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La victoire de Vincent Reynouard

De rares journaux viennent de l’annoncer :

[Le 12 avril 2005] la Cour de cassation a annulé la condamnation prononcée par la cour d’appel de Limoges contre le révisionniste Vincent Reynouard qui avait affirmé que l’histoire du massacre d’Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne était entachée de mensonges. – La cour d’appel avait condamné, le 9 juin [2004], à 24 mois d’emprisonnement, dont 6 ferme, pour apologie de crimes de guerre Vincent Reynouard qui avait réalisé une cassette vidéo intitulée La Tragédie d’Oradour-sur-Glane : 50 ans de mensonges officiels, dans laquelle il contestait les faits établis par les rescapés et lors du procès de Bordeaux en 1953. […] La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la décision de la cour d’appel était mal fondée car dans sa cassette le prévenu ne se livrait à aucune glorification des crimes commis à Oradour constitutive d’une apologie. Vincent Reynouard a limité son propos à une contestation du crime de guerre, ce qui n’est pas un délit. La Cour de cassation vient de casser, sans renvoi, la condamnation prononcée contre Vincent Reynouard par la cour d’appel de Limoges le 9 juin 2004 (La Charente libre, 14 avril 2005, p. 4).

La victoire ainsi remportée par V. Reynouard est normale en ce qu’elle est conforme au droit. Mais elle n’en surprend pas moins car les révisionnistes bénéficient rarement d’une juste application de la loi. Dans son cas, de tristes précédents pouvaient faire craindre le pire.

Cette victoire s’explique sans doute en partie par la force de conviction de V. Reynouard et par l’expérience de son conseil, Me Eric Delcroix. L’auteur de la cassette avait fait valoir qu’il s’était, bien entendu, abstenu de toute apologie ou glorification d’un crime quelconque. Il avait surtout souligné qu’en contestant la version officielle de l’histoire d’Oradour, il avait contesté un simple « crime de guerre », ce qui est permis, et non un « crime contre l’humanité », ce qui est strictement interdit. On peut, en effet, contester « Oradour » et les malheurs de l’ensemble des résistants et des déportés mais non « Auschwitz » et les malheurs particuliers des juifs. Ainsi en a disposé, depuis le 13 juillet 1990, la loi Fabius-Gayssot.

Cette victoire s’explique peut-être aussi par des motifs propres aux magistrats parisiens. Il est possible que ceux-ci aient voulu marquer un coup d’arrêt à l’actuelle transformation progressive des magistrats en juges de l’histoire. Ce serait tout à leur honneur. Mais, en sens contraire, il est également possible qu’ils aient choisi de suivre le courant général, celui de ces intellectuels à la mode pour qui il devient urgent de protéger ce qu’ils appellent « la spécificité de la Shoah » ou son «unicité».

À ce propos, les hasards de l’actualité font qu’on reparle aujourd’hui de Vladimir Jankélévitch, mort il y a vingt ans. La relecture de certains de ses écrits aide à comprendre pourquoi, depuis quelques années, on nous ressasse qu’il faut éviter de confondre le génocide des juifs, qui serait «spécifique» ou «unique», avec tout autre génocide ou massacre.

La « spécificité » ou l’« unicité » de la Shoah

Professeur de philosophie à la Sorbonne, Vladimir Jankélévitch (1903–1985) a, des années durant, développé sa pensée sur ce point. On en trouvera un résumé dans un opuscule intitulé L’Imprescriptible. C’est sous ce titre que les éditions du Seuil ont rassemblé d’abord en 1986, puis, dans le format d’un livre de poche, en 1996, quelques écrits du professeur tels que Dans l’honneur et la dignité (1948) et Pardonner ? (1971). À la question de savoir s’il convenait de pardonner les «crimes du nazisme» aux Allemands et aux Allemandes de 1971 le professeur commençait par répondre :

Quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le « miracle économique », le pardon est une sinistre plaisanterie. Non, le pardon n’est pas fait pour les porcs et pour leurs truies. Le pardon est mort dans les camps de la mort (p. 50).

L’universitaire en question juge donc que les Allemands sont des porcs et les Allemandes, des truies. Il ne fait d’exception que pour les « démocrates allemands dans les camps », pour « le geste bouleversant du chancelier Brandt devant le mémorial du ghetto de Varsovie » et pour « le courage admirable de Mme Beate Klarsfeld [qui] prouve que l’élite de la jeune génération allemande a su relayer l’élite dont nous parlons » (p. 44–45).

