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Au procès Barbie, faux et usage de faux

À l’exemple du TMI de Nuremberg, la cour d’assises ayant à juger Klaus Barbie pose en principe que les Allemands déportaient les juifs pour les exterminer. Pas plus que le TMI cette cour n’examine le point de savoir s’il s’agit là d’un fait matériellement exact !

La seule question qu’elle se pose est de savoir si Barbie avait conscience, quand il participait de près ou de loin à une déportation de juifs, de ce qu’il envoyait ces derniers à une mort atroce et automatique.

Pour avoir une idée de ce qui se passe au procès Barbie, je ne dispose personnellement que de ce qu’en rapporte le journaliste Jean-Marc Théolleyre dans Le MondeThéolleyre, lui-même un ancien déporté de Buchenwald, évadé de ce qu’il appelle l’« enfer tudesque », ne cache guère sa haine des nazis ; il s’est même fait une spécialité de l’antinazisme. Dans les années d’après guerre, ses comptes rendus de procès comme ceux du Struthof vibraient d’une haine fébrile pour les accusés.

Dans ses articles du 20 mai 1987 (p. 10) et du 21 mai 1987 (p. 10), il mentionne une pièce capitale de l’accusation : la note Dannecker du 13 mai 1942. Il dit que le président de la cour, André Cerdini, a fait état de cette note et qu’un témoin de l’accusation, le procureur allemand Holtfort a, lui aussi, rappelé l’existence de cette note. Cette note prouverait que Dannecker, supérieur de Barbie, savait que la déportation des juifs aboutissait à l’extermination physique. D’où s’ensuivrait que Barbie aussi faisait peut-être partie des « initiés » de la « solution finale » entendue au sens de programme d’extermination physique.

Il n’y a qu’un malheur pour André Cerdini, le procureur Holtfort et Jean-Marc Théolleyre, c’est qu’ils ne connaissent apparemment pas cette note sous sa forme intégrale, mais seulement sous la forme où elle est traditionnellement reproduite par les historiens favorables à la thèse exterminationniste. C’est ce que donne à penser la façon dont Théolleyre reproduit cette note et la commente. Il la reproduit sous une forme gravement tronquée et son commentaire en est, du même coup, fallacieux.

La vraie note Dannecker

Le 13 mai 1942 Theodor Dannecker, spécialiste des questions juives à Paris, envoie une note au Dr Knochen et à Lischka. Celle-ci porte sur le stockage de matériel roulant pour les transports de juifs. Dannecker dit qu’il a eu un entretien sur le problème juif avec le général de division Kohl, chef de la section du transport ferroviaire en France. Il écrit précisément :

In der 1¼ Stunde dauernden Unterredung habe ich dem General einen Überblick über Judenfragen und Judenpolitik in Frankreich gegeben. Dabei konnte ich feststellen, daß er ein kompromißloser Judengegner ist und eine Endlösung der Judenfrage mit dem Ziel restloser Vernichtung des Gegners 100 % ig zustimmt. Er zeigte sich auch als Gegner der politischen Kirchen.

Ce qui signifie :

Dans l’entretien qui dura une heure un quart j’ai donné au général une vue d’ensemble de la question juive et de la politique concernant les juifs en France. J’ai pu ainsi constater qu’il est un adversaire sans compromis des juifs (« Judengegner ») et qu’il approuve à 100 % une solution finale de la question juive avec pour but un anéantissement sans réserve de l’adversaire (« des Gegners »). Il s’est aussi montré un adversaire (« Gegner ») des Églises politiques. 

Ainsi que le prouve le contexte, il ne peut s’agir d’un anéantissement physique des juifs mais de l’anéantissement de leur influence. L’Office central de la sûreté du Reich était chargé, entre cent autres tâches, de la surveillance du catholicisme politique (bureau IV B 1), du protestantisme politique (bureau IV B 2), des autres églises et de la franc-maçonnerie (bureau IV B 3) ainsi que des affaires juives et des évacuations de juifs (bureau IV B 4). L’ennemi, par définition, est à anéantir. Mais il ne s’agit pas plus de tuer l’ennemi (« Gegner ») juif que de tuer l’ennemi catholique, protestant, franc-maçon…

L’entretien entre Dannecker et le général Kohl n’avait aucun caractère secret ou même confidentiel. Un major du nom de Weber, officier de liaison entre la Luftwaffe et la section des transports ferroviaires, était présent. Il avait fait savoir à Dannecker que le général Kohl était intéressé par le problème juif. Dannecker s’était alors déclaré prêt à rencontrer le général si ce dernier le souhaitait (« falls der General es wünschte ») pour lui parler de la question juive.

