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Jacques Vergès

1. Robert Faurisson sur Vergès
(24 août 2013)

Vers 1997-1998, sans illusion sur la réponse qu’il me ferait, javais demandé à Jacques Vergès s’il accepterait de me défendre soit seul, soit aux côtés de Maître Éric Delcroix. Mes lettres restaient sans réponse et mes appels téléphoniques ne me permettaient d’atteindre tout au plus que sa secrétaire (une personne du nom, je crois me rappeler, de Madame Bloch).

En 1998, j’ai assisté au procès de Roger Garaudy, à la XVIIe chambre. J. Vergès y a prononcé essentiellement la plaidoirie à couplets antiracistes dont il était friand: comment cela, la France accuse mon client de racisme mais il n’y a pas plus raciste que la France ! Voyez son colonialisme, celui des blancs. Et d’achever sa tirade sur la disparition des Tasmaniens. Sujet rebattu, développements faciles, succès assuré. Le sujet de fond (la véritable politique du IIIe Reich à l’égard des juifs) qui aurait demandé du travail et qui entraînait les risques les plus graves, était à tout coup évité. À Lyon, à la sortie du palais de justice, il s’était fait huer et prendre à partie par une foule dexcités qui manifestement n’avaient pas assisté à son étrange défense de Barbie, une défense toute « de connivence ».

À Paris, à la fin de l’audience du procès de R. Garaudy, J. Vergès, radieux, s’apprête à quitter le prétoire. Il sait que les journalistes et les télévisions l’attendent. Je m’avise de lui barrer le chemin de la sortie : « Maître, pourquoi ne répondez-vous pas à mes courriers ? » Il bredouille, cherche à esquiver le coup, feint d’ignorer de quoi il s’agit. Il suggère qu’il n’a peut-être pas reçu mes lettres et va jusqu’à me dire: « Il y a peut-être quelque chose qui bloque [sic] ». Devant la foule, en plein prétoire, il fait piètre figure. Je lui pose clairement ma question : « Acceptez-vous de me défendre soit seul, soit en collaboration avec Me Delcroix ? » Et là, j’obtiens enfin ma réponse: « Je ne vous dis pas oui ». Je le remercie et le quitte.

Personnellement de mes quelques rencontres avec Vergès avant cet épisode et, quelques années plus tard, grâce à une ultime rencontre qui s’est située à Vichy, j’emporte le souvenir d’un avocat souriant, timide, cultivé, comédien dans l’âme, sachant se donner l’apparence d’un homme hardi et courageux mais au fond surtout prudent, habile et flatteur. Il prônait, comme on le sait, « la défense de rupture » mais, le moment venu, quand il y avait péril en la demeure, il pratiquait «la défense de connivence».

En somme, sage, fort sage, il a toujours soufflé dans le sens du vent et du vainqueur final ; il a été riche, probablement fort riche ; il a su profiter, dit-on, des plaisirs de la vie. Malgré peut-être une secrète blessure il semble avoir été heureux. On le serait à moins.

(Sur cette « secrète blessure », je risquerais une hypothèse dont l’idée m’est venue au cours de l’une de nos conversations sur ce racisme qui le hantait. Je me demande si J. Vergès n’a pas passé toute une partie de son existence à se venger des cruelles humiliations qu’un métis pouvait avoir subies à l’époque, en particulier, de sa jeunesse. Je ne m’attarderai pas ici aux propos injurieux dont on accablait lâchement les « serpents » issus du mariage d’un blanc et d’une femme de couleur).

2. Eric Delcroix sur Vergès
(24 août 2013)

« Jacques Vergès, l’ami des grands de ce monde »

Le très intéressant site internet « Entre la plume et l’enclume »[1], habituellement mieux inspiré, vient, à l’unisson des gens du Système, de faire l’éloge de feu Jacques Vergès. On y lit ceci, sous la signature de Ginette Hess-Skandrani, collaboratrice régulière du site, à la date du 16 août :

Maître Jacques Vergès, ce rebelle à l’ordre public, l’ami des grands de ce monde… est parti tout doucement sans faire du bruit. 

Il est surprenant, soit dit en toute bienveillance, que ni l’auteur de ce texte, en se relisant, ni le webmestre du site n’aient remarqué la contradiction dans les termes… Faut-il rappeler qu’un « rebelle à l’ordre public » ne peut pas être « l’ami des grands de ce monde » ? Or il apparaît que, plus rebelle du tout depuis des lustres, Vergès était bien devenu l’Ami des grands de ce monde. Et il me semble que Carlos ne me démentirait pas à cet égard…

Il n’est jusqu’au très mondain bâtonnier Charrière-Bournazel pour abonder dans le dithyrambe (« c’était un chevalier »), mêlant les éloges confraternels à ceux d’un Kiejman (« un  géant ») ou d’un Collard (« il incarnait la rébellion »), etc. N’en jetez plus, la cour est pleine !

Jacques Vergès était un grand avocat, un excellent orateur, un homme d’une grande culture et qui avait le génie des formules. Il a su merveilleusement se mettre en scène, notamment avec Le Salaud lumineux (1990), livre d’entretiens avec Jean-Louis Remilleux, ou dans le film L’Avocat de la Terreur réalisé par Barbet Schroeder (2007).

