Sur la difficulté et sur le devoir d’être vrai… Réflexions à propos de Max Gallo, de Martin Gray et de quelques autres

Martin Gray est l’auteur d’un best-seller intitulé Au nom de tous les miens.

Le livre se présente comme un récit autobiographique « recueilli par Max Gallo », où Martin Gray raconte sa vie dans le ghetto de Varsovie et comment il édifia une fortune en faisant du marché noir. Il explique longuement et en détail son internement dans le camp de Treblinka : il y décrit en particulier les chambres à gaz et leur fonctionnement.

Après la guerre, rescapé du massacre, il édifie aux États-Unis une nouvelle fortune en vendant de fausses antiquités. Il se marie, s’installe en France, devient le père de quatre enfants.

Le 3 octobre 1970, sa femme Dina et ses quatre enfants meurent dans l’incendie de forêt du Tanneron dans le Midi. Quelques années plus tard, à l’âge de cinquante-cinq ans, il épouse une jeune fille de dix-sept ans. Selon toute apparence, il possède toujours près de Mandelieu une luxueuse propriété que les téléspectateurs français ont pu voir, vers le 13 août 1975, dans une émission d’Antenne 2 réalisée par M. Jeannesson et précisément consacrée à Martin Gray.

Etranglés de nos mains

Lors de cette émission, Martin Gray, montrant ses mains, disait qu’il avait tenu à accoucher personnellement sa femme pour sentir de ses mains la vie chaude et palpitante des nouveau-nés. En effet, à Treblinka, affirmait-il, les Allemands gazaient jusqu’aux enfants, mais, parfois, au moment de décharger les chambres à gaz, «parmi les corps chauds, disait-il, nous avons trouvé des enfants encore vivants. Seulement des enfants contre le corps de leur mère ». Et, ajoutait-il aussi bien à la télévision que dans son livre, «nous les avons étranglés de nos mains avant de les jeter dans la fosse [1] ».

Treblinka et ses chambres à gaz

Au nom de tous les miens fut traduit en anglais sous le titre de For Those I loved et ce fut pour Martin Gray le point de départ de quelques ennuis.

On douta de la véracité de son récit. Il commença à être soupçonné d’avoir fabriqué de faux mémoires, comme il avait fabriqué de fausses antiquités, dans les deux cas non sans aide extérieure et, bien entendu, pour de l’argent.

Il faut rappeler ici que, du point de vue de la vérité historique officielle – celle qui avait pris forme au premier procès de Nuremberg – il n’y avait pas eu à Treblinka des chambres à gaz mais des chambres à vapeur au nombre de treize (steam chambers), avec des bouilloires (boilers) situées dans une chambre de chauffe (boiler-room) à proximité d’un puits (well), des conduites de vapeur (pipes) et un sol fait de terre cuite devenant très glissant quand il était mouillé. Ces treize chambres à vapeur étaient réparties dans deux bâtiments. Toutes ces précisions sur les treize chambres homicides de Treblinka sont contenues dans le document de Nuremberg PS-3311.[2]

Le James Bond juif

Le 21 juin 1974, Adam Rutkowski, chargé de recherches au CDJC de Paris avait dit : « Martin Gray est un James Bond (juif). Il est venu me trouver en me montrant les photos de sa famille et en pleurant. J’ai eu pitié de lui et je lui ai donné des documents. Mais il a écrit avec Max Gallo, qui est un bon historien, un roman. Moi, je n’ai pas voulu démentir, même quand une journaliste allemande a voulu avoir un entretien parce qu’elle trouvait qu’il y avait des choses qui n’allaient pas. Vous comprenez, si ce n’avait pas été un roman, j’aurais dit quelque chose. Steiner, lui aussi, a inventé, mais, lui, il a attaqué les juifs et puis il est maintenant marié avec la fille d’un officier allemand. »

A. Rutkowski faisait par là allusion au best-seller de Jean-François Steiner, intitulé Treblinka ; ce faux-là avait abusé un grand nombre de lecteurs dont Simone de Beauvoir et Pierre Vidal-Naquet qui lui a consacré un article dans Le Monde du 2 mai 1966 et qui, en 1981, a reconnu être «tombé dans le piège tendu par Treblinka de J.- F. Steiner».[3]

Le 8 octobre 1975, Georges Wellers, du CDJC, confirmait que M. Gray n’avait pu être à Treblinka.

