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Valérie Boyer est pour “tordre le droit” comme l’a fait le Tribunal de Nuremberg (sic !)

Lors d’une discussion générale à l’Assemblée nationale du 3 décembre 2015 sur la «Répression de la négation des génocides et des crimes contre l’humanité », Valérie Boyer, députée UMP des Bouches-du-Rhône, a préconisé de « tordre le droit » afin de limiter encore plus la liberté d’expression en matière d’histoire. Voici un extrait de cette discussion :

M. Julien Aubert. La coutume [en droit public international] est reconnue en 1996 par l’arrêt Aquarone du Conseil d’État français. Or vous savez comme moi que la coutume, en droit international public, est basée sur deux éléments : l’opinio juris et une pratique large et constante des États.

Vingt-quatre pays dans le monde ont reconnu le génocide arménien. Le Parlement européen a reconnu le génocide arménien. Une résolution des Nations unies a reconnu le génocide arménien. Je pose donc la question : en l’absence de texte écrit, ne peut-on considérer que la coutume internationale a reconnu le génocide arménien et que celle-ci, reflétant une pratique constante des États, suffit à fonder l’incrimination ?

En matière de droit, on cite souvent le tribunal de Nuremberg, dont je rappelle qu’il a instauré le principe de rétroactivité pénale, qui n’existe nulle part ailleurs et qui a permis de condamner des gens qui n’étaient pas incriminables lorsque les faits ont été commis.

C’est la preuve qu’on a su innover au lendemain du génocide juif…

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Exactement !

M. Julien Aubert. … et que, compte tenu des faits, on a su tordre le droit, de manière à pouvoir châtier les coupables. N’est-il pas possible d’innover aujourd’hui ?

J’ai évoqué tout à l’heure l’absence d’élément d’extériorité relatif à la coutume internationale, mais je rappelle que le crime de génocide appartient au jus cogens, au droit irréfragable, supérieur à la hiérarchie des normes, reconnu par la convention de Vienne sur le droit des traités. S’il n’est pas reconnu par la France, je vous l’accorde, ce jus cogens ne fait pas, dans sa nature, l’objet d’une contestation de la part de notre pays.

D’après la Cour internationale de justice, le jus cogens fonde une responsabilité erga omnes. L’arrêt Barcelona, Traction, Light and Power Company de 1970 reconnaît à n’importe quel État la possibilité de prendre des mesures pour effectuer une actio popularis.

De la même manière qu’un État peut prendre la responsabilité de punir les auteurs d’un génocide, j’affirme qu’on pourrait considérer que la répression du négationnisme d’un génocide relève aussi du jus cogens.

Je m’arrête, mais, l’année du centième anniversaire du génocide arménien, il convient que le Parlement ne s’arrête pas à des arguties juridiques, puisqu’il existe des moyens de contourner l’obstacle auquel nous sommes confrontés.

Mme Valérie Boyer, rapporteure. Très bien !

M. François Rochebloine. Bravo !

M. le président. La discussion générale est close.

***

On ne peut que savoir gré à ces trois honorables parlementaires d’avoir publiquement admis qu’en 1945-1946, à Nuremberg, le Tribunal militaire international 1) avait « instauré le principe de rétroactivité pénale, qui n’existe nulle part ailleurs et qui a permis de condamner des gens qui n’étaient pas incriminables lorsque les faits ont été commis » et 2) que le même TMI avait « tordu le droit ». On aura noté que la « discussion générale » s’est close le 3 décembre 2015 sans provoquer la moindre protestation dans les rangs de notre Assemblée nationale.

13 décembre 2015