Lettre à August von Kageneck
Monsieur,
À en croire Le Monde, vous auriez écrit que cette Wehrmacht à laquelle vous avez appartenu aurait « servi d’instrument au plus monstrueux crime de l’Histoire ». Le plus curieux est que vous n’auriez personnellement rien vu de ce crime ; vous auriez tout juste « entendu parler » d’un massacre de juifs, à peine votre « unité avait-elle quitté la petite ville ukrainienne »[1].
Supposons un instant que Daniel Vernet ait fait de votre livre un fidèle compte rendu. Je dirais qu’à mon avis, de ce crime (« le plus monstrueux crime de l’Histoire »), vous n’avez pas pris le soin d’établir la réalité. Je doute fort que vous vous soyez livré à une étude de tous les crimes réels de l’Histoire, préalable pourtant nécessaire à une comparaison des crimes commis respectivement par les vainqueurs et par les vaincus de la seconde guerre mondiale.
Je crains que vous ne soyez de ces Allemands qui goûtent un plaisir morbide à s’humilier devant les vainqueurs, notamment les juifs.
En classant ce papier de D. Vernet dans le dossier qui porte votre nom, j’ai retrouvé la lettre que vous m’adressiez le 30septembre 1987. Vous m’écriviez : « Car je crois à l’existence des chambres à gaz, comme je crois au témoignage de Rudolf Höss réuni dans un livre (Kommandant in Auschwitz) que j’estime être le document de base pour la compréhension du phénomène national-socialiste ». Ces derniers mots, c’est moi qui les souligne. Voyez ce que je vous ai répondu le 2 octobre 1987. Et constatez enfin, avec mon article du 3 mars 1994 et ses pièces jointes (Le témoignage du “commandant d’Auschwitz” est déclaré sans valeur !), qu’au terme d’un combat de plusieurs années pour le rétablissement de l’exactitude des faits, ce que je vous disais sur le sujet a reçu comme une confirmation officielle : « Höss a toujours été un témoin très faible et [très] confus », a été obligé de dire Christopher Browning, qui a eu l’aplomb d’ajouter : « C’est pour cette raison que les révisionnistes l’utilisent tout le temps, afin d’essayer de discréditer la mémoire d’Auschwitz dans son ensemble » !
Il vous faudra trouver un autre document. Je vous en suggère un : au lieu de la confession de Rudolf Höss, extorquée par ses geôliers juifs (britanniques ou polonais), la confession de l’abbé Pierre. Ce dernier vient, enfin, d’admettre que Roger Garaudy avait tort de se montrer profondément sceptique sur l’existence des chambres à gaz nazies ; les organisations juives et ses amis juifs ont obtenu qu’il avoue l’existence de ces abattoirs chimiques. C’est bien la meilleure preuve que l’arme du plus monstrueux crime de l’Histoire a existé. Un prêtre, vivant dans un pays démocratique, aurait-il la moindre raison de mentir ?
Si D. Vernet a déformé le contenu et le sens de votre livre, je vous conserve mon estime. S’il a dit vrai, vous n’avez plus mon estime.
P.J. – Votre lettre du 30 septembre 1987;
– Ma réponse du 2 octobre 1987;
– Mon article du 3 mars 1994 (avec, notamment, l’extrait de Vanity Fair contenant la déclaration de Christopher Browning sur R. Höss[2]).
8 mai 1996
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[1] D. Vernet, « Fin du mythe de la Wehrmacht », Le Monde (des livres), 3 mai 1996, p. X.
[2] Ch. Hitchens, Whose History is it?, Vanity Fair (New York), décembre 1993, p. 110-117.