L’exploitation de la crédulité

Le coup de grâce devait être porté à la légende de M. Gray, témoin des chambres à gaz de Treblinka et étrangleur forcé de petits enfants, par une journaliste britannique d’origine hongroise: Gitta Sereny Honeyman, auteur, pour sa part, de Into That Darkness. Le 2 novembre 1979, dans un long article du New Statesman, intitulé : « The men who whitewash Hitler », elle s’en prenait avec violence aux auteurs révisionnistes qui nient l’existence des chambres à gaz homicides sous le régime de Hitler. Mais elle convenait de ce que, sur le sujet des camps de concentration allemands et des chambres à gaz, il existait une exploitation de la crédulité générale. Parlant du livre de Jean Michel sur Dora, elle écrivait :

Le problème avec des livres comme ce dernier, c’est qu’ils sont écrits par des nègres professionnels (ghosted by professional wordsmiths) – procédé spécialement prisé des Français – qui n’ont ni le désir, ni la capacité de dépeindre la réalité avec retenue. Ce sont moins les exagérations que la fausse emphase et l’humour à bon marché qui les disqualifient. – Pires encore sont les faux partiels ou complets, tels que le Treblinka de Jean-François Steiner ou Au nom de tous les miens de Martin Gray. En apparence le livre de Steiner paraît même juste : c’est un homme de talent et de conviction et il est difficile de voir comment il a pu errer à ce point. Mais ce qu’il a en fin de compte produit était un pot-pourri de vérités et d’erreurs insultant à la fois pour les morts et pour les vivants. Il fallut retirer de la vente l’édition française originale et republier le livre en changeant les noms. – Le livre de Gray, Au nom de tous les miens, était l’œuvre du nègre (ghostwriter) Max Gallo, qui a aussi produit Papillon. Lors d’une enquête que j’ai menée pour le Sunday Times au sujet du livre de Gray, M. Gallo m’a froidement déclaré qu’il « avait eu besoin d’un long chapitre sur Treblinka parce qu’il avait fallu au livre quelque chose de fort pour attirer les lecteurs ». Lorsque j’ai dit moi-même à Gray, « l’auteur », qu’il n’avait manifestement jamais été à Treblinka et qu’il ne s’en était pas évadé, il me dit finalement, en désespoir de cause : «Mais quelle importance ?» Le plus important n’était-il pas que Treblinka avait eu lieu et qu’il fallait écrire là-dessus et qu’il fallait montrer que certains juifs avaient été héroïques ?

La journaliste britannique ajoutait, dans son article du New Statesman :

Cela est arrivé et de nombreux juifs ont effectivement été des héros. Mais les contre-vérités ont toujours de l’importance, et non pas seulement parce qu’il est inutile de mentir quand on dispose de tant de vérités terribles. Chaque falsification, chaque erreur, chaque habileté spécieuse (slick) dans le rewriting est un avantage pour les néo-nazis.

L’esprit critique et la mystification

Dans sa préface au livre de M. Gray, M. Gallo écrit :

L’un et l’autre nous étions inquiets. Martin Gray parce que la vie l’a contraint à la prudence, qu’il lui était difficile de me parler, par pudeur, qu’il ne savait pas si avec des mots il serait possible de donner l’image de ce qu’avaient été sa lutte, son malheur et les raisons de survivre encore.

Plus loin, Max Gallo affirme :

Je l’ai questionné, je l’ai enregistré, je l’ai regardé, j’ai vérifié, j’ai écouté la voix et les silences. J’ai découvert la pudeur d’un homme et sa volonté, j’ai mesuré dans sa chair la barbarie de notre siècle sauvage qui a inventé Treblinka.

Pour terminer, Max Gallo parle de « l’émotion » et de « la leçon qu’il y a eu pour [lui] à rencontrer [en Martin Gray] un homme vrai et debout ».

Ce faisant, il témoignait de moins de perspicacité que le journaliste du Monde signant M. E. qui avait eu à rendre compte de l’émission de télévision où était apparu Martin Gray. Ce dernier, montrant ses mains aux caméras, s’était exclamé : « Et dire que c’est avec ces mains que j’égorgeais des petits enfants pour qu’ils ne soient pas enterrés vivants ! » Le journaliste, rendant compte de cette émission et d’une autre diffusée par TF 1, avait intitulé son article « Comédies macabres » ; il écrivait : « Adieu l’esprit critique !… [4] »

Intoxication ou désinformation

Il serait injuste de faire grief aux téléspectateurs français de leur crédulité en même temps que de leur complaisance pour un anti-nazisme de sex-shop. La radio et la télévision françaises déversent sur le consommateur de tels mensonges et de telles immondices sur le compte des nazis que ceux-ci ne sont plus considérés comme des êtres humains mais comme des monstres dignes en tout point d’être poursuivis par une justice vengeresse jusqu’à la fin des temps.