Dans la suite de sa note Dannecker rapporte :

En enchaînant, le général de division Kohl, en présence du major Weber, m’a textuellement déclaré : 

« Je me réjouis de ce que nous nous soyons rencontrés et de ce qu’un lien se soit ainsi établi entre nous. Au sujet des transports à venir vous pouvez en discuter avec mon rapporteur compétent. Si vous me dites : “Je veux transporter à l’Est dix ou vingt mille juifs de France”, vous pouvez compter que dans tous les cas je mettrai à votre disposition le matériel roulant nécessaire et les locomotives. »

Le général déclara ensuite qu’il considérait la solution prochaine de la question juive en France occupée comme une nécessité vitale pour les troupes d’occupation et que pour cette raison, même au risque de paraître brutal aux yeux de certaines personnes, il adoptait toujours un point de vue radical et en appuyait l’exécution.

Le général Kohl, dans cette entrevue improvisée, exprime une vue banale à l’époque: les juifs sont hostiles au IIIe Reich ; leur simple présence en France occupée constitue un danger pour la troupe allemande ; il existait une « résistance juive » ou un « terrorisme juif » ; beaucoup de juifs, surtout parmi ceux qui venaient d’Europe centrale ou de Russie, étaient favorables aux communistes, lesquels menaient une guerre impitoyable contre l’occupant allemand. La façon radicale de se débarrasser de cette minorité hostile et dangereuse était de la déporter vers l’Est ; c’était le «refoulement vers l’Est» (« Zurückdrängung nach Osten »). Rien à voir avec une extermination physique.

La note Dannecker falsifiée par Billig, Klarsfeld, Wellers, Marrus, Paxton…

La petite phrase de neuf mots (Er zeigte sich auch als Gegner der politischen Kirchen : « Il s’est aussi montré un adversaire des Églises politiques ») était si embarrassante pour la thèse exterminationniste qu’usant de la méthode du mensonge par omission les historiens officiels ont préféré l’escamoter.

C’est le cas en 1974 pour Joseph Billig qui remplace la phrase entière par trois points de suspension. Billig dit de la note Dannecker, telle qu’il la reproduit :

Elle a cette originalité de faire partie de l’unique document de service retrouvé à notre connaissance parmi ceux qui révèlent le sens de la « solution finale » globalement et explicitement à l’intérieur de la Sipo-SD.[1]  

En 1978 Serge Klarsfeld procède de même mais le cas est encore plus grave que pour J. Billig. En effet, S. Klarsfeld prétend, lui, reproduire tout le cœur de la note et sa citation est donc très longue. Il en a juste enlevé les neuf mots allemands qui l’embarrassaient pour les remplacer par trois points.[2] Il est manifeste qu’il n’a pas «par erreur» reproduit une malhonnêteté de J. Billig. Il a créé sa propre supercherie. Il est allé au texte allemand[3] et c’est en pleine conscience qu’il a sauté les neuf mots dans sa traduction. Nous avons la preuve que S. Klarsfeld connaissait de première main le texte allemand intégral : en 1977, il avait publié en allemand des documents relatifs au procès Lischka et tous autres ; il lui était impossible d’en donner une reproduction falsifiée et c’est ainsi qu’il avait livré dans son intégralité la note Dannecker.[4]   

En 1980 Georges Wellers, directeur scientifique du Monde juif, emploie un subterfuge légèrement différent. Il utilise trois points placés entre guillemets qu’il fait suivre d’un fragment lointain de la même note.[5] En guise de commentaire, il écrit :

Il est frappant de voir avec quelle assurance et quelle franchise le jeune SS Dannecker parle avec un général de la Wehrmacht du sort des déportés, à savoir leur « anéantissement total » et l’empressement avec lequel le général se met à sa disposition pour atteindre ce but.

En 1981 Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton dénaturent à leur façon la note de Dannecker. Pour eux, le jeune Judenreferent était « impétueux et inexpérimenté » et c’est ce qui explique qu’il ait dévoilé ce qui devait être tenu caché ; ainsi a-t-il parlé spontanément d’« anéantissement total de l’adversaire » (« restloser Vernichtung des Gegners »).[6] Les auteurs donnent la référence du document telle qu’elle apparaît au CDJC.

