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Préface à Der Auschwitz Mythos de Wilhelm Stäglich

Bien que je n’approuve peut-être pas en tous points les opinions émises dans Der Auschwitz Mythos, je dois dire qu’il s’agit là d’un ouvrage profond, en particulier dans son analyse du « procès de Francfort » (1963-1965) où l’auteur met en lumière le phénomène humain, si obscur et si inquiétant, du désir ou de la volonté de croire.
 
À ce procès comparaissaient des officiers et de simples gardes du camp d’Auschwitz. À en croire la thèse officielle qu’on trouve à la base des accusations portées contre ces Allemands, Auschwitz-I possédait un crématoire [Krematorium-I] pourvu d’une chambre à gaz homicide qui aurait fonctionné de l’automne 1941 à la fin de 1942. Le camps d’Auschwitz-Birkenau possédait, lui, quatre crématoires [Krematoriums-II et III ainsi que Krematoriums-IV et V], pourvus, nous dit-on, de chambres à gaz homicides qui auraient fonctionné en gros du printemps ou de l’été 1943 à l’automne 1944, c’est-à-dire, selon le crématoire en cause, pendant une période de dix-sept à dix-neuf mois.
 
Aujourd’hui, on présente aux touristes le Krematorium-I comme un bâtiment «partiellement» reconstruit mais, en réalité, il ne s’agit que d’une fraude due aux autorités polono-communistes. Les quatre crématoires de Birkenau sont à l’état de ruines qu’avec une remarquable circonspection les exterminationnistes se sont bien gardés d’examiner. Pour moi, j’ai examiné ces cinq crématoires à tous les points de vue possibles à la fois sur place et à partir des nombreux plans de construction allemands que j’ai découverts en 1976. Ma conclusion est qu’aucun des crématoires d’Auschwitz-I ou de Birkenau n’a possédé de chambre à gaz homicide.
 
En réalité, le Krematorium-I a possédé jusqu’en juillet 1943 une chambre froide pour cadavres (Leichenhalle] qui, à partir de cette époque, fut transformée en un abri anti-aérien (Luftschutzbunker) avec plusieurs pièces dont une salle d’opération chirurgicale pour l’hôpital SS (Kranken-Revier). Les Krematoriums-II et III possédaient des chambres froides semi-enterrées (Leichenkeller). Les Krematoriums-IV et V possédaient, chacun, plusieurs petites pièces ; deux d’entre elles étaient pourvues d’un poêle à charbon. Toutes ces pièces auraient été manifestement inappropriées pour des exécutions massives par gaz.
 
Au procès de Francfort, l’existence de ces prétendues chambres à gaz aurait dû constituer le point central de toute la procédure. Le tribunal aurait dû exiger le production de tous les plans, dessins, photographies et documents, qu’il lui aurait été facile de se procurer en grand nombre si seulement les juges d’instruction, les juges du siège et les avocats les avaient recherchés au début des années soixante avant le procès comme je l’ai fait moi-même, avec succès, en 1976. Le ministère public et les avocats de la défense auraient dû, tous, exiger ces informations. Il ne se produisit rien de tel. Dans ce procès, personne n’examina la prétendue arme du prétendu crime ; l’arme ne fut pas même présentée. Pourtant, durant le procès, le tribunal et plusieurs avocats procédèrent à des investigations in situ à Auschwitz mais celles-ci ne portèrent jamais sur les chambres à gaz elles-mêmes.
 
Il est possible que les participants du procès de Francfort aient cru que n’importe quelle pièce aurait pu servir pour des gazages homicides. C’est une erreur. Par exemple, l’agent prétendument utilisé à Auschwitz et à Birkenau pour administrer la mort dans ces chambres à gaz était l’acide cyanhydrique (sous la forme du pesticide appelé dans le commerce Zyklon B), c’est-à-dire l’agent utilisé dans certains pénitenciers américains pour procéder à des exécutions de condamnés à mort. J’ai étudié les chambres à gaz américaines et j’ai découvert que l’exécution d’un seul prisonnier par ce moyen était extrêmement compliquée et qu’elle exigeait une grande expertise technique. Tout cela échappait au tribunal, qui n’envisagea pas d’ordonner un rapport d’expertise afin de déterminer si, à Auschwitz et Birkenau, telle ou telle pièce pouvait avoir servi de chambre à gaz homicide.
 
Pour établir qui, parmi les accusés, avait participé aux prétendus gazages, le tribunal choisit seulement de déterminer si l’accusé se trouvait sur la rampe de débarquement quand les déportés descendaient des trains. Nous en arrivons là à un mode de raisonnement par postulats et suppositions qu’on ne peut qualifier que de totalement abstrait et même d’aberrant.
 
