Un aspect inattendu de Guy de Girard de Charbonnières
En 1985, Guy de Girard de Charbonnières a publié un livre dont le titre est emprunté d’un mot de Winston Churchill sur la Seconde guerre mondiale : La plus évitable de toutes les guerres (Editions Albatros, Paris, 271 p.). Dans le Bulletin célinien n° 296 (avril 2008), Charles-Antoine Cardot a publié une remarquable étude sur le personnage de Charbonnières et il a été conduit à citer de larges et intéressants extraits de ce livre, dont le sous-titre est : Un témoin raconte. Personnellement, si j’avais à signaler un extrait de cet ouvrage aux céliniens, ce serait l’étrange chapitre XIV. En dix pages, l’auteur y raconte un voyage qu’il a fait avec un ami, en voiture, à travers l’Allemagne, à l’été de 1939, c’est-à-dire juste avant l’éclatement du conflit. Rarement ai-je lu un témoignage empreint de plus de compréhension et de plus de sympathie pour le peuple allemand, y compris lorsque la foule allemande à Munich, loin de toute « hystérie collective » et « sans aucune démence », manifeste une « prodigieuse ferveur » à l’endroit de son Guide (p. 198). Charbonnières était certes en faveur d’une politique de fermeté à l’égard d’Adolf Hitler mais il jugeait insensée la perspective d’une guerre entre Allemands et Français : « En quoi étions-nous des ennemis ? Je repartis [d’Allemagne] en me disant à la fois que la guerre était certaine et qu’elle était impossible » (p. 203). Au fond, à cette époque, Céline et son futur Torquemada n’étaient peut-être pas si loin de partager, sur l’essentiel, les mêmes convictions : tous deux, la mort dans l’âme, jugeaient la nouvelle guerre franco-allemande à la fois inéluctable et absurde. D’autres en ont jugé autrement.
Jessie Aitken
Note du 16 décembre 2008
Pour en obtenir la parution dans Le Bulletin célinien n° 303 (décembre 2008), p. 8, j’ai dû signer ce bref article d’un nom de plume, qui se trouve être le nom de ma mère.
C’est à l’héroïque Vincent Reynouard, et à nul autre, que je dois d’avoir lu La plus évitable de toutes les guerres. Non sans raison, il qualifie ce témoignage de « capital ». Il en cite de larges extraits dans ses « Réponses à un ‘antinazi’ » (Sans Concession, septembre-décembre 2008, p. 135-137).
Vers la fin de la guerre, Louis-Ferdinand Céline, avec sa femme et leur chat Bébert, a d’abord cru trouver refuge à Copenhague, mais, au Danemark comme partout ailleurs en Europe, allait se déclencher une chasse aux vaincus qui dure encore aujourd’hui, soixante-trois ans après la fin de la guerre (voyez, entre autres, la nouvelle affaire Demjanjuk). Pour leur courte honte, les autorités danoises ont arrêté Céline et, dix-huit mois durant, l’ont détenu en prison (cellule et hôpital) dans de terribles conditions. Mais, pour leur honneur, elles n’ont pas déféré à la demande d’extradition reçue des autorités françaises. Guy de Girard de Charbonnières du Rozet (1907-1990), ministre de France au Danemark, a déployé une considérable activité en vue d’obtenir cette extradition, mais il a fini par échouer dans son entreprise qui, en cas de succès, aurait peut-être abouti pour Céline à une sentence de mort. A l’époque, en France, les « Comités de libération (sic)» faisaient la loi au sein des « Cours de justice (sic) ». Communistes et gaullistes y communiaient dans des mascarades judiciaires qui leur permettaient de prononcer à la chaîne, en particulier contre les écrivains, les condamnations les plus lourdes et les plus expéditives.