Une autre note de Dannecker

Dans son article du 20 mai, Théolleyre cite une autre note de Dannecker mentionnée par le président Cerdini. Il écrit :

Mais Dannecker, après une visite des camps en France où étaient rassemblés des juifs, écrit encore, le 20 juillet 1942, toujours à Knochen : « La communauté juive a parfaitement compris que les juifs vivant dans ces camps sont voués à l’extermination totale ».

En réalité, dans cette note Dannecker se félicite de ce que l’émigration des juifs hors d’Europe se poursuive encore en juillet 1942 (soit deux années entières après le début de l’occupation de la zone nord de la France) ; c’est le cas dans le sud de la France, bien que dans des conditions difficiles parce que l’émigration n’est plus possible par Lisbonne mais par Casablanca. Dannecker se réjouit de ce que la communauté juive internationale (« das Weltjudentum ») ait déboursé l’argent nécessaire pour cette émigration car, dit-il, cette communauté a bien compris que «les juifs se trouvant dans le territoire sous puissance allemande allaient au devant de leur anéantissement sans réserve » (« dass die im deutschen Machtbereich befindlichen Juden ihrer restlosen Vernichtung entgegengehen »).[7] Dannecker reprend ici la formule qu’il employait dans sa note du 13 mai 1942. Pour lui, il ne s’agit pas de tuer les juifs mais de les obliger à décamper ; ils n’ont plus leur place en Europe, en tout cas dans les territoires dépendant de l’Allemagne ; c’en est fini pour eux, définitivement et sans réserve.

Autres documents détournés de leur sens

Au procès Barbie deux autres documents au moins semblent, à lire Théolleyre, avoir été détournés de leur sens réel : le décret NN et le procès verbal de la réunion de Wannsee.

Le décret NN n’a rien à voir avec une quelconque politique d’extermination. Pour commencer les lettres NN ne signifiaient pas à l’origine Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard) mais Nomen Nescio (nom inconnu). En bien des pays du monde il désigne, au moins depuis le siècle dernier, un anonymat de fait. En Italie, au Danemark, en Argentine, ce sigle s’emploie ou s’employait là où on ne peut donner le nom de la personne. Par exemple, on écrit dans les registres d’état civil : «Untel, fils de NN» ou, dans un rapport, « le général NN ». Dans le dictionnaire allemand Grimm et Grimm, il est dit que NN signifie : Nomen Nescio ou Nomen Notetur (Nom inconnu ou nom à noter). En décembre 1941 les Allemands avaient dû prendre des mesures pour essayer d’enrayer la multiplication, depuis l’intervention des communistes dans la guerre, des attentats contre la troupe allemande et des sabotages. Les cours martiales prononçaient de nombreuses condamnations à mort dont l’effet était désastreux pour la politique de collaboration. Voici ce que le maréchal Keitel déclarait à ce propos devant le TMI le 4 avril 1946 :

[Hitler] me déclara qu’il lui était fort désagréable de constater l’augmentation du nombre des condamnations à mort prononcées contre les saboteurs et leurs complices et que cela nuisait sérieusement à l’établissement de la paix dans les pays occupés. Il désirait que cela cessât car, à son avis, de tels faits rendaient encore plus difficile l’apaisement des populations et l’entente avec elles. Il me dit alors que le seul moyen de modifier cet état de choses, au lieu de prononcer des condamnations à mort, dans les cas où une telle sentence ne pouvait être ni prononcée ni exécutée le plus rapidement possible comme le prévoit le décret, consistait à déporter en Allemagne les « personnes suspectes » ou coupables – si l’on peut employer ce terme – , à l’insu de leurs familles, pour les interner ou les emprisonner, en évitant ainsi l’emploi d’une longue procédure de cour martiale avec de nombreux témoins.[8]  


Ainsi prenait naissance le décret NN. Toute personne soupçonnée d’avoir participé à une action terroriste sur laquelle, par exemple, une décision judiciaire ne pouvait être prise dans les huit jours, devait être extradée en Allemagne et jugée par des instances judiciaires allemandes. Ces personnes ne pouvaient ni recevoir, ni envoyer du courrier. Elles semblent avoir été plus nombreuses dans les prisons que dans les camps. Dans les camps, elles portaient bien lisiblement en noir les lettres NN. Sur le sujet, on pourra consulter l’ouvrage suivant : Joseph de La Martinière, Les N.N. – Le décret et la procédure Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard).