Le tribunal établit que, si l’accusé s’était simplement trouvé sur le quai de débarquement, celui-ci devenait coupable de participation au crime de « sélection ». La « sélection » était supposée avoir consisté en la division entre, d’une part, ceux qui allaient survivre et, d’autre part, ceux qui étaient supposés aller au « gazage ». Certains de ceux qui étaient supposés aller au « gazage » prenaient une route supposée finir entre les Krematoriums-II et III tandis que le reste prenait une route supposée finir entre les Krematoriums-IV et V ; le tribunal ne prit pas la peine de remarquer que les deux routes, une fois les crématoires passés, se rejoignaient pour aboutir aux entrées du Sauna central où, en fait, on passait à la douche et désinfectait les déportés. Comme le tribunal avait postulé que les crématoires possédaient des chambres à gaz, il postulait maintenant que les déportés qui étaient supposés avoir été « sélectionnés » pour les « gazages » ne poursuivaient pas leur chemin entre les crématoires jusqu’au Sauna central mais étaient entassés dans les supposées chambres à gaz à l’intérieur des crématoires.
 
Ainsi, au terme d’une série de présomptions et au prix d’un « raisonnement » totalement arbitraire, le tribunal postulait que les Allemands qui se trouvaient sur le quai de débarquement à l’arrivée des déportés étaient coupables de complicité de gazages homicides.
 
Nous ne devrions pas, me semble-t-il, accuser le système judiciaire allemand de partialité, de couardise ou d’incompétence. En théorie et dans l’abstrait, on peut tenir le raisonnement du tribunal pour irréprochable. Mais, si l’on se rappelle que la topographie et les réalités matérielles sont importantes pour prouver un crime qui, par, définition, était concret et matériel, le raisonnement du tribunal était absurde. Je dirais plutôt qu’en la circonstance les juges allemands ainsi que les avocats et bien d’autres personnes impliquées dans ce procès ont été victimes d’une forme d’aveuglement et de naïveté qui se rencontrent souvent dans certaines croyances d’ordre religieux. 
 
Voilà donc des juges qui, chaque soir après l’audience du jour, réintégraient leurs confortables demeures où ils s’endormaient la conscience tranquille. On aurait provoqué chez ces hommes une vive surprise si on leur avait dit alors que, dans la journée, ils avaient observé exactement le comportement de leurs prédécesseurs durant les procès de sorcellerie du XVIe, du XVIIet même du XVIIIe siècle.
 
En ces temps-là on accusait des hommes et des femmes d’avoir rencontré Satan, par exemple, au sommet d’une colline, au milieu de feux et de fumées, avec l’accompagnement de cris et d’appels ainsi que d’odeurs particulières. Si, à ce procès de sorcellerie, l’accusé avait objecté: «Mais je n’ai pas vu Satan parce que Satan n’existe pas», il aurait brisé un tabou et, par là, signé son propre arrêt de mort. En fait, il ne pouvait sauver sa vie qu’en admettant que, certes, il avait aperçu, ainsi que l’attestaient certains, de loin, au sommet de la colline, les feux et les fumées de Satan, il avait entendu les cris des victimes et il avait remarqué d’étranges et de terrifiantes odeurs mais en ajoutant que, pour sa part, il s’était trouvé placé au pied de la colline et n’avait personnellement rien eu à faire avec tout cela.
 
De même au procès de Francfort. L’accusé n’allait pas contester ce que les témoins affirmaient à propos des feux, des fumées, des cris et des odeurs au sommet du camp de Birkenau, là où se trouvaient les quatre crématoires avec leurs prétendues chambres à gaz. Ces accusés confessaient avoir été au milieu du camp, sur le quai de débarquement où ils accueillaient des foules de gens qui, ensuite, se rendaient à trois cents ou cinq cents mètres plus loin, là où les suppôts de Hitler étaient supposés se livrer à leur criminelle besogne ; les accusés de Francfort faisaient valoir que, personnellement, ils n’encouraient aucune responsabilité directe dans ces horreurs.
 
