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Faurisson utilise un droit de réponse envers Les Nouvelles littéraires

Monsieur le Directeur, 
 
Dans votre livraison n° 2768, M. Jean-Pierre Faye a publié un article intitulé : « Face à l’insanité massive. Chomsky contre Faurisson ? » Vous voudrez bien, je vous prie, publier en droit de réponse le texte ci-après, conformément à l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, dans son intégralité et selon les formes prévues par la loi.
 
Veuillez recevoir, Monsieur le Directeur, mes salutations distinguées.
 
[Droit de réponse]
 
M. Jean-Pierre Faye me présente comme un nazi. Il parle à mon propos de « formes déguisées » du nazisme ou d’« avocats hypocrites » du nazisme. Il affirme que « le discours de Faurisson » est « celui des antisémites rageurs ». Selon lui, ici, j’excuserais les « hitlériens » et, là, je partagerais leur surprise. Ailleurs encore, M. Faye écrit : « La différence est faible entre le discours faurissonien de 1980 et celui de Joseph Goebbels en 1943. » Il ajoute pour conclure : « Faurisson prend d’ailleurs soin de préciser qu’il n’est pas “judéo-marxiste” : on croirait lire les affiches de l’Occupation hitlérienne. » M. Faye fait ici allusion à une lettre en droit de réponse que j’avais publiée dans Le Monde du 16 janvier 1979, p. 13. Je vous en reproduis textuellement la partie qui nous intéresse dans le cas présent afin que vos lecteurs puissent avoir une idée de mes opinions réelles et, en même temps, juger du procédé de M. Faye. Voici ce que j’écrivais :
 
Si par malheur les Allemands avaient gagné la guerre, je suppose que leurs camps de concentration auraient été présentés comme des camps de rééducation. Contestant cette présentation des faits, j’aurais été sans doute accusé de faire objectivement le jeu du « judéo-marxisme » [les guillemets sont de moi].
 
Dans le même texte j’ajoutais immédiatement : 
 
Ni objectivement, ni subjectivement je ne suis judéo-marxiste ou néo-nazi.
 
Et je concluais : 
 
J’éprouve de l’admiration pour les Français qui ont courageusement lutté contre le nazisme. Ils défendaient la bonne cause. Aujourd’hui, si j’affirme que les «chambres à gaz» n’ont pas existé, c’est que le difficile devoir d’être vrai m’oblige à le dire.
 
M. Faye m’a donc fait dire exactement le contraire de ce que j’écrivais, tout en prétendant me citer. De la même façon, dans ce qu’il me fait dire à propos soit du Struthof, soit de Johann Paul Kremer, soit de Höss, soit de l’héroïque insurrection du ghetto de Varsovie, je ne reconnais pas ma pensée. Quant aux textes de Himmler et notamment quant à ses discours de Posen, il faut ne pas en citer des fragments habilement cousus ensemble, sans aucune référence soit au contexte immédiat, soit au contexte général (notamment les discours de Sonthofen). Enfin, pour ce qui est de Noam Chomsky, s’il s’est porté à ma défense, ce n’est nullement, ainsi que voudrait le faire entendre M. Faye, comme à la défense d’un nazi ou d’un antisémite. Au contraire, Noam Chomsky opère une nette distinction entre ces personnes-là et ma propre personne. Voyez aux pages IX-XV ses « Quelques commentaires élémentaires sur le droit à la liberté d’expression ». Je considère que ceux qui me défendent n’ont avec moi qu’un point commun à coup sûr : ils sont comme moi prêts à se battre pour des gens qui n’ont pas leurs idées dès lors que ceux-ci se voient retirer la liberté d’expression. Il sévit en France une incroyable intolérance.
 
L’affaire Chotard, venant après l’affaire Chomsky, en est encore un exemple. Me Chotard est mon avocat. Voyant qu’une formidable coalition de groupements et d’associations m’attaquaient en justice pour délit d’opinion, il a accepté de prendre ma défense devant les tribunaux. Cela n’implique pas du tout qu’il ait les mêmes idées que moi sur les « chambres à gaz » ou le «génocide». Or, le voici menacé d’être exclu du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) parce qu’il est mon avocat. Les Nouvelles littéraires font de la défense des libertés leur cheval de bataille. Qu’attendent-elles pour réagir ? On les lit beaucoup à l’étranger. Noam Chomsky vient de déclarer au Monde : « Le débat intellectuel français est marqué par le goût de l’irrationnel et le mépris pour les faits [1]. » Beaucoup d’Anglo-Saxons attendent avec curiosité mon procès qui leur paraît déjà « so typically French ». Bavards et pompeux dès qu’il s’agit de défendre la liberté en paroles et en théorie, voilà l’image que nous donnons des intellectuels français. Infligez pour une fois un démenti à Noam Chomsky. Il vous suffit de suivre son exemple. Défendez la liberté d’expression. « Il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté. » Belle formule jacobine. Sous le ronflant et l’habillage des mots, on voit trop bien ce qu’elle veut dire : « Il n’y a pas de liberté pour ceux que j’appelle les ennemis de la liberté. » Alors pourquoi ne pas dire plus franchement : « Pas de liberté pour ceux qui ne sont pas d’accord avec moi » ? Comme le dit si bien Chomsky : « Je croyais que le débat sur la liberté d’expression était réglé depuis le XVIIIe siècle [2] … ».
 
30 janvier 1981

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[1] Le Monde, 24 décembre 1980, p. 10.
[2] Libération, 23 décembre 1980, p. 3.

[Publié dans Les Nouvelles littérairesn° 2771, semaine du 22 au 27 janvier 1981.]