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Vassili Grossman et Ilya Ehrenburg

La presse mène grand tapage au sujet de la traduction en français d’un ouvrage rédigé juste après la guerre en langue russe par deux juifs soviétiques, Vassili Grossman et Ilya Ehrenburg : Le livre noir (Solin-Actes Sud, Arles 1995, 1.136 p., 280F). Voyez, en particulier, Claude Roy, “La bête et le héros” (Le Nouvel observateur, 16-22 novembre 1995, p. 118-119), et Nicole Zand, “Les voix du massacre”, ainsi que Nicolas Weill, “Mémorial ou document ?” (Le Monde des livres, 17 novembre 1995, p. I et VI).

V. Grossman et I. Ehrenburg n’étaient que de grossiers propagandistes soviétiques. À titre provisoire, voici une pièce à verser au dossier de V. Grossman, qu’on trouve sous la plume de Pierre Vidal-Naquet lui-même, dans Les juifs, la mémoire et le présent (Petite collection Maspéro, Paris 1981, p. 212-213).

Cette histoire a, bien entendu, comme tous les récits historiques, besoin d’être critiquée. La critique peut et doit être menée à plusieurs niveaux. D’abord, toute une sous-littérature qui représente une forment proprement immonde d’appel à la consommation et au sadisme doit être impitoyablement dénoncée.[1] Est à éliminer aussi ce qui relève du fantasme et de la propagande. La tâche n’est pas toujours facile, car et le fantasme et la propagande prennent largement appui sur la réalité. Mais il existe des exemples clairs, ainsi celui qui a échappé à l’ardeur des révisionnistes, d’un théologien protestant, Charles Hauter, qui fut déporté à Buchenwald, ne vit jamais de chambres à gaz, et qui délire à leur propos : “Le machinisme abondait littéralement quand il s’agissait de l’extermination : celle-ci, devant se faire vite, exigeait une industrialisation spéciale. Les chambres à gaz répondaient a ce besoin de façon fort diverse. Certaines, d’un goût raffiné, étaient soutenues par des piliers à matière poreuse à l’intérieur desquels le gaz se formait pour traverser ensuite les parois. D’autres étaient de structure plus simple. Mais toutes présentaient un aspect somptueux. Il était facile de voir que les architectes les avaient conçues avec plaisir, en y arrêtant longuement leur attention, en apportant les ressources de leur sens esthétique. C’étaient les seules parties du camp vraiment construites avec amour[2].” Côté propagande, on mentionnera le reportage du journaliste soviétique V. Grossman sur Treblinka[3], où tout est déformé et monstrueusement exagéré, depuis le nombre des victimes qui est multiplié par plus de trois (de 900.000 environ à 3.000.000) jusqu’aux techniques utilisées pour donner la mort.

17 novembre 1995

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[1] Chacun complétera ce que j’indique ici [c’est Pierre Vidal-Naquet qui s’exprime — NdR]. Les noms de Christian Bernadac, de Silvain Reiner, de Jean-François Steiner viennent immédiatement au bout de la plume. Voir le bel article de Cynthia Haft : “Ecrire la déportation. Le sensationnel, avilissement du tragique”, Le Monde, 25 février 1972, et la conclusion de son livre : The Theme of Nazi Concentration Camps in French Literature, Mouton, La Haye et Paris 1969, p. 190-191 ; voir aussi R. Errera, “La déportation comme best-seller”, Esprit, décembre 1969, p. 918-921. J’ai moi-même dénoncé en son temps une des plus infâmes de ces falsifications, Et la terre sera pure de Silvain Reiner (Fayard, Paris 1969 ; voir Le Nouvel Observateur du 8 décembre 1969) et contribué, avec Roger Errera, à faire saisir ce livre pour contrefaçon de Médecin à Auschwitz de M. Nyiszli. Je suis en revanche tombé dans le piège tendu par Treblinka de J.-F. Steiner (Fayard, 1966) ; cf. mon article du Monde 2 mai 1966, dont je ne renie pas le fond. [Note de P. V.-N.]
[2] Ch. HAUTER, “Réflexion d’un rescapé”, in De l’Université aux camps de concentration, Témoignages strasbourgeois, Belles-Lettres, Paris 1954, p. 525-526. [Note de P. V.-N.]
[3] V. Grossman, L’Enfer de Treblinka, Arthaud, Grenoble et Paris 1945, rééd. 1966 ; pour un dossier sérieux, cf. A. Ruckert (éd.), NS Vernichtungslager in Spiegel deutscher Strafprozesse, DTV, Munich 1979, ou A. Donat (éd.), The Death Camp Treblinka, The Holocaust Library, New York 1979. [Note de P. V.-N.]