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Sur la Shoah, lumière du Monde (Lettre à Rivarol)

Permettez-moi, pour commencer, d’ajouter quelques observations à deux articles de François-Xavier Rochette, l’un intitulé « Shoah must go on » (Rivarol, 9 septembre, p. 11) et l’autre, « La piscine d’Auschwitz, un équipement de loisir ? » (Riv., 16 septembre, p. 12).

La Shoah, Claude Lanzmann et Luc Chatel

L’article que Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, a publié dans Le Monde du 6 septembre (p. 21) porte pour titre : Que Claude Lanzmann se rassure / Ni le mot “Shoah” ni l’histoire de ce crime ne disparaissent de l’école, bien au contraire. C’est à dix-huit reprises que ce mot de « Shoah » vient sous la plume du ministre. J’insiste sur ce chiffre si considérable. Jamais de ma vie je n’ai constaté pareille fréquence dans un texte de petite dimension portant sur quelque sujet historique que ce fût. Luc Chatel en trémule : ce n’est plus de l’amour, c’est de la transe mêlée de peur révérencielle.

Mais voilà, avec son habituelle shutzpah C. Lanzmann avait proféré un froid mensonge, une pure calomnie à l’endroit du ministère de l’éducation nationale et des éditeurs qui produisent les manuels d’histoire destinés aux élèves de 1re. Il avait eu l’audace d’écrire : « Une circulaire, parue dans le Bulletin officiel n° 7 de septembre 2010 de l’éducation nationale, insistait sur la nécessité de supprimer le terme “Shoah” des manuels scolaires » (« Contre le bannissement du mot “Shoah” des manuels scolaires », Le Monde, 31 août 2011, p. 18). Vous avez bien lu : une « circulaire » référencée (lieu, numéro, mois, année) ne se contentait pas d’une recommandation mais « insistait » sur une « nécessité », celle d’aller jusqu’à « supprimer » un terme, celui de « Shoah ». Pas moins.

Oui, mais tout cela n’était qu’invention, esbroufe et carabistouille. Le sieur Lanzmann avait tout inventé. Et qui nous le révèle discrètement six jours plus tard ? La journaliste Mattea Battaglia dans Le Monde du 6 septembre (p. 14) sous le titre « Enseignement de la Shoah : l’éducation nationale ne voit pas matière à polémique / Pour Claude Lanzmann, “la tendance de fond est au bannissement” de ce terme à l’école ». Faisant état du résultat de son enquête, la journaliste constate : « la circulaire qu’évoque [C. Lanzmann] n’existe pas ». Elle ajoute : « Claude Lanzmann vis[ait] sans doute l’arrêté publié au Bulletin officiel n° 9 du 30 septembre 2010, qui fixe le programme d’histoire et de géo en classe de 1re (séries ES, L et S). La référence à la Shoah [y] figure sous l’intitulé “La seconde guerre mondiale : guerre d’anéantissement et génocide des juifs et des Tziganes”. » Et c’est là qu’à nouveau fait merveille l’inaltérable shutzpah de notre homme, qui, le verbe haut, réplique : «Peu importent les détails, circulaire ou arrêté, la tendance de fond est au bannissement du mot “Shoah” ». Au passage on admirera le tour de passe-passe: l’illusionniste veut nous faire croire qu’on lui a cherché querelle d’Allemand parce qu’au lieu de parler d’un « arrêté » il avait parlé d’une « circulaire ».

Pour sa part, la journaliste se contente de rapporter le contenu de « programmes » où figurent bel et bien les mots d’« extermination » ou même de « Shoah ». Citant une autorité en la matière, elle écrit : « Le mot “Shoah” n’est pas tabou à l’école, confirme Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah ». – Voilà longtemps que j’observe Claude Lanzmann. Il ne déçoit jamais.

