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“Une preuve… une seule preuve”

Lettre en droit de réponse au Monde du 21 février 1979, p. 23,
et au Monde du 23 février 1979, p. 40 (non publiée)

Dans une longue déclaration, trente-quatre historiens français viennent de nous faire savoir qu’il est certes « naturel » de se poser toutes sortes de questions sur la Seconde Guerre mondiale, mais que, néanmoins, « il n’y a pas, il ne peut y avoir de débat sur l’existence des chambres à gaz ».

Pour ma part, je constate qu’il y a un débat sur l’existence ou non des « chambres à gaz » et je crois que ce débat est légitime. Longtemps, il a opposé quelques spécialistes de l’école des historiens révisionnistes à quelques spécialistes de l’histoire officielle. Ce débat s’est en quelque sorte ouvert en 1960 quand le Dr Martin Broszat, représentant du très officiel Institut d’histoire contemporaine de Munich, a dû faire une énorme concession au révisionniste Paul Rassinier : il lui a fallu admettre qu’en dépit d’une prétendue surabondance de preuves, de documents, de témoignages et d’aveux, tous dignes de foi, il n’avait pourtant jamais existé une seule « chambre à gaz » dans tous les camps de concentration de l’Ancien Reich. En 1968, la discussion avait été relancée, du côté officiel, par Olga Wormser-Migot qui, affrontant une véritable tempête de protestations, osait parler dans sa thèse de ce qu’elle nommait alors « le problème des chambres à gaz ». Depuis 1974, ce débat est peu à peu devenu public en Europe occidentale et dans tout le monde anglo-saxon (y compris, tout récemment, en Australie !). La presse française ne peut plus l’ignorer, sous peine de pratiquer une forme de censure.

Ce débat est déjà riche d’enseignements. Un lecteur attentif du Monde aura beaucoup appris de la seule lecture de son journal, le 21 février 1979, où toute une page est exclusivement consacrée à un exposé des thèses de l’histoire officielle. Pour commencer, le lecteur aura appris que, dans certains camps, on présente «aux pèlerins ou aux touristes» de fausses «chambres à gaz» (il est seulement dommage qu’on ne lui nomme pas ces camps). Puis, il aura appris que le chiffre de trois millions de morts pour Auschwitz est « certainement exagéré », ce qui le surprendra s’il se rappelle que le chiffre officiel est de quatre millions. Il aura constaté que, là où les archives allemandes sont déclarées « muettes »,[1] on tend à les interpréter. Il aura vu que, là où les documents du IIIe Reich sont « apparemment anodins », on les interprète au point, par exemple, de dire que « traiter en conséquence » signifie… «gazer». Il aura noté que les ordres de Himmler, soit de construire, soit de détruire les «chambres à gaz», ne font l’objet d’aucune précision ; c’est qu’en fait de tels ordres n’ont apparemment jamais existé. Il aura appris que le « document » de l’ingénieur SS Gerstein est jugé « indiscutable », non pas dans sa totalité mais seulement « sur l’essentiel ». Avec un peu d’attention encore, il aura remarqué que, dans ce qu’on veut bien lui citer de ce document, il est question de 700 à 800 personnes dans une « chambre à gaz » de 25 m2 de surface et d’une hauteur de 1,80 m : ce qui donne 28 à 32 personnes debout dans un espace d’un mètre sur un mètre ! Dans la liste des trente-quatre historiens il aura peut-être remarqué qu’il ne figure qu’un seul spécialiste de l’histoire des camps. Dans la liste bibliographique il aura deux fois rencontré le nom d’Olga Wormser-Migot pour des ouvrages secondaires mais non pour sa thèse, sans doute jugée dangereuse ; et il n’aura trouvé aucun livre ni aucun article consacré aux «chambres à gaz» pour la bonne raison qu’il n’en existe, du côté officiel, ni en français, ni en aucune langue étrangère (attention, ici, à certains titres trompeurs !).

Au lecteur du Monde on parle d’un exposé sur «la solution finale du problème juif» en date du 20 janvier 1942. On se demande vraiment pourquoi le texte de cet exposé n’est pas appelé, comme on le fait d’habitude, par son nom de « Protocole de Wannsee ». Je note que, depuis quelque temps, on semble s’être aperçu que cet étrange procès-verbal (car le mot de «Protocole» est un faux sens) est plein de bizarreries et qu’il est dénué de toute garantie d’authenticité. Il a été dactylographié sur du papier ordinaire, sans indication de lieu ni de date de rédaction, sans indication de provenance, sans en-tête officiel, sans référence, sans signature. Cela dit, je pense que la réunion du 20 janvier 1942 a bien eu lieu et qu’elle concernait «la solution, enfin, du problème juif», c’est-à-dire que, leur émigration vers Madagascar étant rendue impossible par la guerre, on décidait le refoulement des populations juives vers l’Est européen.

