Près de cinquante ans après la guerre, l’Épuration se poursuit en France et à l’étranger. Animée par Serge Klarsfeld, Simon Wiesenthal, Élie Wiesel et un grand nombre d’organisations juives dont le Congrès juif mondial, dirigé par Edgar Bronfman, et, en France, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) dirigé par Jean Kahn, cette Épuration suscite encore aujourd’hui de nombreuses procédures judiciaires à l’encontre d’individus réputés avoir commis des « crimes contre l’humanité », c’est-à-dire, pour parler clairement, des crimes contre les juifs. Ces procédures donnent lieu, sur le plan médiatique, à des « affaires » : affaire Demjanjuk, affaire Finta, affaire Arthur Rudolf, affaires Barbie, Leguay, Papon, Bousquet, Touvier… La liste est longue. Les pays les plus concernés par ce type d’affaires sont les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Angleterre, l’Écosse et l’Australie.
La chasse aux « collabos », comme on appelle ceux qui ont collaboré avec l’Allemagne nationale-socialiste, reste ouverte mais la chasse aux « collabos » juifs, la chasse aux « juifs bruns » reste obstinément fermée.
Les historiens juifs accusent la terre entière d’avoir soit commis, soit laissé se commettre de 1941 à 1945 le plus grand crime de l’histoire : le prétendu assassinat programmé de millions de juifs, notamment par le moyen de gigantesques abattoirs chimiques appelés chambres à gaz. Le musée du Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles illustre le sens et la portée de cette accusation. Le visiteur du musée est d’abord conduit à voir dans Hitler et les siens les auteurs mêmes du crime. Puis, poursuivant sa visite, il découvre les complices du crime : Roosevelt, Churchill, Staline, le pape Pie XII (et le Comité international de la Croix-Rouge). Par la disposition des lieux et par la mise en scène, c’est plus sur les complices que sur les auteurs du crime que l’attention du visiteur est appelée par les organisateurs du musée. Nous sommes ainsi invités à comprendre que « sans l’indifférence et le silence du monde entier » génocide et chambres à gaz n’auraient pas pu exister. Il est de fait que Roosevelt, Churchill et Staline, non plus que Truman, de Gaulle ou Eisenhower, n’ont dénoncé l’existence et le fonctionnement de chambres à gaz homicides dans les camps de concentration du IIIe Reich. Certes, ils ont décrit l’Allemagne nationale-socialiste comme l’empire du mal et, selon l’usage, ont accusé l’ennemi de pratiquer une politique d’extermination mais ils ne sont jamais allés jusqu’à mentionner les « chambres à gaz » ; un chef d’État responsable sait à quoi s’en tenir sur ses propres services de propagande et ne va pas en entériner les inventions et les fabrications. Quant au pape Pie XII et au Comité international de la Croix-Rouge, ils étaient trop informés de la situation réelle des camps de concentration allemands pour cautionner un mythe qui n’était, après tout, que le produit de recyclage d’un bobard de la première guerre mondiale : celui du gazage des civils serbes par les Allemands, les Autrichiens et les Bulgares.[1]
Il reste que, dans leur volonté de chercher partout des suspects à traduire devant les tribunaux, les justiciers juifs s’abstiennent de mettre en cause ce que Maurice Rajsfus a pu appeler « une véritable internationale juive de la collaboration nécessaire [selon les Conseils juifs] avec les nazis ».[2]
À l’exemple de Philippe Pétain et de Pierre Laval, beaucoup de responsables juifs ont collaboré par nécessité. La France avait, avec l’Angleterre, pris l’initiative d’entrer en guerre contre l’Allemagne; l’Allemagne nous avait d’abord vaincus puis, deux ans plus tard, elle appelait tous les Européens à la croisade contre le communisme international qui, il faut bien le reconnaître, était largement d’inspiration juive.[3] La signature d’une convention d’armistice, la nécessité de survivre, la pensée lancinante des Français retenus prisonniers en Allemagne, la lutte contre le communisme et ses méthodes terroristes, toutes ces raisons et quelques autres encore conduisaient Pétain et Laval à pratiquer une politique faite de constantes tractations avec plus fort que soi. De son côté, l’Union générale des israélites de France (UGIF) cherchait, elle aussi, à composer avec les Allemands.