Dans le même ouvrage, V. Jankélévitch déplore qu’on ne puisse pas « cracher sur les touristes [allemands] ni leur jeter des pierres » (p.60–61). Il dénonce ces « chiens de la haine » (p. 63), « la méchanceté et la perversité allemandes » (p. 75), «l’Allemand immonde», sa « haine diabolique » et sa « férocité démentielle » (p. 76–77). Partant de telles prémisses, il conclut qu’il est inadmissible de placer sur le même plan, d’une part, Auschwitz ou Treblinka et, d’autre part, les crimes de Staline, le massacre des Arméniens, les noyades de Nantes, l’enfer de Verdun, les tortures en Algérie, les violences ségrégationnistes en Amérique, la Saint-Barthélemy, Berlin, Dresde, Oradour, Tulle, le Mont-Valérien, Châteaubriant, la Cascade du Bois de Boulogne, Hiroshima (p. 38–41), car le crime commis contre les juifs, lui, est indiciblement plus grave; il est «métaphysique» (p. 40, 44). « Avec leurs six millions d’exterminés, les Juifs sont certainement en tête du martyrologe de tous les temps » (p. 40). Voilà pourquoi, dit-il, « nous [Juifs] ressassons indéfiniment les litanies de l’amertume ». Quant aux « camps de la mort », « on n’en parle pas assez, on n’en parlera jamais assez ! » (p. 56). L’Eglise a été « silencieuse », Roosevelt «se taisait» et les Polonais « ont laissé la mort faire son oeuvre diabolique presque sous leurs yeux » (p. 57). « Ce qui est arrivé [aux Juifs] est unique dans l’histoire. […] Mais non, le sommeil ne revient pas. Nous y pensons le jour, nous en rêvons la nuit » (p. 61). « Car cette agonie durera jusqu’à la fin du monde » (p. 63). [Dès 1948, c’est avec condescendance que V. Jankélévitch évoquait l’infortune des prisonniers français de 1940 : « la captivité de quinze cent mille pauvres bougres qui devinrent prisonniers simplement parce qu’ils se trouvaient là, comme au cours d’une rafle monstre » (p. 88). En 1948, c’est avec rage qu’il dénonçait en Charles de Gaulle «l’étouffoir ou l’éteignoir» de « l’insurrection nationale ». Quant à l’Epuration, déplorant qu’elle connût des limites, il écrivait : « il faudrait épurer tout le monde » (p. 100). Certains seront tentés de croire que, pour s’exprimer ainsi, ce professeur – ou sa famille – a dû particulièrement souffrir du fait de l’occupation allemande. En réalité, quand on songe aux épreuves de certains de ses pareils, V. Jankélévitch a connu un sort plutôt enviable. Révoqué de son poste de professeur à l’Université de Lille en vertu des lois raciales de Vichy, il a trouvé refuge à Toulouse de 1940 à 1944. Il semble y avoir vécu avec les siens et avec son beau-frère, Jean Cassou, dans des conditions certes difficiles et angoissantes mais supportables. À l’été de 1942, il a manqué partir pour les Etats-Unis avec tous les papiers requis, dans l’espoir d’y occuper un poste de professeur qui l’attendait à New York. À la différence de Jean Cassou, on ne lui connaît pas d’activités dans la Résistance bien que son collègue communiste Jean-Pierre Vernant semble avoir attesté du contraire dans un témoignage extrêmement tardif puisque datant de 1995, c’est-à-dire de dix ans après la mort de l’intéressé (Vladimir Jankélévitch. Correspondance. Une vie en toutes lettres. Lettres à Louis Beauduc, 1923–1980, édition établie, préfacée et annotée par Françoise Schwab, Lliana Levi, Paris 1995, p. 12).]

Une victoire, aussi, pour les tenants de la Shoah ?

Pour en revenir à la cassation, sans renvoi, de l’arrêt frappant le révisionniste V. Reynouard, il ne fait pas de doute qu’elle bouleversera les habitants d’Oradour ainsi que les anciens résistants et les communistes de la région de Limoges, mais il n’est pas sûr que la réprobation de certaines associations juives sera sincère. Après tout, cette décision de la Cour de cassation marque un coup de semonce à l’adresse des résistants et des communistes qui, depuis quelques années, tentent pour divers motifs, plus ou moins intéressés, d’assimiler leur propre sort pendant la guerre à celui des juifs. D’une certaine manière, V. Jankélévitch aurait donc, lui aussi, gagné. Ce qu’il appelait « le massacre » ou « les massacres » d’Oradour (L’Imprescriptible, p. 27, 41, 47, 60) l’indignait certes mais, pour lui, « Oradour » n’était qu’un « crime de guerre », qui ne l’empêchait pas de dormir, et non un «crime contre l’humanité», c’est-à-dire, pour parler clair, un crime indicible et suprême, celui du génocide commis contre les juifs. Cette distinction entre « crimes de guerre » et «crimes contre l’humanité» avait été respectée d’abord par les juges de Nuremberg en 1946, puis par les juges de Bordeaux en 1953, enfin par la loi Fabius-Gayssot en 1990 et elle vient donc d’être confirmée en 2005, à Paris, par les magistrats de la Cour de cassation.

Ce 14 avril, deux jours après sa propre victoire, V. Reynouard a vu la cour d’appel de Bruxelles condamner son ami Siegfried Verbeke à un an de prison ferme, à une amende de 2.500 euros et à la privation pour dix ans de ses droits civils et civiques. Son crime? Il avait enfreint l’équivalent belge de notre loi Fabius-Gayssot en contestant un point de l’histoire de la Shoah.

La victoire de l’un, à Paris, et la condamnation de l’autre, à Bruxelles, prouvent à elles deux que la Shoah doit être tenue pour vraiment « unique ».

S. Verbeke va se pourvoir en cassation tandis que V. Reynouard, lui, va, au moins en principe, poursuivre librement ses recherches sur Oradour.

16 avril 2005