Quiconque fonde quelque accusation que ce soit sur le « document » Gerstein (PS-1553) fait, par là même, la preuve de son incapacité à trouver un argument solide en faveur de l’existence des «chambres à gaz». Même le Tribunal militaire international de Nuremberg n’avait pas voulu exploiter ce texte sorti de ses archives. D’autres tribunaux, il est vrai, s’en sont contentés. La confession de R. Höss n’a pas plus de valeur. Je ne reviendrai pas sur cet « aveu » rédigé sous la surveillance de ses geôliers polonais et staliniens. Le moindre effort d’analyse en montre le caractère fabriqué; je renvoie là-dessus aux ouvrages de Paul Rassinier et, en particulier, à son étude sur Le véritable procès Eichmann. Quant au Journal de Kremer, écrit pendant la guerre, il est authentique mais on en sollicite abusivement quelques passages ou bien l’on en déforme le texte pour nous faire croire que Kremer parle des horreurs des « chambres à gaz » là où, en réalité, il décrit les horreurs d’une épidémie de typhus. Après la guerre, Kremer a, bien entendu, avoué ce qu’on voulait lui faire avouer selon tous les stéréotypes des spécialistes de l’aveu. On me reproche d’avoir caché ce point. Je ne l’ai pas caché. J’ai expressément mentionné l’existence de ces « aveux ». Je n’en ai pas analysé le texte tout simplement parce qu’on s’était heureusement abstenu de me le présenter comme une preuve de l’existence de «chambres à gaz» à Auschwitz ! Quand Kremer parle de trois femmes fusillées, je veux bien l’en croire. Il pouvait arriver, je pense, qu’un convoi de mille sept cent dix personnes comprenne trois personnes à fusiller sur place, à Auschwitz. Mais quand Kremer, après la guerre, nous dit qu’il s’agissait de femmes refusant d’entrer dans la « chambre à gaz », je n’en crois rien. Je n’ai qu’à me reporter à ce qu’il prétend avoir vu d’une prétendue opération de gazage, observée de sa voiture. Kremer fait partie de ces gens selon qui la réouverture de la « chambre à gaz » se faisait «un moment» après la mort des victimes.[2] J’ai déjà montré qu’il y avait là une impossibilité matérielle. Et puis, je constate que, pour tenter d’expliquer une confession, celle de Kremer, on s’appuie sur une autre confession, celle, comme par hasard, de Höss. Le point troublant est que ces deux confessions, toutes deux obtenues par la justice militaire polonaise, se contredisent beaucoup plus qu’elles ne se confirment. Voyez de près la description et des victimes, et du cadre, et des exécutants et du mode d’exécution.

Je ne comprends pas la réponse qui m’est faite concernant le Zyklon B. Employé dans une «chambre à gaz», il aurait adhéré au plafond, au plancher, aux quatre murs et il aurait pénétré les corps des victimes et leurs muqueuses pendant vingt heures au moins. Les membres du Sonderkommando (en fait, le kommando du crématoire) chargés, dit-on, d’aller retirer les cadavres de la «chambre à gaz» une demi-heure après le déversement (?) du Zyklon B auraient été instantanément asphyxiés. Et, de cela, les Allemands n’auraient pu se moquer, puisque le travail n’aurait pas été fait et qu’aucune nouvelle fournée de victimes n’aurait pu être amenée.

Il ne faut pas confondre une asphyxie suicidaire ou accidentelle avec une exécution par le gaz. Dans le cas d’une exécution, l’exécutant et son entourage ne doivent pas courir le moindre risque. Aussi les Américains, pour asphyxier un seul détenu à la fois, emploient-ils un processus compliqué dans un espace réduit et hermétiquement clos où toute manœuvre se déclenche de l’extérieur. Le prisonnier a les pieds et les poings liés et la tête immobilisée. Après sa mort, on aspire et on neutralise le gaz et les gardiens doivent attendre plus d’une heure pour pénétrer dans le petit local. Une «chambre à gaz» n’est pas une chambre à coucher.

Depuis quatre ans je souhaite un débat public avec qui l’on voudra sur « le problème des chambres à gaz ». On me répond par des assignations en justice. Mais les procès de sorcellerie, tout comme la chasse aux sorcières, n’ont jamais rien prouvé. Je connais un moyen de faire progresser le débat. Au lieu de répéter à satiété qu’il existe une surabondance de preuves attestant de l’existence des « chambres à gaz » (rappelons-nous la valeur de cette prétendue surabondance pour les « chambres à gaz » – mythiques – de l’Ancien Reich), je suggère que, pour commencer par le commencement, on me fournisse une preuve, une seule preuve précise de l’existence réelle d’une « chambre à gaz », d’une seule « chambre à gaz ». Cette preuve, nous l’examinerons ensemble, en public.

26 février 1979

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[1] Le fait que des déportés n’aient pas été immatriculés à Auschwitz, comme on pouvait pourtant s’y attendre, ne signifie pas que ces déportés aient disparu ou qu’ils aient été «gazés». Pour plus de détails sur ce point, voyez le Mémorial de S. Klarsfeld, p. 10 et 12.
[2] Justiz und NS-Verbrechen, University Press Amsterdam, t. XVII (1977), p. 20.