Pendant l’été 1944, alors que se poursuivaient les exécutions sommaires des «collabos», commença la saison des juges, avec une justice à plusieurs vitesses : rapide pour la collaboration politique, lente pour la collaboration économique, nulle pour la collaboration juive.
Pendant qu’une justice expéditive permettait de fusiller notamment des écrivains et qu’une justice selon les normes prenait tout son temps pour examiner le dossier des constructeurs du mur de l’Atlantique, de Gaulle et les communistes toléraient qu’à de rarissimes exceptions près les juifs se jugent entre eux pour faits de collaboration. Des « tribunaux d’honneur » étaient constitués pour juger et finalement acquitter tous les juifs. Dans ces tribunaux figuraient des juifs qui avaient passé toute la guerre aux États-Unis ou en Suisse.
L’affaire de l’UGIF
L’Union générale des israélites de France (UGIF) fut fondée le 29 novembre 1941. L’UGIF-Nord commença à fonctionner en janvier 1942 et l’UGIF-Sud en mai 1942. Les responsables les plus connus en furent André Baur, Georges Edinger, Raymond Geissmann, Gaston Kahn, Raymond-Raoul Lambert, Albert Lévy et Marcel Stora. Elle fut en rapports constants avec la « Gestapo », c’est-à-dire, en fait, avec le Service de sûreté allemand (notamment Theodor Dannecker et Aloïs Brunner) et avec le Commissariat général aux questions juives établi par le gouvernement du maréchal Pétain (avec, pour responsables successifs, notamment Xavier Vallat et Louis Darquier de Pellepoix).
En 1943 certains responsables de l’UGIF furent internés à Drancy pour diverses raisons, puis déportés et ne revinrent pas de déportation mais d’autres exercèrent leurs responsabilités jusqu’à la dissolution de l’UGIF en septembre 1944, après le départ des Allemands de Paris. En août 1944, Georges Edinger fut interné quelques jours à Drancy comme suspect de collaboration puis relâché.
On pouvait – et on peut encore – reprocher à l’UGIF d’avoir contrôlé la population juive de France pour le compte des Allemands, d’avoir incité les juifs à l’obéissance aux lois allemandes et de Vichy, d’avoir coopéré à la préparation des rafles (sans en prévenir les intéressés) et d’avoir, en particulier, aidé les Allemands à se saisir des enfants juifs qui étaient hébergés dans des homes placés sous son contrôle (ce fut le cas, par exemple, pour les enfants d’Izieu).
À la date du 9 février 1943 l’effectif de l’UGIF-Nord comptait, à elle seule, neuf cent dix-neuf employés; parmi les diverses catégories de personnel appointées en zone nord se trouvaient… vingt huissiers. En 1942, l’UGIF possédait des bureaux en quatorze villes de la zone nord, dont Paris, et en vingt-sept villes de la zone sud, dont Vichy. Il fallait également compter, à Paris et en banlieue, quelques dizaines d’établissements à caractère social (cantines, ouvroirs, dispensaires, écoles, patronages, etc.) et, en zone sud, de nombreux homes d’enfants et des fermes-écoles, particulièrement dans la Creuse.
Les fonds, considérables, provenaient, pour la zone nord, principalement des biens confisqués aux juifs par les autorités allemandes ou françaises et, pour la zone sud, principalement de l’argent distribué, en pleine guerre, par le fameux American Jewish Joint Distribution Committee. Plus connu sous le nom de « Joint » (Joseph Schwartz à Lisbonne et Saly Mayer à Berne), ce comité distribua, pendant toute la guerre, avec l’assentiment des Allemands, de considérables sommes d’argent aux juifs, y compris aux juifs de Berlin en 1944 et il envoya des colis aussi bien dans des camps de concentration que dans des ghettos. Le « Joint » avait été fondé en 1914 par le banquier Felix Warburg. L’UGIF reçut également des subsides de l’État français et bénéficia de l’aide du syndicat des banques françaises. Ce fut le cas, par exemple, à la suite d’une sanction financière d’un milliard de francs imposée par les Allemands à cause d’une série de graves attentats perpétrés contre des membres de la Wehrmacht : l’UGIF obtint un prêt qui lui permit de ne pas taxer les juifs et de ne pas recourir à son propre argent; en fin de compte, elle ne versa aux Allemands que le quart du prêt[4] et conserva par devers elle le reste de l’argent.
