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Lettre à Maître Chotard

Maître,

J’ai reçu vos trente-quatre pages sur Kremer samedi vers 11h. Je les ai annotées à la main, de cette nuit (2 heures du matin) à maintenant (10 heures du matin). Il est flagrant que vous vous trompez du tout au tout. Je vous demande de bien vouloir, je vous prie, lire mes annotations avec le soin même que j’ai apporté à les rédiger. Le moindre trait de stylobille a sa raison d’être. J’espère que vous trouverez cette raison d’être, malgré certains griffonnages que vous voudrez bien me pardonner.

Vous dites que dans cette affaire je suis honnête tandis que mes adversaires sont malhonnêtes. Je vous remercie de l’admettre. Mais je n’admets pas ce que vous vous permettez d’écrire à la page 23 : vous trouverez tout seul de quoi il s’agit avant que ne vous parviennent ces trente-quatre pages que je communique aujourd’hui même à Pierre Guillaume pour qu’il m’en fasse des photocopies.

Vous venez, paraît-il, d’être suspendu du MRAP. Vous êtes ainsi en train, bien malheureusement pour vous et pour nous, de prendre la mesure de la terreur qui s’exerce à peu près dans le monde entier à l’encontre des vaincus de la dernière guerre. Écoutez bien ce que je vous dis : vous n’avez pas idée du millième de ce qui se produit depuis trente-cinq ans dans ce sens-là. Encore vendredi, un éditeur belge et sa collaboratrice (infirme ou très malade, je ne sais) ont été condamnés, lui à quinze mois de prison ferme et elle à douze mois de prison ferme et tous deux solidairement à onze millions six cent mille anciens francs français d’amende, pour avoir édité une Lettre au Pape à propos d’Auschwitz où Léon Degrelle développe des vues révisionnistes sur ce que moi j’appelle la sinistre farce d’Auschwitz.

Là où tant de pauvres êtres ont souffert de souffrances vraies et donc à peu près impossibles à raconter, des salauds – il n’y a pas d’autres termes – ont édifié une sorte de Disneyland de l’horreur. Je ne veux pas être du bord des salauds et des menteurs. Dans vos trente-quatre pages vous employez une série d’expressions sévères pour dénoncer les filouteries de la partie adverse. Pourtant, je note deux choses :

1) À aucun moment vous ne nous expliquez comment, sur le fond de l’affaire, c’est l’honnête homme qui a tort (celui qui n’a éprouvé le besoin ni de tricher, ni de fabriquer, ni de tronquer, ni de dénaturer) et ce sont tous ces malhonnêtes gens qui ont raison (eux qui – on se demande bien pourquoi – ont accumulé «grossières dénaturations», « grossières falsifications », « tricherie », « ont faussé en certains passages le texte même du Journal de Kremer », « imposant une traduction tendancieuse », « supprimant certains mots », « sont pris en flagrant délit de dénaturation », « abusant de [l]a confiance [du lecteur] », «procédant à une fausse traduction», « hypothéquant leur crédit »… mais le retrouvant miraculeusement auprès de MChotard qui les jugeait pourtant en ces termes : je sais qu’un menteur et tricheur peut venir à dire la vérité ; mais comment le pourrait-il sur le point même où il a abondamment triché et menti ?

2) À aucun moment ne vous paraît venir le soupçon que, sur tous les différents points qui intéressent le problème des « chambres à gaz », nos gens se sont comportés de la même façon ; Yahvé sait pourtant combien Thion et moi-même nous avons accumulé de preuves bassement et bêtement matérielles impossibles à réfuter : falsification des lieux, etc.

Je vous demande de vous ressaisir.

