, il appelle un détail.

Pourquoi ce silence ?

J.-M. Le Pen pourrait mettre ses adversaires dans le plus grand embarras s’il révélait pour quelle raison Churchill, Eisenhower, de Gaulle et bien d’autres hauts dirigeants alliés, y compris chez les Soviétiques ou les Tchèques, se sont, pendant toute leur vie, aussi bien avant qu’après la guerre, refusés à mentionner, par la parole ou par l’écrit, les chambres à gaz nazies (ou le génocide des juifs).

Cette raison est qu’après enquête les Alliés ont estimé, dès 1943, qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour justifier qu’on affirme publiquement l’existence des chambres à gaz d’exécution: “There is insufficient evidence to justify the statement regarding execution in gas chambers”.[1]

On avait parlé pour la première fois des chambres à gaz en Pologne à la fin de 1941. En 1942 et en 1943, l’information avait pris une certaine extension notamment dans des milieux polonais ou juifs de Londres. Le gouvernement britannique décidait donc de dénoncer l’horreur de ces abattoirs chimiques dans une déclaration commune avec le gouvernement américain. Déjà, le 17 décembre 1942, les Alliés avaient publié une déclaration commune sur les “atrocités nazies”. Ce jour-là, Anthony Eden devant la Chambre des communes et lord Simon devant la Chambre des lords avaient donné lecture d’une déclaration conjointe de douze gouvernements alliés sur les crimes commis par les Allemands contre les juifs. On y dénonçait chez les Allemands l’intention d’exterminer les juifs européens. Les mots d'”exterminer” et d'”extermination de sang-froid” figuraient assurément dans le texte mais au sens de déportations subies en d’horribles conditions et suivies, pour les juifs en bonne santé, d’une mort lente par le travail et, pour les juifs infirmes, d’une mort par le froid, par la faim ou même par des exécutions en masse. Il n’était nullement question de chambres à gaz ou d’abattoirs chimiques employés dans le cadre d’une politique d’extermination physique généralisée qu’on désignera ultérieurement du nom de “génocide”.

Huit mois plus tard, en août 1943, Britanniques et Américains mettaient donc au point une nouvelle déclaration commune et, cette fois-ci, ils mentionneraient les tueries en chambres à gaz. Voici, dans sa traduction en français, un extrait de ce projet de déclaration :

[En Pologne] des enfants sont tués sur place, d’autres sont séparés de leurs parents ou bien envoyés en Allemagne pour y être élevés comme des Allemands, ou bien vendus à des colons allemands ou expédiés avec les femmes et les vieillards dans des camps de concentration, où ils sont maintenant systématiquement mis à mort dans des chambres à gaz.

Je souligne cette proposition relative (where they are now being systematically put to death in gas chambers). Trois jours après ce projet de communiqué du 27 août 1943, le gouvernement américain, à l’instigation du gouvernement britannique, décidait d’éliminer (en anglais : eliminate) la proposition relative. Motif : il n’y avait pas de preuves suffisantes de ces mises à mort dans des chambres à gaz.

Les deux gouvernements, jusqu’à la fin de la guerre, maintinrent cette position, et cette décision.

Pour ne prendre qu’un exemple, le général Eisenhower, même en avril 1945 lors de la prise des camps allemands par les Alliés, s’abstint de mentionner, dans ses discours sur place, ces chambres à gaz nazies. Y compris dans ses déclarations les plus vives (dont un fragment est gravé dans la pierre à l’Holocaust Memorial Museum de Washington), il persista à observer un silence total sur le sujet.

Dans de nombreux écrits sur la Shoah et dans les “musées de l’Holocauste” on fait grief à Roosevelt, à Churchill, à Staline, au Pape Pie XII et au Comité international de la Croix-Rouge de leur silence obstiné pendant la guerre sur les chambres à gaz nazies (et sur le génocide des juifs). On leur reproche d’avoir opposé l’incrédulité aux récits sur le sujet ou d’avoir eu, comme ce fut le cas pour la Croix-Rouge, un enquêteur qui, sur place, à Auschwitz par exemple, n’entendit pas même parler de ces chambres à gaz. A plus forte raison, le même procès de révisionnisme pourrait être intenté aux grands personnages qui, après 1945, dans la rédaction, par exemple, de leurs mémoires de guerre, se sont refusés à mentionner ces chambres à gaz et ce génocide sur lesquels on publiait pourtant alors des récits à profusion.[2] Ces grands personnages se sont implicitement comportés en révisionnistes.

Tel a été, en France, le cas du général de Gaulle, tandis que J.-M. Le Pen, lui, a explicitement et à différentes reprises affirmé l’existence des chambres à gaz nazies. De ce point de vue, pour les accusateurs de J.-M. Le Pen, de Gaulle devrait nécessairement être pire que Le Pen. On peut avancer que de Gaulle était révisionniste,[3] tout comme Churchill, Eisenhower et bien d’autres ; on doit reconnaître que Le Pen ne l’est pas.

20 octobre 1998
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[1] Foreign Relations of the United States / Diplomatic Papers 1943, US Government Printing Office, Washington, 1963, vol. I, p. 416-417 ; pour l’élimination effective de la mention des chambres à gaz dans le communiqué américano-britannique, voy. “US and Britain Warn Nazi Killers” (Etats-Unis et Grande-Bretagne lancent un avertissement aux tueurs nazis), New York Times, 30 août 1943, p. 3.
[2] Rappelons, en plus de ces récits, les assertions des juges de Nuremberg et les ouvrages d’historiens comme Léon Poliakov (1951) et Gerald Reitlinger (1953), sans compter les publications d’Eugen Kogon, David Rousset, Henri Michel ou Olga Wormser-Migot : les chambres à gaz étaient partout !

[3] Sur ce point, on se reportera à une intéressante analyse de Jean-Marie Boisdefeu, “De Gaulle et le génocide des juifs. Le général était-il révisionniste ?”, Akribeia, octobre 1998, p. 241-245.

 

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Le présent texte est paru, sous une forme légèrement différente, dans National Hebdo du 5 au 11 novembre 1998, p. 17. Reproduit dans Ecrits révisionnistes (1974-1998), p. 1889-1892.