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Dernière audience du procès contre Robert Badinter

La seconde et dernière audience de mon procès contre Robert Badinter a duré cinq heures.

Mon avocat, Me Eric Delcroix, plaide pendant 50 minutes. Ensuite, pendant 4 heures et 10 minutes, plaident contre nous Me Michel Rasle, avocat de la chaîne Arte, Me Bernard Jouanneau, avocat de Robert Badinter, MHenri Leclerc, autre avocat d’Arte, et, enfin, le procureur adjoint François Cordier.

Pendant un quart d’heure, Me Rasle soutient que, dans leur jugement du 8 juillet 1981, les juges m’ont condamné pour être un faussaire de l’histoire mais sans le dire expressément ; ils l’ont simplement, paraît-il, laissé entendre ! Il ne révèle pas le pourquoi de cette absurde discrétion de la part des juges. S’aidant en particulier du Petit Larousse, il se livre in abstracto à des interprétations de mots isolés qu’il a prélevés ici ou là dans le texte du jugement de 1981 et fabrique ainsi de toutes pièces une accusation de mensonge et de falsification que ce texte, en réalité, ne contient pas. Puis, pour se donner les coudées franches, il passe sous silence l’arrêt du 26 avril 1983, qui, tout en confirmant ma condamnation, a réformé en ma faveur le jugement de 1981 sur un point essentiel : la cour a, en effet, trouvé que, loin d’être un faussaire de l’histoire, je n’avais fait preuve, sur « le problème des chambres à gaz [nazies] » (point central de ma démonstration), ni de légèreté, ni de négligence, ni d’ignorance délibérée, ni de mensonge et que « donc » (c’est le mot même de la cour) tout le monde avait désormais le droit de dire éventuellement, avec les révisionnistes, que lesdites chambres n’avaient pas existé ni même pu exister !

Me Jouanneau déplore qu’en 1981 le tribunal soit « allé un peu vite en besogne » ; ce reproche signifie qu’à son gré, si ledit tribunal avait été moins hâtif, il aurait su trouver la preuve que j’étais un faussaire et l’aurait dit ; mais précisément le tribunal ne l’a pas dit et donc R. Badinter a menti. Quant à l’arrêt de 1983, Me Jouanneau, usant de la litote, confesse : « L’arrêt ne m’a pas causé un immense plaisir », ce qui est une concession de plus ! Me tenant pour un faussaire « d’une extrême habileté » et donc particulièrement difficile à démasquer, Me Jouanneau explique qu’il s’est trouvé, à partir de 1979, dans « une affreuse solitude » car, à l’époque, les historiens ne s’étaient « pas encore mis au travail », ce qui veut dire que ceux-ci n’avaient pas encore trouvé les preuves scientifiques du génocide et des chambres à gaz ; il faut dire qu’encore à cette heure, en 2007, ils n’ont trouvé aucune de ces preuves, et Raul Hilberg, dont il brandit les trois volumes, moins que tout autre. Il se perd en considérations sur sa propre personne, sur divers souvenirs et sur ce que ses (pitoyables) huit témoins étaient venus dire sous serment lors de l’audience du 12 mars (à titre d’exemple significatif, pour trois d’entre eux, j’avais usurpé le grade de professeur !). Au bout de 2 heures et 5 minutes, le président lui demande de s’acheminer vers la conclusion. Pourtant, gonflé de son importance, Me Jouanneau continue, et, pendant près d’une demi-heure encore, il va, dans le pire désordre, tenir des propos qui seront encore sans rapport avec le sujet ; il dénoncera chez moi un antisémitisme qui m’aveuglerait, mais qui, dit-il, n’a, en son temps, « aveuglé » ni le président de mon université, le socialiste Maurice Bernadet, ni, au moins au début de son enquête, l’un de ses témoins : l’historienne Valérie Igounet.