Après la Libération l’affaire de l’UGIF sera étouffée et le procès public évité. Un jury d’honneur se réunira sous la présidence de Léon Meiss, président du CRIF. Il acquittera les accusés en première instance et en appel. Les pièces du procès n’ont jamais été publiées. Personne ne sait ce que sont devenus les sept cent cinquante millions de francs que s’est appropriés l’UGIF : le CRIF se les est-il, à son tour, appropriés ?
Que peut bien penser Jean Kahn, qui préside aujourd’hui le CRIF, du fait que des Français non juifs ont été accusés, jugés, condamnés et fusillés pour des actes et parfois pour de simples propos favorables à la Collaboration tandis que des Français juifs, sur lesquels pesaient de terribles accusations, ont été soustraits à la justice de leur pays et, par la suite, pour certains d’entre eux, comblés d’honneurs ?
L’affaire du Consistoire central
Le Consistoire central des israélites de France, fondé en 1808, quitta Paris pour Lyon en 1940. Il refusa d’abord toute représentation au sein de l’UGIF et voulut sauvegarder son indépendance et la maîtrise de ses propres fonds. Il conserva des liens privilégiés avec l’Aumônerie générale israélite et le grand rabbinat. Son président, Jacques Helbronner, entretint des rapports suivis avec le maréchal Pétain qu’il rencontra à vingt-sept reprises et en qui il voyait le « père de la patrie ».[5] Il fut arrêté par les Allemands le 19 octobre 1943 pour des raisons obscures; il fut déporté et ne revint pas de déportation. Son successeur fut Léon Meiss (1896-1966) qui fonda le CRIF en 1944. Le Consistoire multiplia, bien sûr, interventions et protestations en faveur des juifs mais tint jusqu’au bout à observer une attitude légaliste qui, à bien des Français non juifs, devait valoir, pour « collaboration avec l’ennemi », l’exécution sommaire, la potence ou la prison. On lui attribue parfois une protestation datée du 25 août 1942 mais ce texte, que publie S. Klarsfeld dans son Mémorial de la déportation des juifs de France (d’après des documents du CDJC de Paris), est hautement suspect ; il ne porte, en particulier, ni en-tête, ni signature ; il s’agit d’un texte dactylographié anonyme et manifestement incomplet.
Les archives du Consistoire central sont actuellement soustraites à la communication pour la période postérieure à 1937. Il faudrait, semble-t-il, attendre l’an 2037 pour les voir ouvrir aux chercheurs. Elles ont été déposées aux Archives des Hauts-de-Seine (à Nanterre) avec, peut-être, une copie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Maurice Moch, archiviste du Consistoire central, aurait écrit un ouvrage sur le Consistoire central pendant les années 1939-1944 mais ce texte, truffé de documents, nous dit-on, n’a pu encore voir le jour.[6]
L’affaire de Drancy
En 1939 le gouvernement Daladier avait ouvert cent quatre camps d’internement en France pour les civils allemands, y compris au stade Yves-du-Manoir à Colombes et au stade Roland-Garros. Au Vél’ d’hiv’, douze mille femmes allemandes et autrichiennes étaient internées. En août 1944, des milliers de Français suspects de collaboration allaient à leur tour être conduits au Vél’ d’hiv’ – dans des conditions, parfois, de grande violence. Les photographies, bien connues, de « juifs parqués au Vél’ d’hiv’ » sont d’ailleurs en réalité des photographies de « collabos », prises par l’AFP ou l’agence Keystone en août 1944.[7] Il en va ainsi de toutes les guerres : les ressortissants d’une puissance belligérante hostile sont internés et l’ennemi réel ou potentiel est « neutralisé » en attendant d’être expulsé, jugé ou relâché.