Mais sa rébellion était celle, amortie et prescrite, du Tiers-Monde de la décolonisation, ce qui lui garantissait un potentiel de sympathie de masses immenses, chiffrables en milliards d’hommes. Il fut « dans le sens de l’Histoire » (pour reprendre le mot de De Gaulle) à l’inverse des parias qui, par exemple, ont combattu pour l’OAS ou l’ex-Rhodésie du Sud, ces laisses de haute mer de l’Occident abandonnées par l’inexorable jusant. Dominique Venner, lui, était un vrai « cœur rebelle »[2] mais, bien  évidemment, il ne pouvait pas être « l’Ami des grands de ce monde ». Avec Venner, le principe de non-contradiction fonctionne. Pas avec Vergès.

Et ceci permet de mieux comprendre que Mme Hess-Skandrani puisse continuer, au-delà de l’oxymore relevé plus haut, en écrivant :

l’ami des grands de ce monde et également de ceux qui ne pouvaient se défendre…

Ah ? Pour ma part, j’ai de bonnes raisons d’en douter.

L’avocat de ceux qui ne pouvaient se défendre ?

Au-delà des apparences, Jacques Vergès n’a jamais voulu défendre les rebelles au Système dont il procédait, après le reflux colonial. De 1944 à 2013 il fut un homme du Système, avec une bonne anticipation de la décolonisation. C’est un fait.

Dans l’affaire Klaus Barbie, il s’est refusé à poser la question de la réalité criminalistique, c’est-à-dire la question de la vérification matérielle des actes criminels imputés à l’accusé. En d’autres termes, l’Avocat de la terreur s’est passé de toute recherche de la destinée des victimes, des armes utilisées, des lieux et temps de la commission des crimes allégués, etc. Bref, malgré mon insistance personnelle et directe (nous avions été présentés par François Genoud), Vergès s’est refusé à exiger, pour la défense de l’officier allemand, une instruction normale, routinière, matérialiste comme pour tout crime de droit commun. Où était donc passée sa légendaire stratégie de rupture ? Je peux témoigner que les arcanes juridiques lui paraissaient, dans cette cause tout particulièrement, assez inopportuns. Je crois au surplus que le juriste n’était d’ailleurs pas tout à fait à la hauteur de la bête d’audience. Barbie ne fut au demeurant qu’un prétexte sacrificiel pour charger et accuser une France coloniale morte et enterrée en 1962…

Dans cette logique biaisée qu’il avait faite sienne et sans laquelle il n’aurait plus été l’Ami des grands de ce monde, le Salaud lumineux n’a jamais voulu défendre les écrivains et chercheurs révisionnistes. (J’étais pourtant prêt à lui céder la place de Salaud d’honneur sur la plus haute marche du podium-pilori de l’Enfer). La grande presse dit le contraire, pour faire sulfureux, en référence à sa défense de Roger Garaudy devant la XVIIe chambre du Tribunal correctionnel de Paris. Mais cette défense fut si peu celle d’un prévenu révisionniste que Garaudy, qui ne l’était pourtant pas vraiment en général, choisit tout de même un autre avocat pour l’assister devant la Cour d’appel…

Certes, Vergès soutint brillamment la défense de Louis XVI, avec un grand succès médiatique, dans la reconstitution du procès du Roi réalisée sur une grande chaîne de télévision, en 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution. Là, je suis redevable à mon défunt confrère car c’est ainsi que j’ai eu l’honneur de devenir l’avocat de François Brigneau, pour toujours.

Lavocat de ceux qui ne pouvaient se défendre, mais pas de tous

En effet, pour réaliser sa prestation télévisée, l’Ami des grands de ce monde avait sollicité François Brigneau (qu’il avait connu, tout comme moi, à l’occasion de l’affaire Barbie), alors directeur de la revue L’Anti-89, pour obtenir la documentation nécessaire à sa plaidoirie médiatique. Ainsi Brigneau, qui a si souvent soutenu « ceux qui ne pouvaient se défendre » depuis 1944, avait constitué le dossier de l’avocat du Roi. Avec pour seule contre-partie la promesse de l’Avocat de la terreur de défendre le polémiste dès qu’un nouveau procès de presse lui serait intenté. L’occasion se présenta incontinent, sur une citation à comparaître délivrée à la requête d’Anne Sinclair (affaire de « l’épanouie boulangère azyme »). Brigneau fit donc parvenir la citation et le dossier à son avocat présomptif et attendit… attendit… attendit… Seulement il finit par ne plus pouvoir attendre, les échéances de la procédure se rapprochant dangereusement. Mais Brigneau ne put parvenir à joindre l’avocat, censé être devenu le sien, toujours absent ou indisponible aux dires de ses fidèles secrétaires. Et puis un jour Vergès renvoya le dossier Sinclair, sans un mot, sans une lettre, à celui à qui il avait donné sa parole.[3]

Etre et demeurer l’Ami des grands de ce monde imposait d’autres obligations.

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[1] www.plumenclume.com
[2] Titre d’un ouvrage que Venner avait publié aux Belles Lettres en 1994.
[3] Voyez François Brigneau, Mais qui est donc le professeur Faurisson ?, éditions de La Sfinge, disponible chez Akribeia (www.akribeia.fr).