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Communiqué – Texte de l’arrêt du 26 avril 1983

Paris, mardi 26 avril 1983 à 16 heures

 

La cour d’appel de Paris (1re chambre civile) vient de rendre son arrêt dans l’affaire opposant neuf associations, conduites par la LICRA, au professeur Faurisson, qui nie l’existence des chambres à gaz homicides dans les camps de concentration allemands.

Le professeur Faurisson relève que, selon le texte de l’arrêt :

Il convient de constater que les accusations de légèreté formulées contre lui manquent de pertinence et ne sont pas suffisamment établies […]

et que :

… il n’est pas davantage permis d’affirmer, eu égard à la nature des études auxquelles il s’est livré, qu’il a écarté les témoignages par légèreté ou négligence, ou délibérément choisi de les ignorer ; qu’en outre, personne ne peut en l’état le convaincre de mensonge lorsqu’il énumère les multiples documents qu’il affirme avoir étudiés et les organismes auprès desquels il aurait enquêté pendant plus de quatorze ans ; que la valeur des conclusions défendues par M. Faurisson relève donc de la seule appréciation des experts, des historiens et du public.

La cour l’a néanmoins condamné :

Considérant que les positions adoptées par M. Faurisson sont aussi blessantes pour les survivants des persécutions raciales et de la déportation qu’outrageantes pour la mémoire des victimes.




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Texte de l’arrêt du 26 avril 1983

COUR D’APPEL DE PARIS

1re chambre, section A

ARRÊT DU 26 AVRIL 1983

sur appel d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 8 juillet 1981

 
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Confirmation 
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Arrêt du 26 avril 1983.

Parties en cause :

1° M. Robert Faurisson, demeurant…, appelant, ayant pour avoué Me Menard et pour avocats Me Delcroix [du barreau de Paris] et Me Chotard du barreau de Nantes.

Et aussi :

1° M. Serge Thion, chargé de recherches au CNRS, domicilié à… ;

2° M. Maurice Di Scuillo, demeurant… ;

3° M. Rittersporn Gabor, chercheur au CNRS, demeurant… ;

4° M. Redlinski Jean-Luc, demeurant… ;

5° M. Jean-Gabriel Cohn-Bendit, enseignant, demeurant… ;

6° M. Pierre Guillaume, éditeur… ;

7° M. Jacob Assous, domicilié…

appelants,

ayant pour avoué Me Menard et pour avocat Me Berthout, avocat à Flers.

Et :

1° La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) dont le siège est à Paris, prise en la personne de son président, M. Jean Pierre-Bloch, domicilié audit siège, 40, rue de Paradis, intimée, ayant pour avoué Me Roblin et pour avocats Me Bernard Jouanneau et Me Korman ;

2° L’Association nationale des familles de résistants et d’otages morts pour la France (ANFROMF) dont le siège est à Paris, 8, rue des Bauches, représentée par son président, Mme Irène de Lipkowski ;

3° L’Union nationale des associations de déportés internés et familles de disparus (UNADIF) dont le siège est à Paris, 8, rue des Bauches, représentée par son président, M. Jean Cuelle ;

4° La Fédération nationale des déportés et internés de la résistance (FNDIR) dont le siège est 8, rue des Bauches, à Paris, représentée par son président, M. Teyssandier;

5° L’Union nationale des déportés, internés et victimes de guerre (UNDIVG) dont le siège est à Paris, 5, place des Ternes, représentée par son président, fondateur, M. R. Clavel ;

6° Le Comité d’action de la résistance (CAR) dont le siège est à Paris, 10, rue de Charenton, représenté par son président, Mme Marie-Madeleine Fourcade ;

intimées,

ayant pour avoué la SCP Garnier-Duboscq et pour avocats Mes Dubarry et P.-F. Veil ;

7° L’Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie (ADAC) dont le siège est 10, rue Leroux, à Paris, représentée par son président, Mme Marie-Élisa Cohen, intimée, ayant pour avoué Me Varin, et pour avocat Me Imerglik ;

8° Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) dont le siège est 89, rue Oberkampf, 11e, représenté par son président, M. Pierre Paraf, intimé, ayant pour avoué MVarin, et pour avocat Me Rappaport ;

9° L’Association des fils et filles des déportés juifs de France dont le siège est 78, rue de la Fédération, Paris 15e, représentée par Me Klarsfeld, son président, intimée, appelante incidente, ayant pour avoué Me Ribaut et pour avocat Me Halimi ;

10° La SARL « Le Monde » dont le siège est 5, rue des Italiens à Paris 9e, intimée, ayant pour avoué Me Ribadeau-Dumas et pour avocat Me Y. Baudelot ;

[Page 3.]