Les bâtiments de Drancy avaient été prévus, avant la guerre, pour être occupés par des gendarmes et leurs familles; après la Libération, ils allaient servir à l’internement de prisonniers allemands ou de « collabos ». Entre-temps, de 1941 à 1944, Drancy avait servi de camp de transfert pour la déportation des juifs de France vers l’Est. Parmi les soixante-sept mille juifs ainsi déportés, seuls huit mille cinq cents ont été des Français de souche et, parmi ces derniers, figuraient des « sujets français » (c’est-à-dire des juifs d’Algérie) et des « protégés français » (c’est-à-dire des juifs du Maroc ou de Tunisie). On doit ces précisions à Maurice Rajsfus dont le livre sur Drancy : un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944 développe la thèse selon laquelle les juifs ont une large part de responsabilité dans l’internement de leurs coreligionnaires à Drancy, dans l’organisation et le fonctionnement du camp et dans la préparation des convois de déportés.
L’auteur reproche avec raison à Georges Wellers et surtout à Serge Klarsfeld d’avoir soit atténué, soit gommé des réalités déplaisantes pour la réputation des juifs.
Progressivement, les juifs élimineront les autorités françaises et s’empareront des leviers de commande du camp de Drancy ; ils traiteront directement avec les AA (autorités allemandes) et il s’ensuivra une étonnante collaboration dont Aloïs Brunner, en particulier, ne pourra que se féliciter.
Drancy comptera successivement sept commandants juifs : le tricoteur Asken qui sera libéré en novembre 1942 avec les grands malades ; Max Blanor ; François Montel; Georges Kohn, de mai 1942 à juin 1943 ; Robert Félix Blum; Georges Schmidt; Oscar Reich et Emmanuel Langberg. Le Bureau des effectifs est juif ; il établit notamment les listes de déportation. Le personnel juif se répartit en une trentaine de services. Une police juive et un tribunal juif s’installent. Une prison est sous la garde et la responsabilité de juifs. Le 24 octobre 1942 sont créés les M.S., c’est-à-dire les membres du service de surveillance. Les cadres juifs portent un brassard blanc et les policiers juifs un brassard rouge ; trois brigades sont formées avec, pour chacune, un brigadier et sept hommes. Ces autorités juives peuvent au besoin faire appel aux gendarmes français qui, eux, gardent l’enceinte du camp. Des juifs sont, par d’autres juifs, mis à l’amende ou tondus à la suite d’une décision – affichée – du tribunal juif présidé par Pierre Masse et Paul Léon. Ils peuvent être inscrits sur la prochaine liste de déportés. Les juifs eux-mêmes en viennent à parler de « Milice sémitique » ou de « Gestapolack ». Quand Robert Félix Blum constituera son directoire, on pourra dire : « Le ministère Blum II est constitué » par allusion au ministère constitué par Léon Blum en 1936. Les permissions ou les libérations peuvent dépendre du CDP (Chef de la police juive). On crée des « missionnaires », c’est-à-dire un corps de juifs chargés d’aller trouver, à l’extérieur du camp, les familles d’internés et de les convaincre d’aller rejoindre volontairement les internés à Drancy ; ces « missionnaires » sont aussi appelés familièrement des « rabatteurs » ou des « piqueurs ». René Bousquet, responsable de la police de Vichy, apprend la nouvelle et s’indigne auprès d’Oberg de pareilles méthodes (on comprend ici qu’un procès Bousquet risquerait de conduire à bien des révélations). Des «physionomistes» juifs s’emploient à repérer des juifs ; « Ost fayer ? » (en yiddish : « As-tu du feu ? »), telle est, par exemple, la question que pose le « physionomiste » à un juif probable ; si l’homme répond, c’est qu’il est juif.
En 1943 la Côte d’Azur est devenue le refuge de très nombreux juifs. Les Allemands, qui redoutent de voir de pareils ensembles d’ennemis potentiels se constituer dans une zone de plus en plus sensible vu le développement de la guerre en Méditerranée, la situation militaire et politique en Italie et la possibilité d’un débarquement dans le sud de la France, décident de lancer des opérations de police. Aloïs Brunner se fait accompagner d’Abraham Drucker, le médecin-chef du camp de Drancy, et de spécialistes juifs chargés de vérifier, sous les porches des immeubles, si les hommes interpellés sont circoncis ou non (après la guerre, des médecins alliés feront se dévêtir des suspects pour voir s’il ne s’agit pas de SS portant sous le bras la marque de leur groupe sanguin). Brunner est à tel point satisfait de l’administration juive du camp qu’il fait supprimer barbelés et matraques. La vie s’organise de mieux en mieux avec d’incessantes constructions nouvelles. À Drancy, on célèbre le culte ashkénaze et le culte sépharade. Il y a une école, un jardin d’enfants, des ateliers. Il y a « de l’argent dans le camp, beaucoup d’argent ».[8]
Il importe de plaire à la « hiérarchie juive » du camp, dispensatrice de faveurs et de sanctions. Si l’on déplaît, on risque la déportation pour ceux qui la redoutent ou la non-déportation pour ceux qui la souhaitent. On peut demeurer à Drancy ou en être libéré; on peut obtenir une permission ou se faire détacher dans l’une des trois annexes où la vie n’est pas trop rude : « Austerlitz », « Lévitan » ou «Rue Bassano» dans le XVIe arrondissement. À l’hôpital Rothschild, il semble que la collaboration avec les autorités allemandes ait été particulièrement satisfaisante pour ces dernières.
