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Sur Pie XII, S. Klarsfeld se rapproche-t-il des révisionnistes?

Première surprise : Serge Klarsfeld vient de prendre la défense de Pie XII. Seconde surprise : il le fait en utilisant au passage un argument de nature quelque peu révisionniste. Pour ma part, j’ai écrit en 2002 et répété en 2009 :

1) « Favorable aux Alliés et secourable aux juifs, le pape Pie XII était aussi révisionniste. C’est précisément son scepticisme de révisionniste, et non pas une quelconque ignorance des faits, qui explique son silence sur la prétendue extermination physique des juifs, sur les prétendues chambres à gaz nazies et sur les prétendues six millions de victimes juives de ce qu’on appelle aujourd’hui “l’Holocauste” ou “la Shoah” » (début de la préface de : Le Révisionnisme de Pie XII, 2002, nouvelle édition en 2009, 131 p., à commander à Akribeia, 45/3, Route de Vourles, 69230 Saint Genis Laval, 15€, port compris.) ;

2) « Son scepticisme en la matière s’apparentait, avec encore plus de netteté, à celui des hauts dirigeants alliés pendant la guerre. Ces derniers, dans leurs diatribes antinazies, flétrissaient assurément “l’extermination” des juifs mais avec l’enflure rhétorique des discours de guerre, et seulement dans un sens général et traditionnel ; c’est ainsi que par “extermination”, ils entendaient excès, mauvais traitements, exécutions massives, famine. En août 1943 ils avaient failli aller plus loin et parler de “chambres à gaz” mais, à Londres, le Foreign Office et, à Washington, le State Department, inondés de propagande juive, décidaient d’un commun accord, le 29 août 1943, que les preuves étaient insuffisantes (insufficient evidence) pour parler de chambres à gaz d’exécution. Dans le même esprit, pendant et après la guerre, dans leurs discours comme dans leurs mémoires, Churchill, Eisenhower et De Gaulle se sont gardés de mentionner les prétendues chambres à gaz ou les prétendus camions à gaz des nazis » (autre extrait de ladite préface).

Il va sans dire que mon argumentation a été généralement accueillie par le silence ou la réprobation. Encore récemment, en 2009, quand j’ai voulu faire don de mon ouvrage à la bibliothèque principale de l’Institut catholique de Paris, on me l’a refusé et retourné avec une lettre d’accompagnement dénuée des remerciements d’usage et de toute formule de politesse. J’ai fait le récit de cet épisode dans ma Lettre sur quelques effets du tabou holocaustique (19 décembre 2009), où j’écrivais :

Il y a quelques jours je me suis rendu, 21, rue d’Assas, à l’Institut catholique de Paris. J’y ai constaté que mon opuscule intitulé Le Révisionnisme de Pie XII n’était pas mentionné au catalogue des deux bibliothèques. Pourtant j’avais autrefois déposé à la banque d’entrée de l’Institut un exemplaire de la première édition en spécifiant qu’il s’agissait d’un « don de l’auteur ». L’employé de faction, un Arabe, m’avait remercié. Le 30 novembre 2009 au soir, par précaution, j’ai demandé à voir une responsable de la bibliothèque principale. À cette dame (Marie-Christine Vaillant) j’ai montré un exemplaire de la seconde édition, revue et corrigée, et je lui ai dit que je souhaitais en faire don à l’Institut. Au vu du titre elle m’a déclaré qu’elle doutait fort qu’on accepte un tel ouvrage. Je lui ai confié que j’avais habité tout contre la chapelle des Carmes, partie intégrante de l’Institut, et qu’en 1945, à l’âge de 16 ans, je ne me serais pas douté qu’un jour, à l’âge de 80 ans, je viendrais demander à l’Institut catholique qu’on veuille bien accepter un petit ouvrage défendant le pape de l’époque, Pie XII, contre les calomniateurs de sa mémoire. Elle m’a dit que la décision dépendrait d’un groupe de personnes. Dès le 1er décembre, Odile Dupont, « directrice des bibliothèques », m’a retourné mon cadeau ; la lettre d’accompagnement ne mentionnait pas le titre de l’ouvrage retourné et ne comportait pas de formule de politesse. Elle se réduisait aux deux phrases suivantes : «Monsieur, Nous ne souhaitons pas intégrer votre ouvrage dans notre catalogue. – Je vous le retourne donc et vous en souhaite bonne réception.» Rien dans les archives ne signalera donc quel était l’ouvrage en question.

Ce n’est donc pas sans satisfaction que j’entends aujourd’hui S. Klarsfeld nous déclarer que Pie XII « a joué un rôle déterminant contre Hitler » et ajouter qu’en bien des circonstances le général de Gaulle, lui, s’est tu sur le drame des juifs.

S. Klarsfeld répond au Point

Serge Klarsfeld : « Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint »

Propos recueillis par Ségolène Gros de Larquier 
Publié le 23 décembre 2009

Le feu vert de Benoît XVI à la béatification du pape Pie XII suscite de nombreuses protestations au sein des communautés juives. Une décision qui «ne choque absolument pas» l’historien Serge Klarsfeld, fondateur de l’association « Les fils et filles des déportés juifs de France ».

lepoint.fr : Que pensez-vous de la prochaine béatification de Pie XII ?