11° La société du « Nouveau Quotidien de Paris » [= Le Matin de Paris, NdE] dont le siège est 21, rue Hérold, Paris 1er, prise en la personne de ses représentants légaux, intimée, ayant pour avoué Me Dauthy et pour avocat M. le bâtonnier Couturon.

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Composition de la cour (lors des débats et du délibéré) : MM. Grégoire, président, Fouret et Le Foyer de Costil, conseillers.  Greffier : Mlle Montmory. 

Ministère public (auquel le dossier a été communiqué) représenté par Mme Flipo, avocat général, qui, à l’audience du 15 février 1983, a développé ses conclusions écrites.

Débats : aux audiences publiques des 13 décembre 1982 et 15 février 1983 (la cour siégeant dans la même formation).

Arrêt : contradictoire.

R. Robert Faurisson est appelant d’un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 8 juillet 1981 qui, après avoir déclaré recevable la demande formée contre lui par la LICRA ainsi que les interventions des autres associations ci-dessus énumérées, l’a condamné à leur payer un franc de dommages-intérêts et a ordonné la publication dans trois journaux des motifs de fond énoncés par les premiers juges ainsi que du dispositif de leur décision.

Les associations estiment que M. Faurisson a porté atteinte aux intérêts moraux qu’elles défendent en rendant publiques les conclusions auxquelles l’ont amené ses recherches sur les camps de concentration créés, avant et pendant la seconde guerre mondiale, sur le territoire de l’Allemagne et des pays occupés par elle.

R. Faurisson, qui se déclare « révisionniste » par opposition aux historiens «officiels» ou « exterminationnistes », prétend avoir démontré qu’aucune chambre à gaz n’a jamais été utilisée dans aucun de ces camps. Après avoir exposé cette thèse dans plusieurs ouvrages, il l’a soutenue dans des articles de presse et des entretiens accordés à des journalistes, puis dans un « mémoire en défense » publié à l’occasion du présent procès. Elargissant le débat malgré les vives contestations qu’il a rencontrées, il en est venu à affirmer que « ce qui est contesté c’est l’existence dans l’Allemagne hitlérienne de camps d’extermination », que l’« intention criminelle que l’on prête à Hitler n’a jamais pu être prouvée », que « les prétendus massacres en chambres à gaz et le prétendu génocide sont un seul et [Page 4.] même mensonge», et finalement que « Hitler n’a jamais ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion », phrase pour laquelle il a été condamné à trois mois de prison avec sursis.

Les premiers juges, après avoir affirmé le principe de la liberté de l’historien, ont ajouté que les témoins encore vivants d’une époque récente « méritent égards et considération » et qu’un « devoir élémentaire de prudence » s’impose au chercheur, l’Histoire « se devant d’attendre que le temps permette une étude sans agressivité de certains problèmes d’horreur ». Ils ont estimé que dans le cas d’espèce M. Faurisson avait manqué à ses obligations en écartant par principe tous les témoignages contraires à sa thèse, en orientant son analyse des documents « dans le sens de la négation » et en se livrant « sur un ton messianique » à des proclamations « qui relèvent plus du discours politique que de la recherche scientifique ». Ils ont enfin jugé que ces fautes avaient bien porté atteinte aux intérêts moraux dont les associations demanderesses assument la défense.