Après la guerre, Oscar Reich sera condamné à mort et exécuté mais les autres responsables de Drancy ne connaîtront guère d’ennuis avec les nouvelles autorités françaises et les instances juives.
Pour les non-juifs, il en va tout autrement. Les gendarmes de Drancy passeront en jugement et, pour certains d’entre eux, seront condamnés. Les policiers français auront des comptes à rendre. Aujourd’hui encore, René Bousquet, déjà jugé, pourrait à nouveau être jugé, un demi-siècle après les faits.
Le plus étonnant est que les avocats de Bousquet, de Papon, de Touvier n’auraient nul besoin de forger de savantes plaidoiries pour leurs clients respectifs : ces plaidoiries se trouvent toutes écrites dans les ouvrages où des auteurs juifs, rappelant l’histoire de l’UGIF, du Consistoire ou de Drancy, sont conduits à énumérer les arguments qui peuvent justifier la collaboration ou la coopération des juifs eux-mêmes avec l’ennemi. Il fallait, nous disent-ils, composer. Il fallait donner pour recevoir. Il fallait « sauver les meubles ». On n’était « pas comptable de l’honneur juif mais du sang juif ». Et, par-dessus tout, on ignorait que l’internement puis la déportation conduisaient à l’extermination en chambres à gaz.
Les avocats de Bousquet, de Papon et de Touvier n’osent pas utiliser cet argument décisif, par crainte de paraître « révisionnistes ».
On leur conseillera de lire un article d’Anne Grynberg paru dans Le Monde Juif de juillet-septembre 1988 et intitulé : « Une découverte récente : le fonds d’archives de la Commission des camps (1941-1943) ». Plaidant en faveur du grand rabbin René Hirschler, créateur de la Commission des camps d’internés juifs, et cherchant à défendre tous les responsables juifs qui, pendant la guerre, ont en quelque sorte collaboré pour la bonne cause, A. Grynberg insiste sur le danger de ce qu’elle appelle les « analyses récurrentes ».[9] Elle veut dire que, pour juger ces hommes et ces femmes, il ne faut pas faire état de ce que nous avons appris sur la « Shoah ».
L’argument vaudrait tout aussi bien pour Bousquet, Papon ou Touvier qu’on ne cesse aujourd’hui de présenter comme des pourvoyeurs de la chambre à gaz. Ajoutons, pour notre part, que ce qu’A. Grynberg pense avoir « appris » après la guerre n’a tout simplement pas existé.
Les conseils juifs en Europe
Dès la fin de 1939 les Allemands imposèrent la création de « Conseils juifs » pour l’administration des communautés juives de Pologne par villes, ghettos ou provinces. Certains Conseils s’efforcèrent de contrarier la politique allemande, mais la plupart apportèrent une importante contribution à l’effort de guerre allemand. Elles fournirent main-d’œuvre et produits manufacturés. Cette politique de collaboration résolue fut suivie par le fameux Mordechaï Chaïm Rumkowski, le « roi de Lodz », qui alla jusqu’à frapper sa propre monnaie, Jacob Gens de Vilno, Moshe Merin de Sosnowiec en Silésie et Efraïm Barasz de Bialystok. Ces Conseils juifs réprouvaient la lutte armée contre les Allemands et certains allèrent jusqu’à combattre les résistants. L’Allemagne eut sa « Représentation des juifs allemands du Reich », la France son « Union générale des Israélites de France », la Belgique une « Association des juifs en Belgique ». La Hollande, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et, en Grèce, Salonique eurent leurs Conseils juifs. Ceux de Hollande, de Slovaquie et de Hongrie furent particulièrement coopératifs. Grâce à leur collaboration avec les Allemands, beaucoup de juifs assurèrent largement leur subsistance; certains comme Joinovici et, surtout, Skolnikoff bâtirent de colossales fortunes.