 Champions de natation juifs dans la piscine d’Auschwitz

La présence à Auschwitz d’une piscine ouverte aux détenus, une piscine avec plongeoir et plots de départ, est connue depuis 1945-47. Elle est, si j’ose dire, devenue un serpent de mer journalistique qui, d’ailleurs, embarrasse les autorités du Musée d’État d’Auschwitz. Comme toute piscine de plein air, elle pouvait, à l’occasion d’un incendie, servir aux pompiers. Aussi, sur place, une pancarte signale-t-elle aux visiteurs d’Auschwitz qu’il s’agissait simplement d’un réservoir pour les pompiers «déguisé en piscine» (voy. mon article La piscine d’Auschwitz I, 20 juillet 2001). Il est exact que s’y entraînaient pendant leur détention des champions juifs de natation comme Alfred Nakache et Noah Klieger qui, après la guerre, allaient poursuivre leurs carrières de nageurs. De la même façon, le juif Hertzko Haft s’entraînait à la boxe et, après la guerre, deviendra boxeur professionnel aux États-Unis. Je me permets de renvoyer le lecteur de Rivarol à l’une de mes études intitulée : Auschwitz-Birkenau : soins hospitaliers et activités sportives dans un “camp d’extermination” (10 janvier 2006).

Retour à la Shoah

Dans sa livraison du 17 septembre, Le Monde revient longuement sur la Shoah. La totalité de la page 26 est consacrée au sujet avec un dessin illustrant deux articles interminables, jargonnesques et oiseux tandis qu’à la page suivante Serge Klarsfeld signe un papier intitulé « Le mot Shoah a acquis droit de cité dans la conscience des Français ». Le summum de l’orgueil y est atteint avec un écrasant mépris pour la souffrance des autres. S. Klarsfeld écrit et je souligne : « Le mot “Shoah” est devenu un nom propre impliquant l’unicité du traitement criminel appliqué aux juifs pendant la période hitlérienne ». Il ajoute : « Le mot “Shoah” souffle sur ce qui a été perpétré et sur ce qui a été subi comme un typhon à l’échelle de l’histoire qui aura emporté à jamais six millions d’êtres humains, un monde, celui du Yiddishland, et une vision de l’homme ». Poursuivant sur sa lancée et filant laborieusement la métaphore, il insiste : « Ouragans, tornades, cyclones, typhons sont affublés de noms apaisants, comme si l’on voulait conjurer les tempêtes ; mais un typhon qui bouleverse l’histoire au point qu’il y a un avant et un après ce typhon-là ne peut porter qu’un nom exceptionnel, unique, dominant et maîtrisant l’histoire et faisant comprendre à tous ceux qui la regardent ce que fut le destin de chaque juif et de tous les juifs. […] Shoah [sans plus de guillemets] contient tout comme les trous noirs de l’espace qui aspirent toute la matière et toute la lumière d’une étoile ».

On se sent bien petit face à S. Klarsfeld ! Nous autres, pauvres hères, dominés, maîtrisés, on nous fait comprendre que nos propres douleurs n’ont, elles, rien d’exceptionnel ou d’unique ; en ce domaine, nous ne devrons plus avoir de regard que pour chaque juif, pour tous les juifs, pour leur histoire, pour leur destin et, bien sûr, pour leur trou noir qui aspire et concentre toute la lumière de l’étoile de David. Le maître a parlé du haut de la tribune du Monde et, avec son compère C. Lanzmann, il entend être obéi de tous, à commencer par les professeurs des écoles, des collèges, des lycées et des universités placés sous la houlette du très docile Luc Chatel, lequel veillera à ce qu’en dépit d’une crise économique toujours plus inquiétante l’enseignement de la Shoah bénéficie plus que jamais de toutes les attentions du contribuable.

De tels excès trahissent une angoisse croissante devant l’actuelle multiplication des écrits révisionnistes sur Internet, une angoisse justifiée si l’on en juge par l’apparent succès de ces écrits en France et à l’étranger. Dans quelques jours une vidéo de 90 minutes, en langue française, paraîtra sur le sujet.

17 septembre 2011