Moyens développés par les parties

Sur la recevabilité des demandes

Pour soulever l’irrecevabilité des demandes formées contre lui, M. Faurisson soutient:

– que les intimées n’ont pas qualité pour ester en justice au nom de l’intérêt collectif de leurs membres ;

– que leur objet « ne postule pas la défense de telle ou telle thèse historique » et qu’elles ne peuvent légitimement se prévaloir de leur volonté d’ imposer à l’opinion publique l’idée qu’elles se font d’événements controversés ;

– que le tribunal devait débouter les demanderesses dès lors qu’il ne se reconnaissait pas compétence pour trancher un débat de cette nature.

En ce qui concerne plus spécialement l’intervention de l’UNDIVG, il relève qu’en première instance cette association « n’a fait enregistrer sa cause » qu’après l’ordonnance de clôture. Il reproche d’autre part au jugement entrepris d’avoir fait bénéficier d’une condamnation l’Association des fils et filles des déportés juifs qu’il avait déclarée irrecevable à demander par voie d’intervention principale la réparation d’un préjudice réalisé avant la date de sa constitution.

[Page 5.]

Les intimées répliquent en invoquant les décisions de la Cour de cassation qui admettent les associations à demander réparation d’atteintes en rapport avec « la spécialité de leur but et l’objet de leur mission ».

L’UNDIVG rappelle qu’elle est intervenue par conclusions du 6 novembre 1980, alors que l’ordonnance de clôture n’a été rendue que le 25 février 1981 après jonction des diverses instances engagées contre M. Faurisson.

De son côté l’Association des fils et filles des déportés juifs fait état à l’appui de son appel incident d’une série d’arrêts selon lesquels une association peut demander réparation d’un préjudice réalisé antérieurement à sa constitution.

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Par ailleurs ont interjeté appel principal M. Serge Thion et six autres personnes qui étaient intervenus aux débats de la première instance, d’abord à titre accessoire en raison de leur solidarité intellectuelle et morale avec M. Faurisson et dans la crainte qu’un jugement favorable à la LICRA ne leur cause préjudice, mais encore à titre principal en réparation du dommage qu’ils auraient personnellement subi du fait de la « propagande émaillée d’illustrations mensongères » que la LICRA pratique à leur égard. Le tribunal a déclaré les interventions irrecevables, estimant que leurs auteurs ne justifiaient ni d’« une volonté positive et concrète de protéger des droits personnels », ni d’un « préjudice direct et personnel » que leur aurait causé la LICRA en recherchant la responsabilité de M. Faurisson.

Sur le fond,

R. Faurisson fait valoir que les critiques de la LICRA sont dirigées contre quatre brefs articles de presse (Le Matin, 16 novembre 1979, Le Monde, 16 et 29 décembre 1978, 16 janvier 1979) dont les deux derniers seulement contiennent un résumé des résultats de quatorze ans de recherches, ce qui excluait toute possibilité de discussions exhaustives. Ses conclusions développent longuement les trois points suivants : son travail est de caractère scientifique et lui permet de répondre à toutes les objections qui lui sont faites par la LICRA, qui ne soupçonnait pas la complexité du problème qu’elle a soulevé. Il expose sur plus de quarante pages quels documents et [Page 6.] quelles études le mettent en mesure d’affirmer que la croyance aux «prétendues chambres à gaz» se heurte à une impossibilité de fait et qu’aucun des témoignages recueillis ne permet de conclure à leur existence. Il reproche au tribunal de s’être contenté de généralités vagues et « simplificatrices » pour l’accuser de légèreté ou d’imprudence, alors que c’est lui-même qui met ses adversaires en demeure d’apporter ne serait-ce qu’un « unique témoignage » qui contredirait sa thèse de façon convaincante, et que, d’autre part, aucune preuve n’a davantage été apportée des prétendues « falsifications » qui lui sont reprochées.

Il offre d’ailleurs de comparaître devant la cour et de lui présenter un film qu’il a réalisé sur « le problème des chambres à gaz ».

Il réclame la condamnation de chacune des associations intimées au paiement de un franc de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral qu’elles lui auraient causé et de trente-cinq mille francs par application de l’article 700 du nouveau code de procédure pénale.

S. Thion et autres réclament, outre le rejet des demandes formées contre M. Faurisson, 10 francs de dommages-intérêts pour chacun d’eux, la publication de l’arrêt sollicité et le bénéfice de l’article 700 du nouveau code de procédure pénale.