Sionisme et national-socialisme
Sionisme et national-socialisme avaient assez de points communs pour être dénoncés par les communistes, les trotskystes et certains milieux arabes comme des frères, même si, souvent, ces frères allaient se comporter en frères ennemis.
Dès août 1933, l’Agence juive pour la Palestine et les autorités du IIIe Reich concluaient discrètement le « Pacte de transfert » (« Haavara Agreement » ou « Transfer Agreement ») qui permettait de sauver l’économie allemande mise en péril par la décision de boycottage des marchandises allemandes prise par les organisations juives mondiales en mars 1933. Ce pacte facilitait l’émigration de juifs allemands en Palestine. La législation allemande antérieure à l’arrivée de Hitler au pouvoir interdisait le transfert de capitaux à l’étranger, mais Hitler contourna cette interdiction et permit aux juifs d’exporter d’importantes sommes vers la Palestine et cela jusqu’à peu de mois après le commencement de la guerre de 1939.
Pendant la guerre, les contacts entre certains milieux sionistes et les Allemands persistèrent. En 1941 l’Irgun (Organisation militaire nationale) ou « Groupe Stern » ou « Lehi » alla jusqu’à proposer une alliance militaire à l’Allemagne contre la Grande-Bretagne. Un émissaire rencontra à Beyrouth le diplomate Otto Werner von Hentig mais l’offre fut déclinée, peut-être parce que l’Allemagne ne voulait pas « se prêter à une manœuvre tendant à permettre aux juifs de chasser le noble et vaillant peuple arabe de sa mère-patrie, la Palestine. »[10] Shamir, actuel premier ministre d’Israël, fit partie du Lehi au moins à partir de 1944 et, à cette époque, consacra toutes ses forces à la lutte contre la Grande-Bretagne (qui exerçait un protectorat sur la Palestine) et non contre l’Allemagne. En novembre 1944 ce groupe assassina au Caire Lord Moyne, ministre d’État britannique pour le Moyen-Orient. La lutte contre l’armée britannique prit les formes habituelles du terrorisme : les juifs allèrent jusqu’à faire enlever, fouetter et pendre des militaires britanniques. L’explosion de l’hôtel King David, dû au même groupe terroriste juif, causa quatre-vingt-onze morts.
Le crime de Touvier
Replacé dans le contexte général d’une période pleine de bruit et de fureur, le crime qu’on reproche à Touvier n’a certainement pas les proportions que les organisations juives cherchent aujourd’hui à lui donner.
En représailles de l’assassinat de Philippe Henriot le 28 juin 1944, le colonel Knab, commandeur du SD de Lyon, exigea l’exécution d’une centaine de juifs. Sur intervention du capitaine Victor de Bourmont, responsable de la Milice, ce chiffre fut ramené à trente. Puis, sur l’intervention de Touvier, à sept. Ces sept juifs – en réalité, six juifs et un inconnu – furent exécutés près de Lyon, à Rillieux-la-Pape. Ce que les médias omettent en général de rappeler, c’est la raison pour laquelle les Allemands exigeaient des victimes juives. Les juifs jouaient un rôle important dans ce que les troupes d’occupation appelaient le terrorisme et que nous avons pris l’habitude de nommer la Résistance. Qu’on se rappelle, en particulier, l’importance des juifs dans les activités du parti communiste clandestin (voy. «l’Orchestre rouge», « l’Affiche rouge », …). Dans le cas de l’assassinat de Philippe Henriot, les juifs avaient leur part de responsabilité. Dans La Grande Histoire des Français sous l’Occupation, Henri Amouroux écrit :
Philippe Henriot était un adversaire si redoutable [surtout par son éloquence] que, fin mai 1944, Alger avait donné à la Commission d’action militaire (COMAC) rattachée au Conseil National de la Résistance, ordre de l’enlever ou de l’exécuter.[11]
Les chefs de la COMAC étaient au nombre de trois : Ginsburger (dit Pierre Villon), Kriegel (dit Valrimont) et Jean de Vogüe (dit Vaillant). Les deux premiers étaient juifs. Et parmi les exécutants figurait au moins un juif, Jean Frydman, qui devait devenir après la guerre le patron d’un important groupe de presse.[12] Même si les Allemands ont peut-être ignoré ces précisions, ils savaient le rôle actif de la résistance juive dans la préparation et l’exécution des attentats.