Les médias français, prenant modèle sur ce que l’écrivain britannique George Orwell prévoyait pour 1984,[5] organisent non pas simplement des « quarts d’heure de la haine » mais des journées continues de haine contre le nazisme, sur le compte d’un Bousquet, d’un Leguay, d’un Papon, d’un Barbie, d’un Touvier. Il suffit par exemple de se reporter à l’article signé M.B.R. paru dans Le Monde où, sous le titre « Avant-première judiciaire de l’affaire Papon », le rédacteur rapporte en toute tranquillité les propos injurieux et haineux d’un Gilles Perrault.[6]

Ainsi se donne libre cours un concours général de la haine. On tue, on brise les membres,[7] on vitriole [8] et la justice française ne trouve rien à redire. Les manuels d’histoire sont pleins de mensonges et de silences. Les opuscules d’un Christian Bernadac donnent le ton. Les meilleurs historiens fabulent impunément, y compris dans les thèses de doctorat d’Etat soutenues trente-sept ans après la guerre.

L’exemple du professeur d’histoire Marcel Ruby est éclairant ; cet homme politique, doublé d’un historien, a soutenu, le 5 janvier 1979, devant M. René Rémond et M. Garden, professeur à l’université de Lyon-II, une thèse intitulée La Résistance à Lyon. Dans son deuxième tome, à la page 982, l’auteur parle de l’Epuration. Il affirme qu’« une seule femme a été exécutée : la criminelle qui avait vendu à la Gestapo vingt-deux bébés juifs. Les Allemands les lui payaient cinq cents francs l’un, avant de les tuer par des injections de benzine. » Ce fait ahurissant, digne en tout point du mythe des enfants belges aux mains coupées par les uhlans durant la première guerre mondiale, est froidement rapporté comme une vérité d’évidence : pas une note, pas une indication de source, pas une référence, pas un nom ne sont donnés et il n’y a pas le plus petit commencement de preuve ou de démonstration. Pourquoi les candidats se gêneraient-ils ? Quel est le membre du jury qui oserait exiger que de pareilles accusations fussent accompagnées de preuve ? Et même un historien honnête bien connu du grand public [Henri Amouroux] a repris cette accusation à son compte sans aucune autre vérification.

M. Gallo ne s’est pas limité à recueillir les confessions de M. Gray ; il ne paraît pas plus soucieux de la réalité des faits et des chiffres quand il s’exprime à propos d’Auschwitz. Lyrique de la surenchère, il semble avoir battu tous les records dans l’estimation du nombre des morts : même les Polonais, même les Soviétiques sont battus de plusieurs longueurs. Pour Max Gallo, il est mort à Auschwitz cinq millions de personnes.[9] Or, le véritable chiffre oscille aux alentours de soixante-mille [10] morts pour cinq ans et pour toute l’étendue de l’immense territoire occupé par le camp d’Auschwitz et ses quarante sous-camps.

Le chiffre de soixante mille suffit, n’est-ce pas ?

1er mai 1983

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[Ce texte, non signé, amputé de son dernier paragraphe, figure dans la brochure intitulée L’Affaire Papie-Barbon et l’arrêt du 26 avril 1983. Contribution à la jurisprudence française au concept de génocide, signée « Le Citoyen », coll. Les Petits Suppléments, édités par La Vieille Taupe, en août 1983.]

Notes 

[1] M. Gray, Au nom de tous les miens, “Récit recueilli par Max Gallo”, Robert Laffont, Paris 1971, p. 177, ainsi que p. 186, 211, 228.
[2] Tome XXXII, p. 154-158, sixième charge contre Hans Frank, gouverneur général de Pologne.
[3] P. Vidal-Naquet, Les Juifs, la mémoire et le présent, Maspero, Paris 1981, p. 212.
[4] Le Monde, 15 août 1975, p. 14.
[5] G. Orwell1984, traduction française : Gallimard, Paris 1950. 
[6] Le Monde, 5 mai 1983, p. 1. 
[7] Lynchage de Marc Fredriksen. 
[8] Vitriolage de Michel Caignet.
[9] L’Express, 16 juin 1975, p. 70.
[10] Ce chiffre de soixante mille est celui auquel est parvenu, en 1978, après de longues années d’enquête, le Service international de recherches d’Arolsen, dépendant du Comité international de la Croix-Rouge de Genève (communication de M. de Coquatrix). Le SIR d’Arolsen prend toujours la précaution de dire que ses chiffres peuvent être sujets à révision et il admet implicitement les « gazages » mais ne fournit ni faits ni chiffres.