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R. Faurisson a également intimé devant la cour les sociétés du « Nouveau Quotidien de Paris » et « Le Monde » contre qui aucune demande n’a été formée et que les premiers juges ont mises hors de cause.

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La LICRA, qui fonde son action sur les articles 1382 et 1383 du code civil, reproche à M. Faurisson :

  1. d’avoir écarté systématiquement et sans explications des témoignages et des documents importants qui vont à l’encontre de sa thèse ;
  2. d’avoir omis de poursuivre ses investigations auprès de certaines organisations qui ont elles aussi étudié les mêmes questions et possèdent des archives à leur sujet ;
  3. d’avoir dénaturé le journal de Kremer, médecin du camp d’Auschwitz, et les aveux de Höss, commandant du même camp ;
  4. d’avoir exposé des interprétations techniques fallacieuses ;

[Page 7.] Les autres associations intimées reprennent les mêmes critiques. L’Association des fils et filles des déportés juifs ajoute que « M. Faurisson nie la réalité de la mort des juifs » et cause ainsi « une violente souffrance » à leurs descendants en même temps qu’il « fomente sciemment la haine antisémite » et «ouvre la voie à une possible tentative de réhabilitation du nazisme».

Ces associations, à l’exception de la LICRA et des Fils et filles des déportés juifs, sollicitent le bénéfice de l’article 700 du NCPC.

Cela étant exposé, la cour,

Considérant que les premiers juges ont rappelé avec raison que les tribunaux ne sont ni compétents ni qualifiés pour porter un jugement sur la valeur des travaux historiques que les chercheurs soumettent au public et pour trancher les controverses ou les contestations que ces mêmes travaux manquent rarement de susciter ;

Qu’il importe avant toute chose de réaffirmer le principe de la liberté de la recherche et d’en assurer le cas échéant la protection, en rejetant notamment l’idée d’une sorte de délai de rigueur pendant lequel la critique historique ne serait pas autorisée à s’exercer sur les événements les plus récents et sur le comportement de ceux qui s’y sont trouvés mêlés ;

Considérant néanmoins que, même dans l’exercice de son activité scientifique, et en particulier lors de la publication des résultats de ses travaux, tout historien demeure soumis envers autrui au principe de responsabilité édictée par les articles 1382 et 1383 du code civil ; que ces textes faisaient en l’espèce à M. Faurisson un devoir impératif de ne formuler qu’avec la plus grande circonspection des thèses ou des affirmations manifestement blessantes pour les victimes des événements qu’il a choisi d’étudier ou pour leurs descendants ;

Considérant en conséquence que si les neuf associations intimées ne peuvent prétendre interdire à quiconque de remettre en cause tel ou tel aspect de l’histoire des persécutions raciales au XXe siècle, les demandes qu’elles ont formées contre M. Faurisson sont recevables dans la mesure où elles lui font grief d’avoir, avec légèreté ou de mauvaise foi, porté atteinte, par ses écrits ou ses propos, aux intérêts collectifs de leurs membres dont elles ont reçu pour mission d’assurer la protection, étant rappelé que leur objet commun est de défendre le souvenir des victimes du nazisme et de la déportation et de lutter contre toutes les formes du racisme ;

[Page 8.] Considérant plus spécialement que les intérêts moraux collectifs des Fils et filles des déportés juifs préexistaient à l’association créée en 1979 et que celle-ci est donc recevable à agir alors même que l’atteinte prétendument portée à de tels intérêts aurait été réalisée avant cette date ; que le jugement entrepris sera en conséquence réformé sur ce point ;

Considérant que les moyens relatifs à la recevabilité de l’intervention de l’UNDIVG en première instance sont, devant la cour, dépourvus de toute pertinence, dès lors que l’article 554 du NCPC autoriserait cette association à intervenir pour la première fois en cause d’appel ;

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Considérant que MM. Thion, Di Scuillo et autres ne peuvent intervenir à titre principal dès lors que leur demande tend à la réparation du préjudice personnel que leur causeraient des écrits qui sont étrangers aux présents débats et ne s’y rattachent pas assez directement pour que se trouve satisfaite la condition posée par l’article 325 du NCPC ;

