Le mythe des “chambres à gaz” entre en agonie
À propos de l’article de Jean-Claude Pressac, « Les “Krematorien” IV et V de Birkenau et leurs chambres à gaz. Construction et fonctionnement », p. 91-131, Le Monde juif, n° 107, juillet-septembre 1982
L’article est présenté en une centaine de lignes par Georges Wellers, responsable de la revue et auteur, lui-même, d’un livre intitulé : Les chambres à gaz ont existé. Des documents, des témoignages, des chiffres.
G. Wellers fait, pour sa part, de formelles réserves sur la thèse de J.-C. Pressac. Ce dernier formule la thèse selon laquelle la décision de construire les quatre grands bâtiments d’Auschwitz-Birkenau appelés crématoires II, III, IV et V a été prise par la SS « hors de tout contexte criminel », c’est-à-dire, en bon français, sans aucune intention criminelle ; cette intention criminelle serait apparue « plus tard », sans autre précision dans le temps.
G. Wellers dit que les raisons avancées par l’auteur pour soutenir une thèse aussi nouvelle et surprenante sont au nombre de quatre ; il énumère ces quatre raisons et il les critique une à une, car il n’est d’accord avec aucune d’entre elles. En conclusion, il écrit : « Bref, aucun argument avancé par l’auteur à l’appui de son opinion selon laquelle “à l’origine” la construction des chambres à gaz criminelles n’était pas envisagée à Birkenau n’est convaincant. »
Aussi le lecteur se demande-t-il pourquoi G. Wellers a accepté de publier dans Le Monde juif une étude dont aucun argument n’est, selon lui, convaincant. On attend une explication. On n’en trouve pas. G. Wellers a commencé sa présentation en disant que l’auteur était jeune, catholique, avait entrepris plusieurs voyages à Auschwitz où il avait étudié les ruines de Birkenau, des plans, des photographies, des archives, etc. G. Wellers écrit à propos de l’auteur : « Le goût d’une étude approfondie, en pleine indépendance, est, sans doute, un trait caractéristique de sa curiosité intellectuelle et les moyens qu’il a employés pour la satisfaire sont les meilleurs, quoique peu communs. »
J.-C. Pressac apporterait « maintes précisions nouvelles » et des «détails importants inédits», ainsi qu’« une réflexion originale, quelquefois discutable ». Bref, il s’agirait d’un « apport important à nos connaissances concernant les chambres à gaz d’Auschwitz et qui éclaire maints problèmes restés jusqu’à aujourd’hui dans le flou, sinon dans l’obscurité ». Voilà donc quelques compliments qu’on aurait aimé voir accompagnés de précisions et d’exemples. Car la phrase finale de G. Wellers est d’un effet dévastateur : « Aucun argument [de J.-C. Pressac]… n’est convaincant. » Le dernier alinéa de la présentation de cette nouvelle thèse est tout aussi dévastateur ; il y est dit qu’il existe « une série cohérente de faits » montrant, en substance, que la thèse de J.-C. Pressac est inacceptable ; pour G. Wellers, en effet, la décision de construire à Birkenau quatre grands crématoires a été prise dans ce qu’il appelle « le cadre sinistre de la “solution finale de la question juive” », c’est-à-dire dans le cadre d’une extermination délibérée du peuple juif. G. Wellers ne précise pas de quels faits il veut parler et il n’en montre donc pas la « série cohérente ». On le regrette. Puisque G. Wellers critique chacun des quatre arguments de J.-C. Pressac, il aurait été intéressant de connaître les raisons pour lesquelles ce dernier n’en a pas moins soutenu sa thèse. J.-C. Pressac et G. Wellers sont tous deux à ranger dans le camp des « exterminationnistes », mais leurs arguments, au lieu de s’ajouter les uns aux autres et de s’enrichir par des apports mutuels, se contrecarrent et se détruisent sous nos yeux. Il n’est pas possible d’affirmer à la fois : 1. On a construit délibérément, en vue d’une extermination criminelle, des abattoirs à juifs ; et 2. On a construit délibérément, en vue d’un usage pacifique, des bâtiments sanitaires pour juifs et non-juifs et, plus tard, à une époque non précisée et selon un processus général non déterminé, on a perdu de vue l’usage pacifique et les bâtiments sanitaires sont devenus des abattoirs à juifs.