Quant au procès-verbal de la réunion de Berlin-Wannsee du 20 janvier 1942, il est inadmissible qu’on persiste en 1987 à le faire passer pour la preuve d’une quelconque extermination des juifs. Cette thèse s’est définitivement écroulée – il en était temps – au colloque de Stuttgart du 3-5 mai 1984. Voyez-en le compte-rendu dans Der Mord an den Juden. D’ailleurs, s’il existait un seul document prouvant une politique d’extermination des juifs, la querelle entre « intentionnalistes » et «fonctionnalistes» n’aurait tout simplement pas lieu d’être.

En France, l’establishment constitué de facto par les historiens officiels, les magistrats et la grande presse perpétue les croyances du passé et ne se tient pas informé des progrès de la recherche dans l’historiographie de la seconde guerre mondiale. Par exemple, le journal Le Monde continue de préserver le mythe de la conférence de Wannsee entendue comme une preuve de la politique d’extermination des juifs. Il ne tient aucun compte des travaux de Wilhelm Stäglich ou de Wigbert Grabert sur la question. Il fait mieux : pour préserver le mythe, il falsifie les textes. Voici un exemple récent de falsification dû au germaniste Jacques Nobécourt : dans un article intitulé : « Un livre de David Wyman. Les silences de Roosevelt devant l’Holocauste »[9], Jacques Nobécourt écrit :

À Wannsee, quartier résidentiel de Berlin, les représentants de toutes les administrations du Reich entendirent de Heydrich, chef des services de sécurité, la définition du plan qui systématisait « la solution finale du problème ».Il s’agissait de transférer à l’Est onze millions de personnes « de confession juive » pour les y faire travailler, en particulier à la construction de routes. « Une grande partie disparaîtra sans aucun doute par décroissance naturelle, c’est-à-dire excès de travail, maladies, sous-alimentation, etc. Ce qui finalement subsistera et représentera indubitablement la fraction la plus résistante devra être traité conformément au fait que, représentant une sélection naturelle, il constituerait le germe d’une renaissance juive s’il était libéré. »

Telle fut la phrase clé, d’où prit son accélération tout le système d’une extermination jusqu’alors menée moins administrativement. Aucun des assistants ne critiqua la consigne, et, deux mois plus tard, en avril, les premiers camps de la mort (Belzec, Treblinka, Sobibor), entrèrent en fonction.


Jacques Nobécourt a fait ici le maximum de ce que peut réaliser un falsificateur puisque, aussi bien, il a mené, sans en oublier une seule, les trois opérations possibles : d’abord retrancher, puis ajouter, enfin altérer ce qui reste.

La « décroissance naturelle » dont parle le texte original (natürliche Verminderung : doc. NG-2586, p. 7) est celle due au fait que les juifs et les juives, organisés à l’Est en colonnes de travail et construisant des routes en avançant vers l’Est, seront séparés d’après le sexe. C’est le cas pour tous les prisonniers du monde. Il y aura obligatoirement plus de décès que de naissances.

Pour mieux cacher le sens de « décroissance naturelle », J. Nobécourt a tout simplement forgé et ajouté au texte les mots suivants : (par décroissance naturelle) c’est-à-dire excès de travail, maladies, sous-alimentation, etc. Il a inséré ces mots dans sa citation du document et ils apparaissent, comme le reste du document, en caractère italique et entre guillemets. Comme on le voit, non seulement Nobécourt a faussé le sens réel de « diminution naturelle » mais il en a profité pour montrer les Allemands comme des êtres parfaitement cyniques, décidés à pratiquer la sous-alimentation de leurs prisonniers juifs.

Quant à ce qu’il appelle « la phrase-clé », il en dénature le sens au point de lui faire dire exactement le contraire de ce qu’elle dit. Cette phrase ne signifie pas du tout qu’il faudra exterminer ce qui subsistera de juifs, si on les libère ; elle dit, au contraire, qu’il faudra libérer ces juifs et les considérer comme la cellule germinative d’une renaissance juive. On retrouve là l’idée banale selon laquelle le travail physique régénère. Dans la mythologie antijuive, le juif est un parasite qui répugne au dur travail physique et, en particulier, à celui de la terre. Même dans la mythologie sioniste, les juifs se rachèteront du poids du passé par le travail physique. Il se produira alors une renaissance. Le terme allemand habituellement employé (Aufbau) est, d’ailleurs, celui qu’on trouve ici dans ce passage du procès-verbal de Wannsee. Il sert de titre à un fameux périodique juif américain. Voici le texte allemand du procès verbal, suivi de la traduction de J. Nobécourt et de sa véritable traduction :

Der allfällig endlich verbleibende Restbestand wird, da es sich bei diesem zweifellos um den widerstandsfähigsten Teil handelt, entsprechend behandelt werden müssen, eine natürliche Auslese darstellend, bei Freilassung als Keimzelle eines neuen jüdischen Aufbaues anzusprechen ist. (Siehe die Erfahrung der Geschichte.)[10]  

Traduction de J. Nobécourt :

Ce qui finalement subsistera et représentera indubitablement la fraction la plus résistante devra être traité conformément au fait que, représentant une sélection naturelle, il constituerait le germe d’une renaissance juive s’il était libéré.

