Interviews de Pierre Vidal-Naquet, Georges Wellers et de quelques autres dans Zéro
Zéro est un mensuel d’inspiration satirique. On y trouve les noms de Gébé, Gourio, Cavanna, Vuillemin, Wolinski. Il arrive qu’on y publie, comme dans Lui, des enquêtes ou des interviews sur des sujets austères. Michel Folco a entrepris une série d’enquêtes ou d’interviews sur la controverse qui se développe autour du problème des chambres à gaz. Il est prudent. Il se garde bien de donner son opinion personnelle, à supposer qu’il en ait une.
Dans la livraison d’avril figurent des interviews de Pierre Guillaume, de Robert Faurisson et de Pierre Vidal-Naquet.
Ce dernier considère que l’affirmation selon laquelle il n’a pas pu exister de chambres à gaz a pris les proportions d’un “phénomène mondial[1]”. Ce qui parait l’inquiéter particulièrement, c’est l’intervention de “gens qui sont de gauche et même d’ultra-gauche”. Il est très marqué par la lecture des livres ou des textes de Robert Faurisson, en particulier par Mémoire en défense (où ce dernier rappelait le faux témoignage circonstancié de l’Abbé Hénocque sur la prétendue chambre à gaz de Buchenwald) et par le texte intitulé Un grand faux témoin : Élie Wiesel (où Faurisson faisait remarquer que, dans son autobiographie [La Nuit], ce dernier racontait n’importe quoi sur Auschwitz et s’était transformé en grand prêtre et en commerçant du “Shoah-business”). Voici les propos de Vidal-Naquet :
Vous avez donc ces petites sectes et, à l’autre extrémité de la gamme, si vous voulez, vous avez des gens qui sont de gauche, et même d’ultra-gauche, comme Serge Thion, Pierre Guillaume et quelques autres… y compris des juifs comme Gaby Cohn-Bendit… Il paraît qu’il a renoncé récemment au révisionnisme mais enfin…. Vous avez des juifs en effet comme un nommé Karnoouh… Alors ces gens-là prétendent être des savants faisant une analyse soi-disant scientifique et politique…
Tant que Faurisson et Rassinier n’avaient que trois ou quatre disciples, cela n’avait aucune espèce d’importance ; dans la mesure où se produit cette espèce de conjonction des extrêmes, il y a en effet un danger…
Et je voudrais ajouter quand même deux ou trois autres choses: la première est qu’il faut bien voir que si ce genre d’élucubrations folles rencontre quand même un certain écho, c’est qu’on fait une utilisation politique du génocide hitlérien qui elle-même est dangereuse… Il suffit de mettre les pieds en Israël pour s’apercevoir qu’il y a là-bas une utilisation politique directe de la Shoah. C’est-à-dire que dès qu’un Arabe lance un caillou sur un camion israélien en Cisjordanie occupée, on dit que c’est la suite de la Shoah! Ce dont Monsieur Begin s’était fait une spécialité… On court le risque de dévaloriser, de nier l’importance de la Shoah même… et ça je suis catégorique là-dessus.
Par exemple, vous avez le rabbin Kahane, cet extrémiste juif, qui est moins dangereux qu’un homme comme Élie Wiesel qui raconte n’importe quoi [c’est lui qui souligne]… Il suffit de lire certaines de ses descriptions de La Nuit pour savoir que certaines de ses descriptions ne sont pas exactes et qu’il finit par se transformer en marchand de Shoah… Eh bien lui aussi porte un tort, et un tort immense, à la vérité historique.
On a même répandu des faux témoignages sur la chambre à gaz de Buchenwald qui, à ma connaissance, n’a jamais existé. Or un homme qui a donné son nom à une place de Paris, l’abbé Georges Hénocque, a donné une description d’apparence convaincante de la chambre à gaz de Buchenwald…
– Vous avez connu Faurisson en classe, dans les années 60. Comment était-il ?
– C’était un provocateur nazi. Qui était nazi moins par goût de l’idéologie nazie que par goût de la provocation…
– Que répondez-vous à Faurisson qui réclame “une preuve, une seule preuve de l’existence des chambres à gaz” ?