Dans le premier cas, celui de G. Wellers, l’affirmation a le mérite de la cohérence. Dans le second cas, celui de J.-C. Pressac, il n’y a pas d’incohérence à proprement parler mais un bouleversement complet des êtres et des choses. Pour admettre la possibilité d’un tel retournement à 180°, le lecteur exigera de J.-C. Pressac une analyse conduite avec clarté, méthode, rigueur, où chacune des étapes d’un parcours aberrant sera soigneusement marquée de sorte que l’incroyable deviendra croyable ; à chaque étape, le lecteur trouvera la confirmation d’un développement logique ; on lui fournira à chaque fois des indications de temps, de lieu et de personne ; sous ses yeux, des bâtiments à destination visiblement pacifique se transformeront en bâtiments à destination évidemment criminelle ; là où entraient des hommes chargés de tâches sanitaires entreront des bourreaux ; là où les bâtiments avec leurs différentes pièces et leurs dépendances avaient été conçus (par des architectes, par des ingénieurs, par des médecins, par des spécialistes en toutes sortes de technologies) pour être soit des bains-douches, soit des chambres de désinfection, soit des chambres froides, soit des fours destinés à brûler des cadavres, soit enfin des fours d’incinération des déchets, on verra surgir d’épouvantables chambres à gaz homicides, maquillées ou non en bains-douches factices et chargées de tuer industriellement des quantités industrielles de victimes, de sorte, d’ailleurs, que les fours ne pourraient jamais venir à bout de tant de cadavres. Ce retournement de 180° devrait également trouver d’abord sa source, non pas dans le cerveau malade de quelques SS travaillant sur place, mais dans une décision venue de très haut et qui, tout au long de l’échelle militaire et administrative d’un pays en guerre, laisserait obligatoirement des traces incontestables. L’instance administrative et économique dont dépendaient les camps de concentration allemands surveillait d’extrêmement près les moindres dotations en matériel, en argent, en personnel. Le moindre boulon à fabriquer ou à poser faisait l’objet de mentions dans des registres tels que ceux des ateliers du camp. Dans un pays en guerre, on ne commande pas la marchandise qu’on veut à qui l’on veut. Un service central est chargé de répartir les autorisations en tenant compte des nécessités de l’exportation, des besoins civils et des exigences de l’armée.
J.-C. Pressac avait-il a priori quelques chances de nous entraîner à sa suite dans ce parcours aberrant ? On peut en douter quand on considère les difficultés déjà insurmontables que rencontraient des exterminationnistes comme G. Wellers qui, eux, avaient au moins l’avantage de défendre une thèse cohérente, sans aucun retournement à 180°. Déjà ces exterminationnistes-là étaient bien en peine de nous trouver une preuve, une seule preuve de l’existence et du fonctionnement d’une seule chambre à gaz dans un seul camp de concentration allemand. Comment, aujourd’hui, un homme comme J.-C. Pressac pourrait-il donc nous apporter en quelque sorte le double de preuves ? Comment pourrait-il prouver que les Allemands ont, en un premier temps, annulé et fait annuler tout ou partie des mesures prises dans une bonne intention, pour aller, en un second temps, instaurer de formidables mesures prises dans une intention démoniaque ?
Mais la première pierre d’achoppement n’est pas là. Je parlais de la nécessité d’être clair. Or, non seulement J.-C. Pressac n’est pas clair, mais il a manifestement beaucoup de peine à organiser ses idées. Le sujet qu’il a choisi de traiter est difficile. La thèse générale qu’il cherche à soutenir et qu’on appelle thèse exterminationniste est redoutablement difficile à défendre. La thèse particulière qu’il a forgée dans son esprit exigerait pour être développée un véritable génie de l’invention et de la démonstration. C’est assez dire qu’avec J.-C. Pressac le lecteur est loin du compte. L’épreuve d’une telle lecture est exténuante et il est probable que l’auteur a eu autant de peine à réunir dans son esprit les éléments de sa thèse que le lecteur en rencontre à vouloir comprendre les phrases de J.-C. Pressac et leur enchaînement. Comme G. Wellers éprouve, lui aussi, quelques difficultés à argumenter, cette longue étude du Monde juif est, pour tout lecteur, un redoutable pensum.
1) Les quatre arguments de J.-C. Pressac, d’après G. Wellers
J.-C. Pressac a particulièrement étudié le cas des deux bâtiments d’Auschwitz-Birkenau appelés crématoire IV et crématoire V. Il nous promet d’autres études sur d’autres bâtiments et, en particulier, sur les crématoires II et III. D’après G. Wellers, les principales raisons pour lesquelles l’auteur pense que les crématoires IV et V n’ont pas été conçus à l’origine, c’est-à-dire en août 1942, dans une intention criminelle sont les suivantes :
1. Sur les plans de ces bâtiments, les pièces qualifiées, selon la tradition exterminationniste, de « chambres à gaz » homicides ne portent aucun nom ;
2. S’il s’agissait de « chambres à gaz » homicides, la disposition générale des bâtiments et l’emplacement précis des « gazages » impliqueraient une absurde «séquence des opérations» subies par les victimes ;
3. Pour atteindre les lucarnes par lesquelles le bourreau SS « introduisait » le Zyklon B, il aurait fallu une échelle alors que, selon l’auteur, « il aurait été si simple de placer les ouvertures […] plus bas, ou en édifiant […], juste au-dessous, un petit escalier […], de manière à rendre [les lucarnes] directement accessibles » ;
4. Enfin, dans certaines de ces pièces avaient été installés de petits poêles chauffés au charbon, ce qui donne à penser qu’à l’origine il s’agissait de douches.