Vous m’avez dit un jour qu’un avocat pouvait aussi bien lire un texte qu’un professeur. Votre comparaison n’était pas bonne. Je ne suis pas le genre d’homme à utiliser le stupide argument d’autorité. Il y a beau temps que je vois combien le profane, de toute façon, peut être supérieur à l’homme de métier sous certaines conditions. Non, ce que j’invoquerais à la rigueur, c’est une pratique tellement longue et obstinée de l’analyse de textes que je ne peux vous en vouloir de patauger – souffrez ce terme que je ne veux pas injurieux – comme je vous vois patauger dans ces trente-quatre pages. Vous avez fait une faute de méthode courante et excusable qui est particulièrement répandue en France : vous avez mêlé les plans et les genres. Je vous expliquerai cela de vive voix, si vous le désirez. Je ne vous en donnerai aujourd’hui qu’un exemple : vous êtes allé jusqu’à revendiquer l’expression de «critique interne» pour ce qui était typiquement de la «critique externe». Ne croyez pas à de la cuistrerie de ma part. Il s’agit d’une grave et courante erreur de méthode que la plupart des universitaires, hélas, commettent avec un beau sang-froid au pays de Descartes. Voyez dans le « Thion » ce que je dis de Napoléon et de la Pologne.

Mais peut-être m’épargnerez-vous ces explications qui m’épuisent de plus en plus à mesure que j’avance en âge et qui me font regretter de ne pouvoir trouver le temps, dans une vie de plus en plus éprouvante, d’écrire un petit traité de méthode. J’espère, en effet, que les écailles vous tomberont des yeux. Vous découvrirez alors que non seulement vous défendez un honnête homme mais une cause exaltante : celle de la vérité simple, nue, propre, bonne, saine, contre un horrible ensemble de mensonges tels que l’Histoire n’en avait pas encore connu parce que, tout simplement, les médias n’avaient jamais atteint la force de matraquage qu’ils viennent d’atteindre en ce siècle. En l’espace de quelques jours, trois septuagénaires allemands (l’un à Sao Paulo, l’autre à Kiel, et le troisième je ne sais plus où en Allemagne) viennent de se suicider plutôt que d’affronter l’horrible justice de nos tricoteuses épuratrices. J’ai par moments cette tentation moi-même et je suis sûr que, si je n’avais pas rencontré cet homme absolument hors du commun qu’est Pierre Guillaume, je me serais tué. Alors, vous savez, les « aveux » vrais ou faux…

Quand vous me défendez auprès de vos ennemis, que ce ne soit pas en m’accablant par ailleurs, par exemple en leur disant que je me trompe sur le fond. Je ne vous demande pas de déclarer non plus que vous êtes d’accord, bien sûr ! J’ai simplement assez d’ennemis comme cela sans que s’y ajoute publiquement mon avocat! Chomsky, lui, vient de dire qu’il est d’un « complet agnosticisme » sur le sujet de Faurisson.

Il crève les yeux aujourd’hui qu’on est incapable de nous répondre.

[Remarques additionnelles de l’auteur en juin 1981 et en 1982-1983]

Quelques mois après cette lettre, Me Chotard déclarait au tribunal en première instance : « Faurisson n’est pas un faussaire intégral.[1] » Lors d’une émission télévisée, le même Me Chotard persistait à soutenir que Faurisson n’était pas « un faussaire intégral ». Il avait à ses côtés Me Rappaport. Mais, par la suite, il allait changer d’opinion et déclarer à une étudiante préparant un mémoire sur l’affaire Faurisson : « [en première instance] j’avais même traité Faurisson d’historien d’opérette […]. C’est moi qui étais un avocat d’opérette ![2] » Lors du procès en appel, MChotard allait prendre, sans plus aucune réserve, la défense du professeur, et cela à un point tel que Me Rappaport, prenant à son tour la parole, allait ouvrir sa plaidoirie sur les mots suivants : « Mais c’est que vous avez changé, MChotard, beaucoup changé ! »

12 janvier 1981

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[1] L. Rubinstein, « Deux jours d’audience à la première chambre civile du tribunal de Paris », Le Droit de vivre, juin 1981, p. 17.
[2] M.-P. Mémy, L’affaire Faurisson (Nuit et brouillard…), Mémoire de DUT, option journalisme, Université de Bordeaux III, IUT-B, Bordeaux 1983, p. 56.