Considérant en revanche que M. Pierre Guillaume, qui affirme sans être contredit, qu’il a édité le Mémoire en défense de M. Faurisson, possède de ce fait un intérêt à intervenir à ses côtés, puisque la condamnation sollicitée frapperait cet ouvrage à travers son auteur ;

Que les autres intervenants ne justifient pas d’un intérêt distinct de leur solidarité intellectuelle avec M. Faurisson et que dans ces conditions le présent arrêt ne peut en rien préjuger des appréciations qui pourraient être éventuellement portées sur leurs propres écrits ;

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Considérant que la présente instance a été initialement introduite par la LICRA à l’occasion des articles de presse visés ci-dessus – et principalement des deux lettres adressées au Monde par M. Faurisson en décembre 1978 et janvier 1979 – mais qu’au cours du déroulement du procès celui-ci s’est élargi par le fait de M. Faurisson lui-même, qui a versé aux débats son ouvrage intitulé Mémoire en défense dont l’objet est de préciser ses thèses et de répondre aux accusations portées contre lui par les associations intimées ;

[Page 9.] Considérant qu’il ressort de ces diverses publications, comme des conclusions prises devant la cour, que les recherches de M. Faurisson ont porté sur l’existence des chambres à gaz qui, à en croire de multiples témoignages, auraient été utilisées durant la seconde guerre mondiale pour mettre à mort de façon systématique une partie des personnes déportées par les autorités allemandes ;

Considérant qu’à s’en tenir provisoirement au problème historique que M. Faurisson a voulu soulever sur ce point précis, il convient de constater que les accusations de légèreté formulées contre lui manquent de pertinence et ne sont pas suffisamment établies ; qu’en effet la démarche logique de M. Faurisson consiste à tenter de démontrer, par une argumentation [qu’il estime[1]] de nature scientifique, que l’existence des chambres à gaz, telles que décrites habituellement depuis 1945, se heurte à une impossibilité absolue, qui suffirait à elle seule à invalider tous les témoignages existants ou à tout le moins à les frapper de suspicion ;

Que s’il n’appartient pas à la cour de se prononcer sur la légitimité d’une telle méthode ni sur la portée des arguments exposés par M. Faurisson, il n’est pas davantage permis d’affirmer, eu égard à la nature des études auxquelles il s’est livré, qu’il a écarté les témoignages par légèreté ou négligence, ou délibérément choisi de les ignorer ;

Qu’en outre, personne ne peut en l’état le convaincre de mensonge lorsqu’il énumère les multiples documents qu’il affirme avoir étudiés et les organismes auprès desquels il aurait enquêté pendant plus de quatorze ans ;

Que la valeur des conclusions défendues par M. Faurisson relève donc de la seule appréciation des experts, des historiens et du public ;

Mais considérant qu’une lecture d’ensemble des écrits soumis à la cour fait apparaître que M. Faurisson se prévaut abusivement de son travail critique pour tenter de justifier sous son couvert, mais en dépassant largement son objet, des assertions d’ordre général qui ne présentent plus aucun caractère scientifique et relèvent de la pure polémique ; qu’il est délibérément sorti du domaine de la recherche historique et a franchi un pas que rien, dans ses travaux antérieurs, [Page 10.] n’autorisait, lorsque, résumant sa pensée sous forme de slogan, il a proclamé que « les prétendus massacres en chambres à gaz et le prétendu génocide sont un seul et même mensonge» ; que, par-delà la négation de l’existence des chambres à gaz, il cherche en toute occasion à atténuer le caractère criminel de la déportation, par exemple en fournissant une explication personnelle mais tout à fait gratuite des « actions spéciales » mentionnées à quinze reprises et avec horreur dans le journal du médecin Kremer ;