Véritable traduction (en reprenant le plus possible les mots de J. Nobécourt) :

Ce qui finalement subsistera et représentera indubitablement la fraction la plus résistante devra être traité conformément au fait que, représentant une sélection naturelle, il constituera à sa remise en liberté le germe d’une renaissance juive (voyez la leçon de l’Histoire).

J. Nobécourt, en plus de tout, a supprimé cette allusion à « la leçon de l’Histoire » qui montrait bien que, dans l’esprit des Allemands, cette renaissance ou cette régénération constituerait une renaissance ou une régénération de plus dans l’histoire.

Au journal Le Monde, on ne chôme pas dans le travail de manipulation des textes avec le désir, légitime à ses yeux, d’éclairer les esprits. En tête d’un dossier sur l’antisémitisme, présenté par Jean-Marc Théolleyre[11], paraissait la phrase allemande :

Ohne Lösung der Judenfrage, keine Erlösung der Menschheit 

ainsi traduite : « Sans l’extinction de la race juive, pas de salut pour l’humanité » alors qu’en réalité la phrase signifiait : « Sans solution de la question juive, pas de salut pour l’humanité » (mots soulignés par nous). Prié de s’expliquer sur sa traduction, Le Monde, par l’intermédiaire de Daniel Junqua, répondait qu’il s’agissait certes d’une erreur « d’un point de vue strictement linguistique » mais que les Allemands employaient là un euphémisme « parfaitement traduit » (sic) et recouvrant une horrible réalité. Et d’ajouter : « C’est cette réalité que rend la traduction choisie pour que nulle équivoque ne puisse subsister à ce propos pour nos jeunes lecteurs » (lettre du 4 juillet 1983).

Nos faussaires œuvrent pour la jeunesse en toute bonne conscience ; c’est ce qu’on appelle « les pieux mensonges ».

Dans son article du 21 mai 1987 Théolleyre écrit à propos de la déposition d’un procureur allemand du nom de Streim, collègue du procureur Holtfort :

Il convenait aussi de revenir sur le sens de l’expression « solution finale de la question juive », apparue pour la première fois lors de la conférence dite de Wannsee, le 20 janvier 1942, sous la présidence de Heydrich, alors chef du RSHA, l’office central de la sécurité du Reich.

Voilà qui est grave. Si le journaliste a raison et si le procureur Streim a vraiment dit cela et si le président Cerdini le croit comme le journaliste lui-même a l’air de le croire, nous sommes dans la complète falsification historique.

L’expression de « solution finale de la question juive » est peut-être apparue dès 1935 ; en tout cas, bien avant la guerre, elle était d’un emploi courant ; elle désignait alors par exemple, le projet d’émigration des juifs à Madagascar ; même Léon Poliakov en convient.[12] Rechercher la solution, à la fin des fins, d’un problème à peu près aussi vieux que le peuple juif lui-même n’implique pas nécessairement une extermination de ce peuple. On cherchait une terre, un foyer national, une patrie pour les juifs européens. Beaucoup ont songé à Madagascar, à l’Ouganda, à une portion d’Amérique du Sud, à la Sibérie orientale, à la Palestine. Aujourd’hui, il existe deux foyers nationaux juifs : l’un se trouve en Israël et l’autre dans la région autonome juive de Birobidjan (Sibérie méridionale).

Et puis, il faudrait avoir l’honnêteté là encore de ne pas tronquer l’expression allemande qui, bien souvent, n’était plus seulement « Endlösung » («solution finale») mais « territoriale Endlösung » (« solution finale territoriale »), ce qui exclut l’idée d’une extermination. Encore sept mois après la conférence de Wannsee (une conférence où, d’ailleurs, aucune décision n’a été prise mais où Heydrich a annoncé le remplacement d’une émigration vers Madagascar par une émigration vers l’est de l’Europe), l’expression de « territoriale Endlösung » est employée dans le « Luther Memorandum ».[13] Encore le 24 juillet 1942 Hitler, tempêtant contre les juifs qui lui avaient déclaré la guerre en la personne Chaïm Weizmann, se promettait de les chasser d’Europe après la guerre et de les forcer à émigrer vers Madagascar ou quelque autre foyer national juif.[14]  

Le procès Barbie agit comme un révélateur de la vaste mystification que constitue la thèse de l’extermination des juifs. Selon Théolleyre, le procureur Holtfort aurait déclaré à propos d’un prétendu ordre d’exterminer les juifs :

Il n’existe pas de document écrit, mais l’on part de l’hypothèse que des instructions orales furent données par Hitler et que l’on usa alors d’un langage codé, dont seuls les initiés connaissaient la signification. 

