Lettre à Jacques Willequet
Je voudrais vous poser quelques questions à propos de votre dernier livre : La Belgique sous la botte. Permettez-moi de vous demander des éclaircissements sur les points suivants :
1) p. 325 et 329. Ne pensez-vous pas qu’il faut dater la conférence de Wannsee de façon uniforme au 20 janvier 1942 ? Ne faut-il pas remplacer « trentaine d’agents ministériels et administratifs » par « quatorze » (Heydrich venait en plus) ? Vous dites que le seul mot prononcé a été celui d’« évacuation » (et non pas d’«extermination», par exemple). Je vous approuve mais ne croyez-vous pas qu’on peut aller beaucoup plus loin dans le sens d’une rectification de la légende de Wannsee et, en particulier, noter dans le « procès-verbal » la présence des mots Freilassung et Aufbaues ? Les Allemands envisageaient de traiter les juifs en ennemis déclarés. Ceux d’entre les juifs qui étaient capables de travailler allaient être astreints à un travail physique des plus durs : le Strassenbau [construction des routes] dans les territoires de l’Est. Bien sûr, hommes et femmes allaient être séparés ; c’est toujours le cas pour des prisonniers. Une grande partie d’entre eux disparaîtrait par diminution naturelle. Le restant serait remis en liberté (Freilassung) et à considérer comme la cellule germinative d’un renouveau (Aubaues) juif. En guise de commentaire : « voyez la leçon de l’Histoire ». Autrement dit, n’aurait-on pas là une illustration de la vieille idée selon laquelle les juifs pullulent comme des parasites qui répugnent au dur travail physique ; il faudra les contraindre au plus classique et au plus redoutable des labeurs, la construction de routes dans des territoires à civiliser. Ils souffriront ; ils ne se multiplieront pas ; les survivants seront les meilleurs d’entre eux, ainsi que l’enseigne l’Histoire (hum !), et, une fois rendus à la liberté, ils constitueront le noyau, le ferment d’un renouveau juif : les juifs seront enfin comme tout le monde ; ils auront une terre et une nation, etc. ;
2) p. 330, 332 et 343. Vous écrivez : « Six millions d’êtres humains allaient disparaître en fumée ou autrement » ; vous employez le mot de « génocide » à la page 332 et, à la page 343, vous parlez de « l’exemple hallucinant d’un génocide bureaucratique ». Cependant, ainsi que vous le savez sans doute, d’une part, les archives allemandes concernant les déportations et les camps de concentration ou de travail nous sont, dans l’ensemble et, spécialement pour Auschwitz, parvenues à peu près intactes et, d’autre part, dans ces mêmes archives (du RSHA et du WVHA), il n’existe pas la moindre trace d’un ordre, d’un plan ou d’un budget d’extermination. Cela pour «le crime spécifique». Quant à l’arme spécifique dudit « crime spécifique », je veux dire la chambre à gaz homicide, vous savez peut-être qu’on n’en a pas trouvé la moindre trace ; les tribunaux n’ont fourni ni expertise de l’arme du crime, ni rapport d’autopsie attestant de l’existence d’un seul cadavre d’homme tué par gaz-poison ; aucun témoin n’a été contre-interrogé sur le point spécifique des chambres à gaz ; il n’y a eu aucune reconstitution. En conséquence, estimez-vous qu’il reste possible d’affirmer, surtout devant le nombre étonnant de « survivants » juifs, qu’il y a eu un génocide et même un génocide bureaucratique ? C’est au procès Zündel de Toronto que, pour la première fois, un témoin a été contre-interrogé sur les chambres à gaz d’Auschwitz et ce témoin s’est effondré ; il avait, de son propre aveu, utilisé la «licence poétique» dans son témoignage écrit ; ce témoin n’était pas n’importe qui ; il s’agissait du trop fameux Rudolf Vrba, l’homme qui, avec son ami Alfred Wetzler, était à l’origine du War Refugee Board Report, matrice officielle de ce qui allait devenir la thèse de l’extermination des juifs ;
3) p. 316. Vous écrivez : « On peut estimer à un petit tiers du total le nombre des juifs qui, à l’automne de 1940, n’étaient plus sur le sol belge. » Puis-je vous demander quel est ici ce total ?
4) p. 333. Vous écrivez : « 25.559 (juifs) passèrent par Malines, 1.244 rentrèrent de captivité en 1945 ». Cette affirmation est suivie de trois points de suspension qui paraissent donner à penser que les chiffres parlent d’eux-mêmes et qu’on est devant une hécatombe. Mais je voudrais savoir a) si la précision « en 1945 » signifie « en 1945 et au delà de 1945 » ou s’il faut entendre qu’en plus des juifs rentrés en Belgique en 1945, il faut considérer qu’il y a eu après cette année-là d’autres retours; b) si vous avez fait des recherches pour vous enquérir du nombre de juifs qui, déportés de Belgique, sont allés s’installer après la guerre en d’autres pays et, en particulier, en Palestine ou en Israël (sans compter les quelque soixante-dix pays à communautés juives représentés au sein du Congrès juif mondial) ; c) si vous vous êtes avisé de l’extraordinaire malhonnêteté de Serge Klarsfeld dans sa comptabilité des survivants.
5) p. 330. Vous parlez de « l’intimité des camps » et vous estimez que les Allemands pouvaient dissimuler grâce à cette intimité des crimes énormes en quantité et en qualité. Est-ce tellement sûr ? Auschwitz était un camp assez mal gardé (six cent soixante-sept évasions), sillonné de passages de travailleurs libres et où il semble que tout était consigné par écrit dès lors qu’il s’agissait de morts ou d’exécution: une vingtaine de signatures pour une mort « naturelle » et une trentaine de signatures pour une mort « non naturelle » (exécution, assassinat, suicide). Les Soviétiques n’ont toujours pas communiqué les Totenbücher trouvés sur place ; les Polonais n’en possèdent qu’un ou deux volumes. Nous avons le registre des opérations chirurgicales et la preuve que les enfants juifs ou tziganes, parmi les autres, nés dans le camp, étaient normalement enregistrés. Quant aux barbelés d’Auschwitz, ils étaient très loin de valoir le mur de Berlin.
J’en ai terminé avec mes questions. J’ai constaté avec plaisir que, pour le lecteur attentif au choix de vos mots et de vos arguments, il y a beaucoup à glaner en fait de rectifications diverses. Vous employez un peu la même méthode, en la circonstance, qu’un Henri Amouroux. Ce dernier dissimule çà et là des informations dérangeantes, destinées au lecteur vigilant. Par exemple, il apporte des révélations sur la bataille dite du plateau de Glières (ou : des Glières). À la page 273 du tome 7 de La Grande Histoire des Français sous l’occupation, il écrit : « Ainsi hissera-t-on Glières à la hauteur de Bir Hakeim, hissé lui-même presque à la hauteur de Verdun » ; puis, à la page 291, il rappelle que pour Jean Rosenthal (« Cantinier »), ami intime de Maurice Schumann et source d’informations pour ce dernier, les maquisards de Glières ont tué quatre cent quarante-sept Allemands ; enfin, à la page 294, il révèle qu’en réalité ces maquisards ont tué en tout et pour tout deux Allemands ; du moins est-ce le chiffre donné comme probable après une enquête de longue haleine.
30 octobre 1987