Que sans doute il proteste dans ses dernières conclusions contre les « falsifications » de sa pensée qui lui prêteraient l’opinion « qu’il n’y a pas eu de victimes juives » de l’Allemagne nazie; que cependant ses propos conduisent le lecteur, de façon plus ou moins insinuante, à cette idée que, « chambres à gaz » et « génocide » se confondant, il y a eu assurément des «victimes juives» mais que le massacre des juifs est une exagération, voire une « rumeur de guerre », puisqu’il semble bien, à lire M. Faurisson, que les déportés d’Auschwitz mouraient avant tout du typhus, à quoi s’ajoute que l’emploi du terme « génocide » serait à strictement parler impropre, que le chiffre de six millions de victimes juives est évidemment approximatif et que d’ailleurs on n’a jamais pu retrouver un ordre écrit de Hitler concrétisant sa décision d’« exterminer » les Juifs ;

Que M. Faurisson, qui s’indigne de ce qu’il nomme « la religion de l’holocauste », n’a jamais su trouver un mot pour marquer son respect aux victimes en rappelant la réalité des persécutions raciales et de la déportation en masse qui a causé la mort de plusieurs millions de personnes, juives ou non, de sorte qu’en dépit du caractère partiel de ses travaux son « révisionnisme », qu’il oppose à « la cause des exterminationnistes », peut faire figure d’une tentative de réhabilitation globale des criminels de guerre nazis ;

Considérant que les positions ainsi adoptées par M. Faurisson sont aussi blessantes pour les survivants des persécutions raciales et de la déportation qu’outrageantes pour la mémoire des victimes, dont le grand public se trouve incité à méconnaître les souffrances, si ce n’est à les mettre en doute ; qu’en outre elles sont évidemment de nature, ainsi que l’a justement relevé le tribunal, à provoquer des réactions passionnelles d’agressivité contre tous ceux qui se trouvent ainsi implicitement accusés de mensonge et d’imposture ;

[Page 11.]

Considérant que les fautes de M. Faurisson ont causé le préjudice invoqué par les associations intimées ; que les condamnations prononcées par le jugement entrepris en assureront une juste réparation ;

Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des intimées l’intégralité des frais qu’elles ont été contraintes d’exposer en cause d’appel ; qu’il n’y a pas lieu en revanche de préciser, comme le demande la LICRA, quels sont les débours qui doivent entrer dans les dépens;

Considérant qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réouverture des débats présentée au nom de M. Faurisson, le dernier jour du délibéré, et qui fait état de la découverte de prétendus carnets d’Adolf Hitler ; qu’il n’apparaît pas en effet, eu égard aux motifs développés ci-dessus, que d’éventuelles révélations apportées par ces documents puissent avoir une incidence quelconque sur la solution du présent litige ;

Par ces motifs,

Joint les instances suivies sous les n° 1.14.650, 1.15.635 et 1.18.042 ;

Sur la recevabilité

Faisant droit pour partie aux appels, déclare recevable l’intervention principale de l’Association des fils et filles des déportés juifs de France et l’intervention accessoire de M. Pierre Guillaume ;

Confirme le jugement sur le surplus ;

Sur le fond

Déboute M. Robert Faurisson et M. Guillaume de leur appel principal ;

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Dit toutefois que la mesure de publication ordonnée par les premiers juges portera sur les pages 7 à 10 du présent arrêt, qui seront suivies d’une mention résumée des condamnations prononcées ;

Condamne M. Faurisson à payer, au titre de l’article 700 du NCPC, la somme de 2 000 francs à chacune des associations intimées, à l’exception de la LICRA et de l’Association des fils et filles des déportés juifs de France ;

Le déboute de ses demandes reconventionnelles ;

Le condamne au paiement des dépens d’appel, à l’exception de ceux qu’ont exposés MM. Thion, Di Scuillo et autres, qui en supporteront la charge ;

[Page 12.]

Admet Mes Roblin, Varin, Ribadeau-Dumas, Dauthy, Ribaut et la SCP Garnier-Duboscq, avoués, au bénéfice de l’article 699 du NCPC.

Prononcé à l’audience publique de la cour d’appel de Paris, 1re chambre, le 26 avril 1983, par M. le président Grégoire, qui a signé avec Mlle Montmory, greffier.

26 avril 1983

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[1] Ces mots ont été ajoutés à la plume. [NdE]

[Publié dans J. Aitken, Épilogue judiciaire de l’affaire Faurisson, La Vieille Taupe, Paris août 1983, p. 5-15.]