Lettre à M. Pierre Guillaume
20 décembre 1978
Cher Monsieur,
Je vous remercie vivement pour cet envoi, si rapide, de la photocopie d’Ulysse trahi par les siens (seule la page 28 est un peu difficile à déchiffrer). Merci également pour ces noms d’avocats. Je regrette seulement de n’avoir pas fait plus tôt votre connaissance. Le refus de Me Henri Leclerc d’assumer ma défense, accompagné de sa répugnance à me nommer un confrère qui aurait pu l’assurer à sa place, m’avait obligé, je vous le rappelle, à prendre au moins provisoirement un avocat qui m’était conseillé par un ami de droite. À Lyon, le problème avait été encore plus ardu. Les cinq premiers avocats contactés se sont tous récusés. Je me suis alors tourné vers l’avocat parisien pour qu’il me trouve un confrère à Lyon. Vaines recherches. Il n’a pu que me recommander un confrère de Villefranche-sur-Saône, qui est de droite, lui aussi. Il paraît que pour Rassinier il en allait de même. Toujours est-il qu’à moins d’un événement imprévu, je n’ai l’intention d’abandonner aucun de ces deux avocats qui, à l’heure du péril (avant toute pétition dans Le Monde), sont littéralement venus à mon secours. J’étais alors désespéré par ce lâchage général. Ma courte expérience des gens du barreau me laisse perplexe. Vous ai-je dit que mon avocat du Conseil d’État ne s’était pas présenté le jour de la séance ? Il n’avait pas retiré à temps son courrier professionnel au Conseil d’État ! « Ces choses-là sont très désagréables; il faudrait maintenant passer retirer son courrier tous les huit jours! »: tel a été son commentaire.
Mais j’en viens au principal : notre conversation à Paris, en présence du sympathique Jean B.[1]
Vous avez manifestement le sens de la réflexion politique. Moi, je ne l’ai pas. J’ai plutôt, en la matière, des mouvements d’humeur. Je vais plutôt là où, sur le moment, j’ai l’impression qu’on appelle au secours. Je ne parle pas de 68 où c’était, de ma part, du pur enthousiasme. Je parle de toutes les autres circonstances de la vie où j’ai vu les vainqueurs terrasser les vaincus. Le vaincu n’est toujours qu’un pauvre chien et je ne vais pas me soucier s’il est jaune, noir ou brun. Je suis persuadé qu’aux Tagarins on a torturé dans tous les sens de l’histoire. Cela dit, ne jouons pas les saint-bernard. Comme tout le monde ou presque, j’ai des indignations qui sont peut-être, en gros, à sens unique. J’ai cru constater, par exemple, qu’en règle générale, un homme de gauche ou un juif trouvent toujours des défenseurs quand ils sont persécutés ; quand ce n’est pas dans un coin de la terre, c’est dans un autre ; ils ne crient tout de même pas dans le désert. En revanche, quand l’homme de droite ou l’antisémite est persécuté, on dirait que tous les coups sont permis. Les exceptions à cette règle sont rares. Aux juifs je reproche de crier tellement plus fort quand il s’agit de l’un des leurs qu’on n’entend même plus les cris des autres suppliciés. Le grand public en est presque venu à croire que seuls les juifs passaient dans les prétendues « chambres à gaz ». Les juifs, pour moi, constituent le contraire d’une minorité à plaindre dans la France d’aujourd’hui ; or, jamais peut-être ils ne se sont autant plaints. Cela vient, me souffle-t-on, de ce qu’ils sentent que l’état d’Israël est en perdition. C’est possible. Je suis prêt à plaindre Begin si, de puissant, il se retrouve misérable. Je compatis sincèrement à la désillusion des sionistes comme à la désillusion de tous les désillusionnés du monde. Mais il y a le sort affreux des Palestiniens. Les malheureux ont cru s’en sortir par une forme de « terrorisme ». Les médias leur sont tombés dessus à bras raccourcis. Les juifs ont tort de lier, pour la plupart d’entre eux, leur cause à la cause sioniste. Je voudrais bien que certains juifs, comme Vidal-Naquet, se désolidarisent franchement et courageusement de la cause sioniste. Le moyen existe : qu’ils se désolidarisent de l’affreux mensonge qui est à la base de la création de l’État d’Israël, cette imposture des « chambres à gaz » et du « génocide ». Cette histoire est pourrie, fichue ; en réalité, plus un seul historien n’acceptera de la cautionner bien longtemps encore ; elle n’est plus bonne que pour un Georges Wellers qui invoque « la perfidie allemande » ou la «perfidie arabe» dans son Étoile jaune à l’heure de Vichy. La projection d’Holocauste va être une catastrophe pour les juifs de France, s’ils en profitent pour nous resservir les mêmes fables. Tout cela est vraiment dangereux.
Somme toute, je vous approuve quand vous me dites qu’il ne faut pas que mon entreprise serve à de gros malins pour relancer une campagne antijuive. Vos remarques font même que j’ai pris une décision : celle de désamorcer par tous les moyens possibles la tentation chez certains de refiler la note aux « juifs ». Un mot, une phrase bien placée, peuvent avoir ici leur effet. Il faut bien voir que dans quelques années on risque d’assister à une dispute entre juifs de l’Ouest et communistes de l’Est : c’est à celui qui mettra sur le compte de l’autre ces histoires de « chambres à gaz » polonaises et de massacres généralisés par les «Einsatzgruppen». Un mensonge, c’est encombrant. « C’est pas moi, c’est l’autre ; moi, je n’ai fait que répéter. » Ayons tous, et tout de suite, l’amour de la vérité et manifestons cet amour. Vous, avec votre habitude de la réflexion politique, vous sauriez, je suppose, trouver les moyens les plus adéquats.
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[1] Le “sympathique” Jean B., ou Jean Barot, est maintenant mieux connu sous son vrai nom de Gilles Dauvé. [NdE]