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Lettre à François Furet et Raymond Aron

Messieurs,

Vous organisez un colloque sur « Le National-socialisme et les Juifs » ; ce colloque se tiendra du mardi 29 juin au vendredi 2 juillet 1982 à la Sorbonne et aux Hautes Études.

Dans la revue L’Histoire (revue mensuelle éditée par la Société d’édition scientifique), livraison de juin 1982, aux pages 70-71, je lis :

Il a fallu les secousses passionnelles provoquées par le professeur Robert Faurisson dans l’opinion publique et l’adhésion remportée par lui auprès d’une poignée d’anciens « anarcho-communistes » pour que le doute vienne à planer sur quelques tabous : la comptabilité du génocide, l’existence des chambres à gaz, la volonté d’extermination des nazis à l’endroit des Juifs, etc. 

Je lis encore :

Si François Furet (maître-d’œuvre de ce colloque) reconnaît que « l’affaire Faurisson » fut le déclic, il compte aller bien au-delà de ce fait de société.

Je lis enfin :

La thèse révisionniste [sera étudiée] par Pierre Vidal-Naquet. 

Dès l’annonce publique de ce colloque, j’ai pris contact avec l’un et l’autre d’entre vous. A l’un comme à l’autre j’ai demandé l’autorisation d’assister à ce colloque. Votre réponse a été un refus immédiat et catégorique. L’un d’entre vous m’a dit qu’il s’agissait d’un refus « non négociable » et l’autre m’a fait remarquer : « Vous comprenez, il y a des vérités qui sont établies pour toujours ! » J’ai eu beau rappeler que nos positions sur les prétendues « chambres à gaz » homicides de Hitler et le prétendu « génocide » des juifs seraient présentées au colloque par le plus farouche, le plus violent défenseur des thèses adverses : Pierre Vidal-Naquet qui, depuis trois ans, mène campagne contre ma personne et contre la personne de ceux qui me défendent, vous m’avez fait comprendre que l’hérétique que je suis à vos yeux serait jugé in absentia et sans avocat, devant une brochette de procureurs choisis par cooptation. Ces procédés ne risquent-ils pas d’apparaître à la fois sorbonniques et staliniens ? Monsieur Furet a bien voulu me confier à deux reprises qu’il désapprouvait les « persécutions » – c’est là son propre mot – dont j’étais la victime depuis tant d’années. Or, je considère que la tenue de ce colloque à huis clos, suivi d’une conférence de presse de Monsieur Aron, prend la forme d’une nouvelle atteinte à ma liberté d’expression : je pourrais en subir de très graves conséquences sur les plans universitaire et judiciaire. La justice ne manquera pas d’en tirer parti lors du procès civil de septembre. Actuellement se trouve en délibéré un arrêt à rendre sur un jugement qui me condamne à trois mois de prison avec sursis et à plus de trois millions de francs d’amendes diverses, de dommages-intérêts et de frais d’insertion pour la seule expression de mes idées en matière d’histoire contemporaine.

J’aimerais me tromper sur vos intentions et, envers et contre tout ce que vous m’avez dit jusqu’à présent, je me permets de compter sur une invitation.

Jusqu’ici vous m’avez interdit même une présence muette à votre colloque. Je ne peux pas croire que vous maintiendrez une pareille interdiction.

Je vous prie, Messieurs, de recevoir mes salutations distinguées.

 

[Ajout manuscrit] P.S. : Monsieur Furet a bien voulu m’accorder un entretien d’une demi-heure. Il m’a dit, au passage, qu’il avait lu l’ouvrage de Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique? et qu’il avait entendu mon interview à Europe-1 par Ivan Levaï (il n’a pas lu mon Mémoire en défense). Dans ce cas, je me demande comment il a pu croire que je niais l’existence des… fours crématoires ! D’autre part, il m’a confié, à propos des participants du colloque, qu’ils avaient tous « pignon sur rue » et qu’ils me tenaient tous pour un « imposteur ». Pour moi, j’estime que l’argument d’autorité n’est peut-être pas un bon argument, surtout quand cette autorité-là reçoit toutes les cautions possibles de tous les pouvoirs possibles. Ensuite, la plupart des participants ont fait comme moi : ils se sont improvisés historiens du « génocide ». Enfin, si le révisionnisme est une imposture, il convient de dévoiler cette imposture d’une façon convaincante, par exemple en invitant au colloque un révisionniste qu’il serait aisé de confondre publiquement. Une dernière remarque : si tous sont antirévisionnistes et si aucun révisionniste n’est invité, n’est-ce pas que le procès du révisionnisme sera fait par des gens décidés d’avance à prononcer la condamnation des prévenus ?

                                                                                                                                                   15 juin 1982