Serge Klarsfeld : C’est une affaire interne à l’Église ! Je pourrais presque dire que cette décision me laisse assez indifférent. Il n’y a aucune raison pour que Pie XII ne devienne pas saint ! En revanche, une chose me heurte davantage : la publication des lettres antisémites de Céline dans La Pléiade, chez Gallimard. Même si Louis-Ferdinand Céline est considéré comme un génie littéraire, je trouve cela choquant. Et puis, si l’on parle beaucoup de Pie XII, pourquoi ne regarde-t-on pas aussi le général de Gaulle ? Il est considéré comme un saint en France ! Eh bien, lors de l’été 1942, après la rafle du Vél’ d’hiv, le général de Gaulle n’a pas élevé la voix. Pourtant, par la suite, de nombreuses autres rafles ont suivi, menées uniquement par des uniformes français et organisées par l’administration préfectorale ! Le général de Gaulle n’a pas élevé la voix pour avertir par exemple : « Fonctionnaires, si vous arrêtez les juifs, vous serez arrêtés et traduits en justice ! »

Quel est votre jugement sur la position de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale?

Pie XII a joué un rôle déterminant contre Hitler, mais aussi dans la lutte contre le communisme en Europe de l’Est. Le Polonais Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II, est né [sic] de la volonté de Pie XII de lancer ce mouvement de résistance. Le rôle de Pie XII a aussi été diplomatique et idéologique : il a été le rédacteur de l’encyclique de 1937 condamnant le nazisme et publiée par son prédécesseur.

Pourtant, on reproche à Pie XII son silence pendant la Shoah…

Tout cela est très difficile à apprécier. N’occultons pas que Pie XII a eu des gestes discrets et efficaces pour aider les juifs. Citons par exemple ce qui s’est passé à Rome. Un millier de juifs ont été arrêtés lors d’une rafle-surprise. Pie XII n’a pas protesté à voix haute, mais il a demandé aux établissements religieux d’ouvrir leurs portes. Résultat : des milliers de juifs ont pu être sauvés. Alors que si Pie XII avait élevé la voix, quelles auraient été les conséquences ? Est-ce que cela aurait changé les choses pour les juifs ? Probablement pas. Déjà, ses déclarations pour défendre les catholiques n’ont pas été entendues puisqu’en Pologne deux millions de catholiques ont été tués. Néanmoins, une prise de parole publique aurait sûrement amélioré la propre réputation de Pie XII aujourd’hui.

Au sein du monde juif, certains sont plus virulents que vous…

Quelques-uns, comme moi, essaient de regarder quels étaient la réalité historique et le contexte de l’époque. En revanche, d’autres ne pensent pas une seconde aux milliers de catholiques tués, mais en priorité aux rabbins et aux juifs massacrés pendant la Shoah. Mais le pape, c’est avant tout le pape des catholiques. La priorité de Pie XII était de protéger les catholiques des régimes nazi et communiste.

Alors que pensez-vous de cette polémique ?


Cette controverse ne me surprend pas. Elle me paraît assez normale dans la mesure où les archives du Vatican n’ont pas été ouvertes malgré des promesses. Il s’est quand même passé plus de 60 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les archives devraient être libres d’accès pour que l’on constate, par nous-mêmes, quels ont été les gestes et la réaction de Pie XII.

 

On laissera à S. Klarsfeld ses réflexions sur Céline dont le péché capital n’a pas été l’antisémitisme mais le révisionnisme. Céline a très tôt soupçonné que l’existence des prétendues chambre à gaz hitlériennes pouvaient être une imposture. Le 8 novembre 1950, de son lieu d’exil au Danemark, venant de lire Le Mensonge d’Ulysse, de Paul Rassinier, il écrivait à Albert Paraz : « Rassinier est certainement un honnête homme […] Son livre, admirable, va faire [grand] bruit – quand même. Il tend à faire douter de la magique chambre à gaz ! ce n’est pas peu ! Tout un monde de haines va être forcé de glapir à l’Iconoclaste ! C’était tout la chambre à gaz ! Ça permettait TOUT ! Il faut que le diable trouve autre chose… Oh je suis bien tranquille ! ». Cette lettre et d’autres de même contenu ne figurent pas dans le volumineux recueil de « la Pléiade, chez Gallimard ». Henri Godard et Jean Paul Louis n’ont pas cru devoir les y reproduire. On fera grâce également à S. Klarsfeld de ses erreurs sur les archives du Vatican. Pour ce qui est du général de Gaulle, S. Klarsfeld omet de dire que ce dernier s’est associé, ès qualités, aux diverses déclarations des Alliés (y compris les Soviétiques) sur les crimes des Allemands (y compris celui de Katyn et autres charniers !), que ces crimes aient été vrais ou faux, qu’ils aient été perpétrés contre les juifs ou contre les non juifs. Pour leur part, les Alliés ont accumulé au détriment des populations civiles européennes ou extrême-orientales bien plus d’horreurs systématiques que les vaincus.

S. Klarsfeld reste un militant de la Shoah mais, depuis quelques années, le doute semble l’habiter. N’avait-il pas, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, annoncé que son protégé, le pharmacien Jean-Claude Pressac, allait enfin nous livrer une preuve de l’existence des chambres à gaz hitlériennes ? Las ! Le 15 juin 1995 J.-C. Pressac, signant par là sa capitulation, déclarait le dossier « pourri » et tout juste bon pour les « poubelles de l’histoire ». (Valérie Igounet, cinq ans plus tard, dans son Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000, p. 651). Dura veritas sed veritas !

24 décembre 2009