Pierre Vidal-Naquet sourit en haussant les épaules.
– Il réclame une seule preuve parce qu’il sait très bien qu’il en existe des milliers… Il réclame une seule preuve parce qu’il est décidé à n’en accepter aucune…
Je lui reparle du Shoah business. Je réclame des exemples.
– Regardez Christian Bernadac et des gens comme ça…
– Ah oui, lui, c’est vrai, il a frappé très fort, il a dû écrire au moins une quinzaine de bouquins…
– Il a inondé le marché de récits fabuleux qui étaient faits de témoignages non vérifiés… Il y a eu une fois un très bel article dans Le Monde d’une dame qui s’appelle Cynthia Haft et dans lequel elle parle de l’“avilissement du tragique” (“Certains auteurs, constatant que le sexe et la violence font recette en ce moment, se sont avisés qu’il y avait une mine inépuisable à Auschwitz, à Bergen-Belsen, à Mauthausen…” Le Monde du 25 février 1972).
– Donnez-moi une preuve irréfutable du génocide juif et des chambres à gaz.
– Si vous voulez, au-delà même de la question archéologique qui a son importance, bien sûr, il y a ce fait massif, si vous voulez, que lorsque les gens arrivaient à Treblinka ou à Auschwitz, on les sélectionnait… Qu’une partie disparaissait tout de suite alors que d’autres étaient inscrits dans le camp… Alors la preuve de l’extermination, elle est là ! Dans cette sélection! Elle est dans le fait que les gens allaient à droite, si vous voulez, et qu’ils ne réapparaissaient pas ! On a beau dire le contraire, c’est une donnée strictement objective.
– Comment un historien de la Grèce antique peut-il se retrouver dans une pareille affaire ?
– Ben, il fallait bien que quelqu’un fasse le boulot. Si vous voulez, le scandale en France, c’est que les historiens professionnels ne se sont pas intéressés à ça ! Ce sont des dossiers répugnants !… Et puis ce n’est pas non plus très glorieux pour la France… Pourquoi croyez-vous que ce sont messieurs Paxton et Marrus qui ont fait le livre Vichy et les juifs ? Pourquoi est-ce monsieur Klarsfeld, un avocat, qui a écrit Vichy et Auschwitz ? Parce que les historiens n’ont pas fait leur boulot…
La “preuve irréfutable” de Vidal-Naquet n’a pas grande valeur. Auschwitz servait de plaque tournante à la déportation. Les nouveaux arrivants étaient rangés en deux colonnes sur la rampe de Birkenau : d’un côté, les hommes et, de l’autre, les femmes et les enfants (et non pas, d’un coté, les forts condamnés au travail et, de l’autre, les faibles condamnés aux chambres à gaz). Puis, avait lieu une Aussortierung, c’est-à-dire un tri entre différents centres de travaux forcés (usines, mines, fermes…) tandis que les autres croupissaient dans de purs camps de concentration. Ainsi l’ensemble des arrivants étaient-ils envoyés dans près de 40 points différents dépendant du complexe d’Auschwitz, tandis que d’autres étaient, après un délai plus ou moins long, expédiés, par exemple, vers des camps d’Allemagne.
Quant aux historiens qui, selon Vidal-Naquet, “n’ont pas fait leur boulot”, peut-être ont-ils médité sur ce qui est arrivé à ceux d’entre eux qui ont essayé de le faire mais qui l’ont cher payé. Dernier exemple en date: celui de Mme Mariette Paschoud, enseignante d’histoire à Lausanne. Dans Le Monde daté du 17 avril 1987 (p. 28), on lit cette “brève” :
Suisse: Mme Paschoud déchargée de ses cours. – Le gouvernement du canton de Vaud a décidé, mercredi 15 avril, de retirer tous ses cours à Mme Mariette Paschoud, cette enseignante au lycée de Lausanne qui avait fait scandale en remettant publiquement en cause l’existence des chambres à gaz. (Corresp.)