Son confrère Leclerc lui succède pendant 37 minutes ; pour lui, la « bonne foi » de R. Badinter ne fait pas de doute. Il faut dire que, le 12 mars, R. Badinter avait, de lui-même, plaidé la bonne foi et ne s’était nullement avisé d’aller prétendre que le jugement de 1981 ou l’arrêt de 1983 lui donnaient raison et lui permettaient de me traiter de « faussaire de l’histoire ». Mais les propos de Me Leclerc sont encore plus décousus que ceux de Me Jouanneau. « Revenons au droit », lance-t-il, et, la minute d’après, au lieu de « revenir au droit », qu’il reconnaissait avoir quitté, il part à nouveau dans le souvenir et l’émotion. Il a un accent de sincérité en évoquant les épreuves du peuple juif, mais il en appelle aussi au prétendu témoignage de Shlomo Venezia, le grossier faussaire de Sonderkommando ; apparemment bouleversé par les récits ébouriffants du mythomane, l’avocat parle de la graisse bouillante qu’on recueillait et qu’on reversait (peut-on demander comment ?) sur des juifs brûlés… dans des fosses (ce qui est radicalement impossible) ; il reviendra sur ce qu’il appelle « cette graisse supplémentaire », c’est-à-dire, en réalité, sur une production classique de la propagande de guerre à base de récits d’atrocités. Il évoque aussi les dessins de David Olère, des dessins si manifestement imaginaires (avec la boîte de Zyklon B dans la chambre à gaz et le perpétuel feu de cheminée d’un crématoire !) que, le 9 mai 1995, en cette même XVIIe chambre, Jean-Claude Pressac avait déclaré devant la présidente Ract-Madoux : « J’ai finalement acquis la conviction qu’Olère n’a pas réellement vu de scène de gazage ». Me Leclerc se perd dans ses propos, dans ses invectives et jusque dans ses papiers.

Le procureur adjoint F. Cordier s’exprime en imprécateur et avec la violence d’un homme qui, faute de trouver des arguments de poids, force outrageusement la voix et le geste. Le piquant de l’affaire est que, par moments, on ne sait après qui il en a le plus : est-ce après Robert Faurisson, ce « faussaire » « diabolique », ou bien est-ce après la cour d’appel qui, en 1983, a condamné ce « menteur » mais en rendant hommage à la qualité de son travail sur les chambres à gaz nazies ? Il stigmatise «les maladresses et les contradictions» (sic) de la cour. Ici, il accuse la cour et lance: « Elle s’enferme dans un postulat » et, là, il la blâme et tranche : « Ce considérant [de la cour] n’a aucun intérêt ». Dans sa fureur à la fois contre ce Faurisson auquel il s’adresse directement et contre le fantôme des magistrats de 1983, il ne paraît pas se rendre compte qu’il sape la position de R. Badinter, auquel il a, par ailleurs, en de multiples apartés souriants, prodigué des marques ostentatoires de sa ferveur. Son explication du jugement du 8 juillet 1981 ressemble à celle de l’avocat d’Arte : il faut, paraît-il, comprendre que les juges, sans le dire mais tout en le disant, ont condamné Faurisson pour être un faussaire de l’histoire. La méthode de F. Cordier consiste à détacher tel mot de son contexte le plus direct et à en disserter, lui aussi, dans l’abstrait ; par exemple, il prend le mot d’« amalgame » pour en faire un terme qui illustrerait la malhonnêteté du faussaire mais, si l’on se reporte au texte dont il a extrait ce mot (p. 14 du jugement), on voit qu’en réalité les juges m’ont reproché (à tort !) ce qu’ils ont appelé «un amalgame d’idées qui relève plus du discours politique que de la recherche scientifique» ; on est donc là fort loin de la dénonciation d’une pratique de faussaire ; de même pour le mot de «néantisation» et pour d’autres mots encore. En somme, quand F. Cordier veut faire pendre un homme, il n’a, dans sa fureur, pas même besoin, semble-t-il, qu’on lui donne une seule phrase de cet homme ; un mot lui suffira.

Rideau de fumée et poudre aux yeux

Au moins l’intervention finale de F. Cordier a-t-elle, d’un subit coup de projecteur, révélé deux évidences : 1) le vrai sujet du procès en cours était tout simplement de savoir si un jugement de 1981, confirmé par un arrêt de 1983, m’avait condamné pour être un faussaire de l’histoire ; 2) Me Jouanneau, substituant au vrai sujet une commedia dell’arte avec rideau de fumée et poudre aux yeux, avait tout bonnement essayé de nous faire croire que le procès portait sur le point de savoir si j’étais, hic et nunc, un faussaire de l’histoire. Il avait – pur effet de théâtre – déposé devant le tribunal des volumes de littérature holocaustique dont une lecture attentive exigerait de la part des magistrats au moins une année de travail. Poussant jusqu’au bout les faux semblants de cette comédie, Me Jouanneau avait demandé et obtenu l’enregistrement officiel, par caméra, du procès tout entier. Bref, il avait, comme on dit, « fait son cinéma ».