La paille et la poutre
Au terme de l’affreuse boucherie de 1939-1945, on se demande qui pouvait s’ériger en juge et faire la leçon aux autres.
Les Alliés comptaient tant d’horreurs à leur actif (en particulier, Katyn, « le Goulag », Dresde, Hiroshima et la déportation de millions d’Allemands) qu’il fallait beaucoup d’impudence pour instituer la parodie judiciaire de Nuremberg. Les démocraties mènent la guerre de façon aussi cruelle que les dictatures, et même plus cruellement encore quand elles disposent d’une économie plus puissante. En ce demi-siècle de guerre, aucune force militaire n’a tué plus d’enfants que l’US Air Force, bras armé de la démocratie américaine : en Allemagne, en France, dans toute l’Europe occupée par les Allemands, au Japon, en Corée, en Indochine, en Irak, au Guatemala et ailleurs encore. Des puissances coloniales comme la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et, à sa façon, l’URSS auraient dû s’abstenir d’accuser l’Allemagne et le Japon.
Les juifs, c’est-à-dire l’État d’Israël ainsi que les organisations juives ou les individualités qui prétendent parler au nom des juifs, seraient bien inspirés de cesser leurs campagnes de haine contre les vaincus de la seconde guerre mondiale. Comme nous l’avons fait remarquer au début de cette étude, les maximalistes juifs, les Simon Wiesenthal, les Élie Wiesel, les Serge Klarsfeld, en sont venus à accuser la terre entière du malheur des juifs, un malheur suffisamment tragique pour qu’on n’ait pas à le grossir démesurément avec des inventions comme celle du génocide et des chambres à gaz. À force d’en appeler sans cesse à la répression, on risque de voir s’ouvrir un jour, au lieu du procès Touvier, du procès Bousquet ou du procès Papon, le procès des « juifs bruns », le procès de ce que M. Rajsfus appelle «l’internationale juive de la collaboration».
Somme toute, mieux aurait valu qu’à la Libération, tous les magistrats français eussent été conduits à pouvoir prendre exemple sur leur collègue, le président Léon Meiss, et donc à passer l’éponge. N’avions-nous pas l’exemple de Churchill qui, à part quelques discrètes sanctions administratives, se refusa à toute mesure de répression à l’égard de ses compatriotes des îles anglo-normandes, qui, pendant près de cinq ans, avaient coopéré avec les Allemands sans leur opposer de résistance armée ?
La France aurait pu s’engager dans la voie de la réconciliation générale des Français…
Pour la rédaction de cet article, j’ai tenu à me limiter essentiellement aux informations fournies par l’Encyclopedia of the Holocaust, ainsi que par les ouvrages suivants de Maurice Rajsfus : Des Juifs dans la Collaboration. I – L’UGIF 1941-1944, II – Une Terre promise ? et Drancy : un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944.
30 mai 1992
[1] Voy. J. Aitken [R. Faurisson], L’origine du mythe. Le mythe des “chambres à gaz” remonte à 1916, Écrits révisionnistes (1974-1998), vol. III, p. 1351-1357.
[2] M. Rajsfus, Des Juifs dans la Collaboration (II). Une Terre promise ?, L’Harmattan, Paris 1989, p. 27.