L’enquête de Michel Folco se poursuit dans la livraison datée de mai (en vente vers le 17 avril). Il s’est intéressé à la chambre à gaz de Ravensbrueck. Il a interrogé sur le sujet Germaine Tillion, Olga Wormser-Migot et Georges Wellers. D’après la première, le camp de Ravensbrueck aurait possédé une chambre à gaz: c’est même Madame Tillion mère qui l’aurait “étrennée” dans les derniers jours de la guerre. La seconde est l’auteur d’une thèse volumineuse sur le système concentrationnaire nazi ; elle déclare que les chambres à gaz ont bien évidemment existé, mais en Pologne uniquement, et n’ont servi que pour les juifs et les tziganes ; pour elle, la croyance de Germaine Tillion est le résultat “d’un mécanisme psychologique quasi hallucinatoire relevant plus de la psychanalyse que du témoignage historique”. Olga Wormser-Migot, qui est d’origine juive, appartient à la cohorte des historiens qui ont eu à souffrir d’une terrible répression pour avoir simplement parlé d’un “problème des chambres à gaz” et mis en doute l’existence de telles chambres dans tel ou tel camp (Ravensbrück, Mauthausen, Oranienburg-Sachsenhausen). Georges Wellers admet lui-même que “les filles de Ravensbrueck” “l’ont attaquée durement” Pour sa part, il pense qu’il a pu exister une telle chambre à Ravensbrück mais il n’en paraît pas sûr! Il dit : “Vous savez, moi, je crois qu’il y a eu une chambre à gaz non pas à Ravensbrück (comme l’affirme Germaine Tillion), dans le camp, mais quelque part à côté”. D’après Germaine Tillion, même Serge Klarsfeld ne croit pas à cette chambre-là.
La partie la plus éclairante de l’interview de Georges Wellers porte sur le grave différend qui l’oppose à Serge Klarsfeld. Dans une déclaration recueillie par VSD (voy. la livraison du 29 mai 1986, p. 37), ce dernier avait reconnu que jusque-là on n’avait pas encore publié de “vraies preuves” de l’existence des chambres à gaz, mais seulement des “débuts de preuve”.[2] Manifestement, Klarsfeld s’était rendu compte de l’inanité d’ouvrages tels que Les chambres à gaz ont existé[3] (par Georges Wellers, Gallimard, 1981) et Les Chambres à gaz, secret d’État (par Eugen Kogon, Hermann Langbein, Adalbert Rueckerl et 21 autres auteurs dont Georges Wellers, Éditions de Minuit, 1984). Pour sa part, il annonçait la publication d’un ouvrage de Jean-Claude Pressac fournissant “trente-sept preuves dont une définitive de l’existence d’une chambre à gaz homicide dans le crématoire 3 de Birkenau”. Autrement dit, pour Klarsfeld, il s’agissait de trente-six preuves non définitives et d’une preuve définitive. Cette preuve, il la reproduisait dans VSD. Cette preuve, malheureusement pour lui, est grotesque. Il s’agit d’un bordereau de réception de marchandises pour le crématoire 3 où on lisait qu’entre autres fournitures on avait livré à ce crématoire quatorze pommes de douches et une porte étanche aux gaz (Gasdichte Tür). Klarsfeld disait en conclusion : “Alors, soyons logiques, s’il s’agit d’une salle de douches, pourquoi cette porte étanche au gaz ?” Klarsfeld fait simplement preuve d’ignorance : durant la dernière guerre, les Allemands ont fabriqué en quantités industrielles de telles portes à la fois en prévision de la guerre des gaz et à cause de la nécessité d’équiper tout abri (abri par destination ou abri de rencontre) contre les dégagements de gaz produits par l’éclat des bombes. Cette porte étanche au gaz était aussi inoffensive que peut l’être un masque à gaz. Georges Wellers a bien su voir la faiblesse de l’argumentation de Klarsfeld, il dit et répète dans son interview que “ce n’est pas une preuve définitive” ou “l’histoire des pommes de douches du bordereau, vous savez ce n’est pas la preuve de quoi que ce soit… Non, non, ça, c’est une déclaration très malheureuse et très gênante”.