De jurisprudence constante, « traiter Faurisson de faussaire, c’est le diffamer » (ou l’outrager) de bonne ou de mauvaise foi

Le 16 février 2007, j’ai rédigé un texte intitulé : « Robert Badinter en a menti : ni lui ni personne d’autre ne m’a fait condamner en justice pour être un faussaire de l’histoire ! ». Dans les pages 3 à 6, j’ai énuméré toute une série de décisions de justice qui, sans exception, concluaient que me traiter de faussaire, c’est me diffamer ou m’outrager. Pour ainsi conclure, toutes les juridictions se sont fondées sur l’arrêt du 26 avril 1983. Que, dans un cas, le bénéfice de la bonne foi ait été refusé à celui qui m’avait causé ce dommage et que, dans les autres cas, ce bénéfice ait été accordé à mes diffamateurs ne change rien à l’affaire. S’il avait existé une seule décision de justice me condamnant pour être un faussaire de l’histoire, les médias du monde entier auraient retenti de la nouvelle. R. Badinter le savait si bien qu’il a plaidé l’erreur commise de bonne foi. Me Leclerc, parlant, lui aussi, de la «bonne foi» de R. Badinter, ne l’ignorait pas non plus. Me Rasle et le procureur adjoint en avaient également conscience, sinon, au lieu de se livrer à de laborieuses manipulations de mots prélevés ici ou là et cités hors contexte, ils auraient extrait d’une quelconque décision de justice une phrase et une seule, dans son intégralité, stigmatisant le faussaire de l’histoire. Me Jouanneau savait également la vérité, sinon il n’aurait pas monté un tel spectacle. Enfin, pourquoi Simone Veil et Georges Wellers, en 1983, et Pierre Vidal-Naquet, en 1987, auraient-ils publiquement manifesté leur désappointement, pour ne pas dire leur indignation, devant l’arrêt du 26 avril 1983 si ce dernier m’avait, si peu que ce fût, condamné pour être un faussaire de l’histoire ?

Dès le 8 juillet 1981, le tribunal avait été clair, précisant dans un attendu : « sans avoir à rechercher si un tel discours [à savoir : les déclarations de R. Faurisson] constitue ou non une falsification de l’Histoire » (p. 14). Il est à noter que ce refus du tribunal n’a pas été exprimé, comme on a voulu nous le faire croire, en préalable mais, bel et bien, en conclusion de son appréciation de mon travail. Il faut dire que j’avais, à l’époque, déposé auprès des juges un Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’histoire / La Question des chambres à gaz, ouvrage imprimé de 304 pages (novembre 1980), où j’avais scrupuleusement et intégralement reproduit des documents qu’on m’accusait, avec impudence, d’avoir voulu cacher ou altérer. Ce qu’en fin de compte me reprochait le tribunal, c’était en propres termes d’avoir, à son avis, manqué aux « obligations de prudence, de circonspection objective et de neutralité intellectuelle ». Ces mots-là confirment, s’il en était besoin, que les juges ne dénonçaient chez moi aucun manque de probité, aucune invention de faussaire. D’ailleurs, en cause d’appel, mes accusateurs allaient retirer leur accusation de falsification. Sur l’intégralité de l’arrêt du 26 avril 1983 et mon commentaire de cet arrêt, on pourra se reporter à l’opuscule que j’ai signé du nom de J. Aitken et qui porte pour titre : Epilogue judiciaire de l’affaire Faurisson (La Vieille Taupe, 1983 ; édition revue en 1991, 32 p.) ; j’y avais reproduit intégralement la partie du journal intime du Dr Johann-Paul Kremer portant sur son séjour à Auschwitz (il avait spontanément remis ce journal aux Alliés) ; soit dit en passant, on verra, aux pages 23-24 de l’opuscule en question, que la cour s’est trompée en affirmant que je n’avais jamais su trouver un mot pour marquer mon respect aux victimes ; j’avais trouvé un mot : celui précisément de « respect » ; il figurait en toutes lettres dans la livraison du Matin de Paris que les magistrats avaient à leur dossier !

Le jugement sera prononcé le 21 mai 2007.

2 avril 2007