Cet ensemble caractéristique de feux, de fumées, de cris, d’appels et d’odeurs particulières constitue une sorte de cliché qui trouve son origine non pas dans l’imagination de tel ou tel individu mais dans des traditions et des craintes ancestrales. On y rencontre au surplus un trait remarquable du faux témoignage : quand le prétendu témoin n’a pas clairement vu ce qu’il prétend avoir vu et quand il n’a pas touché ce qu’il dit avoir vu, alors se développe une sorte de compensation sensorielle où l’ouïe, le goût et l’odorat se portent au secours d’une vue claire et d’un toucher réel. On n’a pas touché, on n’a pas réellement vu mais, par un phénomène de compensation, on est supposé avoir entendu, senti et goûté. Mieux : si on n’a pas réellement vu, c’est pour une excellente raison : les yeux étaient aveuglés par les flammes et les fumées offusquaient la vue. Ajoutons enfin les circonstances : le témoin était si bouleversé par les horreurs d’Auschwitz et de Birkenau, qu’en fin de compte il ne pouvait pas les fixer du regard.
 
Un dicton français veut que « plus cela change, plus c’est la même chose ». Pourquoi des peurs et des superstitions ataviques disparaîtraient-elles ? Seule change leur forme. Le XXsiècle a connu des quantités de procès de sorcellerie aussi bien dans le monde « libre » que dans le monde communiste. Le procès de Francfort a constitué, si l’on veut, un procès de sorcellerie dans toute sa perfection, sans aucun rapport d’expertise sur les chambres à gaz et avec une procédure où un quart de preuve + un quart de preuve + une demi-preuve équivalaient à une preuve. Le procès, mené dans une salle de théâtre, fut conduit selon un rite de caractère religieux. Les participants communiaient en l’évocation d’une horreur sacrée. Il est significatif que, dans le prétoire, l’emplacement même de l’horreur était représenté de manière symbolique, presque abstraite, par des plans d’Auschwitz et de Birkenau où l’on pouvait à peine discerner l’emplacement de l’arme du crime par excellence : ces horribles abattoirs pour hommes, femmes et enfants. Si incroyable que cela puisse paraître, aucun dessin, aucun croquis de caractère technique, aucune photographie des chambres à gaz ne furent exposés dans cette vaste salle d’audience, une salle de théâtre, encore une fois ; seul un plan du camp était exposé où les crématoires (sans mention des chambres à gaz) étaient représentés par de tout petits rectangles. Personne ne se risqua à poser des questions sur ces ridicules taches noires. Elles étaient tabou. Quiconque aurait poussé l’audace jusqu’à y regarder de plus près, serait apparu comme un hérétique, un adepte de Satan, un « nazi ».
 
Tout cela se déroula à Francfort, au milieu du XXsiècle, dans un pays réputé jouir d’une constitution démocratique et d’un appareil judiciaire indépendant, avec une presse censément libre et aussi dans un pays riche de tant d’esprits connus pour leur amour de la science et leur goût du détail précis. Les historiens allemands doivent la plus grande part de leurs information à des procès de ce genre ; d’où le caractère vague, immatériel et magique de leurs assertions quant aux chambres à gaz et au génocide.
 
À leur façon, les accusés et leurs défenseurs contribuèrent, tous ensemble, à donner à ce long procès son caractère religieux, soit parce qu’ils croyaient effectivement à l’existence des magiques chambres à gaz, soit parce que, par prudence, ils préféraient éviter de déclencher un scandale en demandant d’aller y voir de plus près en la matière. Jusqu’au bout, toutes les parties respectèrent le rituel.
 
Wilhelm Stäglich, juge lui-même, eut l’héroïsme de publier son livre sur Auschwitz en 1979. Mais alors se produisit un autre phénomène qu’on avait cru disparu à la fin du XVIIIsiècle. L’université de Göttingen, au prix d’une longue procédure judiciaire, obtint d’un tribunal la révocation du grade de docteur en droit que cette célèbre université allemande avait conféré en 1951 à W. Stäglich. Je ne vais pas énumérer ici tout ce que cet honnête homme par excellence, que j’admire, a eu de plus à souffrir. Qu’il me suffise de dire que W. Stäglich, juge et historien allemand, a sauvé l’honneur des juges et des historiens allemands. Il a tout perdu, fors l’honneur.

Octobre 1984
 
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[Ce texte a été publié en allemand en préface à une réédition, faite en Angleterre, de Der Auschwitz Mythos, ouvrage de W. Stäglich dont la première édition datait de 1979, chez Grabert à Tübingen ; voy. : Der Auschwitz Mythos, Historical Review Press, 1984, p. 492-496. Il a été également publié an anglais mais sous une forme différente; voy. « A Revised Preface to Auschwitz: A Judge Looks at the Evidence », Journal of Historical Review, Summer 1990, 10, 2, p. 187-193.]