Il n’est pas sûr que Georges Wellers lui-même ait à se réjouir d’avoir donné cette interview. Il s’y confirme au passage, pour les connaisseurs, qu’il y a de solides raisons de douter de la valeur des titres universitaires de ce maître de recherches honoraire au Centre national de la recherche scientifique. Il est né en Russie (sans autre précision donnée ni dans l’interview ni dans la pièce déposée à la préfecture de police de Paris le 21 avril 1982 : “Statuts de l’Association pour l’étude des assassinats par gaz sous le régime national-socialiste (ASSAG)”. Il dit : “J’ai fait toutes mes études secondaires dans une ville de province au fin fond de la Russie là où les Allemands ne sont pas allés et, euh… j’ai fait mes études supérieures à l’université de Moscou à la faculté des Sciences et ma spécialité est la physiologie et la biochimie… J’ai quitté la Russie en 1925, j’avais 20 ans”. Wellers n’a pas fait ensuite d’autres études. La question est : quels diplômes universitaires possédait-il en 1925, à l’âge de 20 ans? Dans un récent procès intenté par la LICRA contre Le Monde il a été impossible d’obtenir de lui une réponse sur ce point malgré les efforts de la présidente du tribunal. Que nous cache là Georges Wellers ? Il importe de trouver le fin mot de l’histoire, non pas pour les titres eux-mêmes, mais pour savoir à quoi s’en tenir sur l’homme et sa façon de traiter du passé.
La même livraison de Zéro (mai 1987, p. 70-75) contient une interview d’Henri Roques qui s’achève sur la déclaration suivante :
Si Faurisson, lui, nie l’existence des chambres à gaz, moi, je n’y crois pas beaucoup mais je les mets en doute… L’acharnement de mes adversaires et leur mauvaise foi à défendre ce témoignage suspect qu’est le rapport Gerstein ne peuvent dissiper mes doutes, au contraire ça ne peut que contribuer à les augmenter.[4]
Cette enquête de Zéro s’inscrit dans tout un ensemble de déclarations qui donnent l’impression qu’on se met en France à brader les chambres à gaz. Voici trois exemples :
1) Deux enseignants d’origine juive, Marc Ascione et Ida Zajdel, dénoncent le mythe des chambres à gaz comme une invention de nazis, soucieux de glisser dans des confessions fallacieuses, une “bombe à retardement contre les juifs[5]”.
2) L’Amicale d’Oranienburg-Sachsenhausen défendait sa chambre à gaz avec d’autant plus d’âpreté que des responsables du camp avaient avoué après la guerre l’existence d’une telle chambre. Or, dans son Bulletin de mars 1987, on peut lire :
C’était au tour de notre cher P. Couffault d’aborder un sujet douloureux, la contestation au sujet des chambres à gaz. Ce serait stupide de penser que tous les déportés aient eu l’occasion de voir ces sinistres lieux. Malheureusement, ceux qui les ont vus ne sont plus là pour témoigner. Il est stupide et oiseux d’entamer une polémique sur une des plus sombres pages de l’histoire de la déportation.
3) À l’émission télévisée d’“Apostrophes” du 17 avril 1987, Josef Rovan et J. Sommet, deux anciens déportés de Dachau, rendaient enfin clair pour quelques millions de Français qu’il n’y avait jamais eu de gazage homicide dans leur camp et, surtout, André Frossard, auteur d’un livre sur Maximilien Kolbe, mort à Auschwitz, procédait en termes alambiqués à la mise sous le boisseau des “chambres à gaz”, lesquelles, selon lui, ne valaient pas qu’on s’appesantisse sur leur cas; elles avaient certes existé, mais le crime des Allemands “commençait bien avant”.
Dans les milieux avertis, on solde les chambres à gaz tandis que, dans le commerce de l’Holocauste, on cherche par tous les moyens médiatiques à promouvoir un produit qui est en perte de vitesse.
1er mai 1987
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[1] Zéro, avril 1987, p. 57.
[2] VSD, 29 mai 1986, p. 37.
[3] Georges Wellers, Gallimard, 1981.
[4] Zéro, mai 1987, p. 75.
[5] Article 31, n° 26, janvier-février 1987, p. 22.