Retour sur l’affaire Demjanjuk et sur Nicolas Bourcier, journaliste du Monde
En ce moment, ces affaires de nonagénaires poursuivis ou condamnés pour avoir été comptable ou télégraphiste à Auschwitz dans leur jeunesse nous rappellent l’infamie des procès intentés soit en Israël, soit à Munich au malheureux John Demjanjuk. Toutes ces affaires nous fournissent un exemple de plus de ce qu’au XXIe siècle des magistrats peuvent inculper (puis condamner) une personne à qui on impute un crime 1) sans ordonner une expertise médico-légale décrivant la scène de crime et l’arme du crime, 2) sans aucune preuve de crime 3) et même sans aucun témoin du moindre crime.
Voyez de près l’affaire, positivement déchirante, du malheureux Iwan (ou John) Demjanjuk, mécanicien automobile à Cleveland (États-Unis). Il a d’abord été, en 1986, livré par les États-Unis à l’État d’Israël et condamné à mort par un tribunal à Jérusalem pour avoir été le gardien « Ivan le Terrible » au camp de Treblinka. Pendant cinq ans il a attendu chaque matin d’être pendu. Tout à coup, le système soviétique s’effondrant en Russie, on a découvert que le tristement célèbre « Ivan le Terrible » avait été en réalité un certain « Ivan Marchenko », décédé. Il a fallu libérer Demjanjuk. Les États-Unis lui ont restitué la nationalité américaine. Mais des organisations juives ou des individualités juives n’ont pas relâché leur proie pour autant. Elles ont pour le coup décrété que, si Demjanjuk n’avait pas été dans le camp de Treblinka, c’est qu’il avait été dans celui de… Sobibor, où, d’évidence, durant son séjour, il avait donc nécessairement pris sa part de l’extermination d’êtres humains par le gaz ! Rebelote : on lui a, à nouveau, retiré sa nationalité américaine et on l’a remis, cette fois-ci, à la justice la plus obédientielle du monde en pareille matière : la justice allemande. Le 12 mai 2011 à Munich, sans pouvoir en apporter ni une preuve, ni un document, ni un témoin, on a décrété que Demjanjuk avait été au camp de Sobibor et on l’a condamné automatiquement à cinq ans de prison. Infirme au dernier degré, il est mort à près de 92 ans le 17 mars 2012, soit dix mois après la fin d’un procès remarquablement inique.
Un journaliste du Monde s’est fait une spécialité de la chasse au vieil infirme. Il s’agit de Nicolas Bourcier. Ce dernier a notamment publié Le Dernier Procès (Don Quichotte éditions, Le Seuil, 2011, 311 p.). Témoignant d’un révoltant parti-pris, ce journaliste ne cache pas son admiration pour le « tour de force juridique » des magistrats de Munich (son article nécrologique intitulé « Criminel de guerre, gardien du camp de Sobibor, John Demjanjuk », Le Monde, 21 mars 2012, p. 30). Dans la préface de son livre figurait, à la page 14, la phrase nominale suivante : « Aucun témoin direct, aucune preuve définitive, aucun aveu ». On ne saurait mieux dire. Nicolas Bourcier: le nom d’une personne qui se félicite de ce que des magistrats puissent condamner pour complicité de crime un homme de 91 ans sans fournir ni preuve ni témoin dignes de ce nom. Demjanjuk a finalement été condamné à cinq ans de prison pour avoir participé (sic) à l’assassinat de 28 000 personnes (sic) à Sobibor. Amené d’un mouroir, traîné en chaise roulante jusqu’au prétoire, étendu sur une civière équipée d’un goutte-à-goutte, ne comprenant rien à ce qui se passait, il n’aura prononcé que deux petites phrases en 18 mois de procès et 93 audiences. Que pense Nicolas Bourcier d’un tel raffinement dans la torture d’un vieil homme ? Il estime que, dès lors qu’il s’agit de donner un écho à la douleur holocaustique des juifs, rien ne doit être épargné à un « criminel de guerre nazi ». Pour lui, ce procès s’est achevé sur « un verdict exemplaire». Allez voir sa tête sur Google. Elle vaut le détour.
24 septembre 2015