[3] Aujourd’hui que le communisme est discrédité, on tend à oblitérer le fait que les juifs ont une lourde responsabilité dans la révolution bolchevique et dans les crimes du communisme. Il arrive cependant que, lorsqu’ils se retrouvent entre eux, les intellectuels juifs admettent cette réalité. Le 6 mai 1989, Le Figaro-Magazine publiait la seconde partie d’un débat sur « Être juif » (p. 121-124, 126, 128, 130, 132). Participaient à ce débat sept intellectuels juifs : Roger Ascot, Raphaël Draï, Marek Halter, Bernard-Henri Lévy, Guy Sorman, Adolphe Steg et Pierre Weill. Pierre Weill déclarait, sans se le voir contester : « Ce sont quand même les juifs qui ont construit l’Union soviétique. Finalement, Staline était le seul goy [non juif] à l’époque… » (p. 124). Et d’ajouter : «Ce sont des juifs qui ont construit un des plus grands délires du XXe siècle!» Sur quoi B.-H. Lévy confesse : « La grande énigme, en effet, l’exception à ce que je viens de dire, c’est l’histoire de 1917, c’est la participation d’un certain nombre d’intellectuels juifs à la construction du bolchevisme. C’est ce qui complique un peu l’affaire. On a probablement assisté là à une perversion du sens de l’universel » (p. 126). Pour B.-H. Lévy, les juifs auraient un sens particulièrement aigu de ce qu’il appelle « l’universel ». Pendant la guerre civile d’Espagne, les juifs communistes ont joué un rôle important dans les Brigades internationales et, en particulier, au titre de commissaires politiques (responsables de nombre de crimes et d’excès). De même en France, pour l’Épuration. En 1945, partout en Europe où se sont installés des régimes communistes et spécialement en Pologne, les staliniens ont trouvé chez les juifs de fervents collaborateurs ; en Pologne notamment, où la communauté juive se reformait, Staline ne pouvait compter ni sur l’armée (décimée à Katyn et en d’autres camps), ni sur la bourgeoisie, ni sur les catholiques mais essentiellement sur les juifs dont il allait truffer la police de Jacob Berman. L’antisémitisme polonais reprenait vie. En URSS, le « complot des blouses blanches » fut d’inspiration clairement antisémite mais il est faux que, par la suite, les dirigeants de l’URSS aient persécuté les juifs. Contrairement à une allégation complaisamment répétée, les juifs formaient la seule population de l’Union soviétique à bénéficier du plus envié des privilèges, celui de pouvoir quitter le pays. C’était à qui se découvrirait une ascendance juive pour obtenir ce privilège. Lazare Kaganovitch, le « bourreau de l’Ukraine », allait, jusqu’à sa mort, jouir de tous les avantages de la nomenklatura. Il n’était pas le seul juif dans ce cas, en particulier dans les médias soviétiques.
[4] Phillippe Boukara, « French Jewish Leadership during the Holocaust », in Patterns of Prejudice, périodique de l’Institute of Jewish Affairs, Londres 1988, p. 50. Il s’agit du compte rendu d’un livre du meilleur spécialiste de la question, Richard Cohen : The Burden of Conscience – French Jewish Leadership during the Holocaust [Le Poids de la conscience : Les dirigeants de la communauté juive française pendant l’Holocauste]. R. Cohen y montre «l’habileté financière [de l’UGIF-Nord]».
[5] J. Helbronner approuvait en novembre 1940 certaines mesures prises par l’État français contre les étrangers et parlait de « normal antisémitisme » (Denis Peschanski, « Les statuts des juifs du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 », Le Monde juif, janvier-mars 1991, p. 19).
[6] Voy. Le Monde juif, octobre-décembre 1987, p. 200.
[7] Voy. Gérard Le Marec, Les Photos truquées. Un siècle de propagande par les images, Atlas, Paris 1985, p. 124-127.
[8] Voy. sur le camp de Royallieu à Compiègne : « Le soir, à la lueur des chandelles, après le couvre-feu officiel, ils jouaient de grosses sommes au baccara, au poker ou aux petits paquets. Des fortunes indécentes s’étalaient sur les tables » (Adam Rutkowski, Le Monde Juif, octobre-décembre 1981, p. 143).
[9] A. Grynberg, « Une découverte récente : le fonds d’archives de la Commission des camps (1941-1943) », Le Monde Juif, juillet-septembre 1988, p. 116.
[10] H. Monneray, La Persécution des juifs dans les pays de l’Est présentée à Nuremberg, éditions du Centre de documentation juive contemporaine, Paris 1949, p. 168-169.
[11] Tome 8, 1988, p. 417.
[12] Maurice Rajsfus, Drancy : un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944, Manya, Levallois-Perret 1991, p. 330, n. 43.