Il faut espérer qu’un lecteur attentif saura lire et relire ces mots pour en mesurer toute la signification involontaire. Les exterminationnistes ont pour seule ressource de bâtir des hypothèses, de supposer l’existence d’instructions dont on ne trouve pas la moindre trace, de « coder » le langage des Allemands pour mieux le « décoder » ensuite.

En réalité, les historiens n’ont trouvé aucun ordre d’aucune sorte d’exterminer les juifs : ni ordre, ni plan, ni budget pour ce qui est de la vaste entreprise criminelle ; aucune expertise de l’arme du crime (la chambre à gaz ou le camion à gaz) ; aucun rapport d’autopsie concluant à un assassinat par gaz-poison ; aucun témoin contre-interrogé sur sa prétendue connaissance oculaire de l’arme du crime.

Plus se multiplient les « miraculés » et plus on croit au miracle alors que c’est le contraire qui devrait se passer.

Plus les témoins de l’accusation parlent avec haine (et même garantissent qu’ils ont de la haine pour Barbie et pour ce qu’il représente) et plus ils sont écoutés avec confiance alors qu’ils devraient susciter la méfiance précisément parce qu’ils parlent avec haine.

« Ce n’est pas devant les tribunaux que l’Histoire peut trouver ses juges. » On connaît cet adage mais on l’oublie vite dès lors qu’il s’agit du « nazisme » ou d’un «nazi». Car, en fin de compte, là est bien le nœud de l’affaire. Qu’on le veuille ou non on part du principe qu’« un nazi n’est pas un homme » et tout s’ensuit. À l’égard d’un nazi les règles habituelles ne jouent plus. L’appareil judiciaire, jamais embarrassé pour trouver des justifications à ses entreprises et entraîné de longue date à feindre un respect scrupuleux des lois, est prêt à se contenter de peu. De 1940 à 1944 les magistrats français ont fait fusiller dans un sens ; puis, de 1944 à 1950 au moins, ils ont fait fusiller dans l’autre sens. Et souvent il s’agissait des mêmes magistrats.

Un magistrat ne peut pas aller à contre-courant des grands mouvements d’opinion ; il lui faut communier, à sa façon. La grande presse l’observe. À la moindre incartade, il serait rappelé à l’ordre. Les magistrats qui ont à juger Barbie sont à plaindre. Barbie aussi, car il est un homme, tout simplement, un vaincu que juge son vainqueur. Qui accepterait de se laisser juger par son vainqueur ?

On n’en a pas fini au procès Barbie avec le faux et usage de faux. Le lecteur des Annales d’histoire révisionniste sera tenu au courant.

25 mai 1987

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Notes

[1] J. Billig, « Le Cas du SS-Obersturmführer Kurt Lischka », Le Monde juif, juillet-septembre 1974, p. 32.
[2] S. Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, éd. Beate et Serge Klarsfeld, Paris 1978, p. 28.
[3] Référence du CDJC : XXVb-29.
[4] Deutsche Dokumente 1941-1944… p. 56.
[5] Le Monde juif, juillet-septembre 1980, p. 97.
[6] M. Marrus et R. Paxton, Vichy et les juifs, Calmann-Lévy, Paris 1981, p. 320.
[7] Document CDJC : XXVb-87.
[8] TMI, X, p. 563.
[9] Le Monde, 22 avril 1987, p. 1 et 7.
[10] NG-2586, p. 8.
[11] Le Monde. Dossiers et documents, n°103, juillet 1983.
[12] L. Poliakov, Le Procès de Jérusalem, Calmann-Lévy, Paris 1963, p. 152.
[13] Doc. NG-2586-J du 21 août 1942, p. 4 ; rappelant une lettre de Heydrich du 24 juin 1940.
[14] Hitlers Tischsgespräche im Führerhauptquartier 1941-1942, Seewald, Stuttgart 1963, p. 471.