Quand Pierre Citron (1919-2010) jugeait Robert Faurisson
L’Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III vient d’annoncer la mort de Pierre Citron. Elle le fait dans les termes suivants :
Un des pères fondateurs de notre université, qui fut directeur de l’U.E.R. de Littérature et Linguistique françaises et latines, Pierre Citron, vient de mourir, le 10 novembre [2010]. Il a été un des plus grands connaisseurs de Balzac et de Giono, l’auteur d’ouvrages sur Couperin et sur Bartok, le directeur scientifique de l’édition de la correspondance de Berlioz.
Voici ce que l’on peut lire à son sujet sur le site www.franceculture.com :
Le musicologue et critique littéraire Pierre Citron, spécialiste de Jean Giono, est mort à l’âge de 91 ans. Il a notamment été l’auteur il y a cinquante ans, en 1961, d’un gros ouvrage précieux parce que longtemps seul dans son genre : Poésie de Paris dans la littérature française, de Rousseau à Baudelaire. Il faudra longtemps, quarante ans, pour qu’un philologue et romaniste allemand, Karlheinz Stierle, fasse paraître en 2001 un ouvrage capable de rivaliser avec ce classique et de proposer un exposé aussi ample du mythe littéraire de Paris : La Capitale des signes, Paris et son discours, paru à la Maison des sciences de l’homme.
En 1992, à la première page d’un opuscule intitulé Mais qui est donc le professeur Faurisson ? (distribué par Akribeia en 2005 dans une édition revue et corrigée), François Brigneau avait rapporté ce jugement de Pierre Citron sur Robert Faurisson :
« Très brillant professeur – Chercheur très original – Personnalité exceptionnelle» (Pierre Citron, directeur d’UER [Unité d’enseignement et de recherche] à la Sorbonne Nouvelle. Membre du jury pour la soutenance de thèse de Robert Faurisson sur Les Chants de Maldoror et les Poésies de Lautréamont. C’était en 1972. Pierre Citron est d’origine juive et marié à une demoiselle Suzanne Grumbach).
Il est exact que Pierre Citron avait été le supérieur hiérarchique de Robert Faurisson et c’est bien en ces termes qu’il avait, pour les besoins d’un rapport administratif, jugé son collègue au début des années 1970. L’exact titre de la thèse était La Bouffonnerie de Lautréamont et la soutenance avait eu lieu à l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne, le 17 juin 1972. Dans l’assistance se trouvait notamment Jacqueline Piatier qui allait signer dans Le Monde des livres (23 juin 1972, p. 13,15) un compte rendu élogieux : « On ne peut nier que [l’auteur de la thèse] ait mis le doigt sur quelques-uns de nos maux, et qu’il fasse régner, là où il passe, une bonne santé mentale et verbale que la jeunesse trouve à son goût ».
Parue la même année sous le titre d’A-t-on lu Lautréamont ?, chez Gallimard et dans la collection « Les Essais », la thèse avait valu à son auteur d’être invité par Michel Polac à la télévision, où l’émission avait été joyeuse. Dans Le Point (25 décembre 1972), Jean d’Ormesson signait un article intitulé « Le détrônement d’Ubu-Dieu » et notait que l’«ouvrage de M. Faurisson est une fureur d’une sacrée dimension. Et peut-être malgré tout, d’une dimension sacrée. Le livre de M. Faurisson est une pièce importante dans le dossier Lautréamont.»
Bref, tout allait bien pour Robert Faurisson jusqu’au jour où, moins de deux ans plus tard, en juillet 1974, un journal israélien, relayé comme il se doit par Le Canard enchaîné, annonçait, horresco referens, la fâcheuse nouvelle : Faurisson avait interrogé par lettre un historien israélien sur la réalité de l’existence des chambres à gaz hitlériennes !
À vrai dire, dans la fin de sa thèse, esquissant l’histoire générale des mystifications, le sceptique avait déjà montré le bout d’un pied fourchu : rappelant, à propos de la Première Guerre mondiale, le mythe des enfants aux mains coupées par les Allemands, il avait, sur sa lancée, ajouté la réflexion suivante :
La Seconde Guerre mondiale a suscité des mythes encore plus extravagants mais il ne fait pas bon s’y attaquer. Une entreprise comme celle de Norton Cru, si on l’appliquait à la dernière guerre, serait encore prématurée, semble-t-il. Certains mythes sont sacrés. Même en littérature ou en histoire, on court quelque risque à vouloir démythifier (p. 338).
Quant à Pierre Citron, par la suite, il allait d’abord se cantonner dans un long silence sur toute l’affaire, puis, vers la fin des années 1990, interrogé par des auteurs qui insistaient pour avoir son opinion sur le révisionniste, il allait manifester son embarras et sa conviction que Robert Faurisson, « adulé par ses étudiants », était un fanatique et un antisémite.
Pour sa part, auteur d’une Histoire du négationnisme en France (Éditions du Seuil, 2000), Valérie Igounet consacre trois pages (p. 200-202) à Pierre Citron face à l’affaire Faurisson. Extraits :
– [Faurisson est un enseignant adulé par ses étudiants, ses « admirateurs enthousiastes ». Il les « fanatisait », explique Pierre Citron.
– [Dès les années 1966-1967, à Clermont-Ferrand,] Pierre Citron voit en Robert Faurisson un homme « pas antipathique mais bizarre, écoutant mais n’en faisant qu’à sa tête, très attaché à ses propres idées ».
– [Plus tard, à la Sorbonne, Faurisson] insiste pour étudier les textes « au ras des pâquerettes » sans tenir aucunement compte du contexte. Il n’y avait pas moyen de l’en faire démordre. Il était fixé sur ses idées. Il faisait preuve d’une obstination prodigieuse. [NB : Erreur : pratiquant « la méthode Ajax, celle qui récure, qui décape et qui lustre », Faurisson demandait qu’en un premier temps, aussi prolongé que nécessaire, on fît totalement abstraction du nom de l’auteur et du titre de l’œuvre à étudier. L’étude du contexte ne pouvait venir qu’ultérieurement].
– Pierre Citron rajoute qu’il n’était pas très à l’aise de le compter dans son équipe de travail. Selon lui, Robert Faurisson avait une « mauvaise influence sur ses étudiants » [NB : Sa méthode d’explication des textes contrevenait aux «bons usages» observés par les chers collègues]. À ce moment [début des années 1970], l’enseignant ne manifeste aucune idée négationniste. Il avait une « certaine prudence et un côté retors, et notamment une phobie antisémite qui lui faisait voir des juifs partout ». Robert Faurisson cherche à faire signer par divers collègues une pétition pour que soit autorisée la réédition des écrits antisémites de Céline. [NB : Erreur ! Il demandait l’inscription de Mort à crédit parmi les ouvrages au programme : demande refusée sur l’intervention de son collègue Jacques Nathan qui, contre toute vérité et sans apporter une seule preuve, et pour cause, n’avait pas craint d’affirmer que le roman en question était une œuvre antisémite].
Somme toute, quand on compare ces propos de Pierre Citron à ceux qu’ont pu tenir sur le sujet la plupart de ses coreligionnaires et le plus grand nombre de ses collègues de l’université française, on ne peut que saluer sa modération. Il a refusé de se joindre à la meute.
5 décembre 2010