2) J.-C. Pressac est exterminationniste
Constatant que certaines personnes (les exterminationnistes) croient à la réalité des chambres à gaz homicides d’Auschwitz et que d’autres (les révisionnistes) ne croient pas que ces chambres aient existé, l’auteur annonce que, dans son enquête, il a essayé « de rester impartial ».[1] Il dédie son étude à Maria et Helena Zylbermine, «anéanties par le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau ». Que veut dire «anéanties» par un camp? A-t-il vérifié, comme il est facile de le faire, que ces deux personnes sont bien mortes du fait des Allemands ? L’auteur parle des «six millions» comme s’il ajoutait foi à ce chiffre.[2] Il ne tarit pas d’éloges sur les autorités du musée d’Auschwitz qui lui ont donné libre accès à tous les lieux et à tous les documents souhaitables (… sauf à ceux qu’on verra plus loin) et ces autorités n’ont rien de « falsificateurs “polono-communistes” » (à quelques énormes exceptions près qu’on trouvera également ci-dessous). Il croit que le nombre des victimes d’Auschwitz est d’environ un million.[3] Ses sources sont exclusivement exterminationnistes.[4] Il cite deux ouvrages révisionnistes : l’un de Butz et l’autre de Rassinier mais il n’utilise ni l’un ni l’autre dans son étude et il se contente d’une allusion méprisante.[5] Il recourt au témoignage de Pery Broad, témoignage que même un Vidal-Naquet soupçonne d’être un faux. Il recourt au livre de Filip Müller, véritable perle de culture de l’antinazisme de sex-shop.[6] Il ose citer Médecin à Auschwitz, livre protéiforme attribué par un certain Tibère Kremer au Dr Nyiszli, dont Rassinier a magistralement démontré la «gredinerie». Il a fait état du témoignage de l’« Auteur inconnu » mis au jour par Bernard Mark, directeur de l’Institut historique juif de Varsovie, professeur que même l’historien M. Borwicz tient pour un fabricateur.[7] Sur tous ces points, J.-C. Pressac n’a qu’à se reporter aux démonstrations qui sont fournies par des ouvrages révisionnistes de Rassinier, de Stäglich, de Thion, de Faurisson. Une démonstration ne peut et ne doit se fonder que sur des documents dont on a fait au préalable l’examen critique. J.-C. Pressac cite le manuscrit de l’« Auteur inconnu » d’après une édition très connue que le musée d’Auschwitz a publiée en 1972. N’a-t-il pas lu ce que les autorités de ce musée pensent elles-mêmes de Bernard Mark? Comment n’a-t-il pas compris que ce manuscrit yiddish est une fabrication du plus pur style « réaliste-socialiste » avec, par exemple, l’histoire de la jeune Polonaise nue haranguant les victimes dans la chambre à gaz même, ces victimes se mettant à genoux, les unes chantant l’hymne national polonais et les autres, l’hymne juif de la Hatikva, jusqu’au moment où toutes les voix se confondent pour entonner « L’Internationale » ? Ce dernier trait paraissant un peu fort, il arrive qu’on le supprime. Mais il y a mieux et aujourd’hui, comme pour couronner le faux, voici qu’en France Plon vient d’éditer, du même B. Mark, un ouvrage intitulé Des Voix dans la nuit.[8] L’« Auteur inconnu » a perdu son fâcheux anonymat et il s’appelle maintenant Leib Langfus. Le passage de «l’Internationale» se trouve à la page 247. À la page 252 nous attend une première surprise. On nous y livre un fragment qui avait été supprimé dans l’édition du musée d’Auschwitz de 1972 avec cette explication : « On a excepté quatre pages concernant Belzec ». Les quatre pages nous sont ici livrées sous le titre de « Sadisme ». On y apprend que les Allemands construisirent «dans la forêt huit grandes baraques dans lesquelles on installa des tables et des bancs». Puis, dit le texte : « C’est là qu’on entassa les juifs de Lublin, de Lemberg et d’autres circonscriptions et on les y électrocuta ». Un appel de note renvoie à la remarque suivante : « C’est ce qu’on pensait à l’époque. En réalité, on utilisa le gaz[9]. » Ce qui est vrai, c’est que, sur Belzec comme sur Auschwitz et comme sur tous les camps, il y a eu cacophonie de ragots. Pour en revenir à Belzec, la vérité a d’abord été qu’on y électrocutait les juifs[10], cette électrocution connaissant des modalités étrangement différentes les unes des autres. Puis, ou en même temps, la vérité a été qu’on tuait les juifs à la chaux vive et de nulle autre façon. Puis est venue la version de Kurt Gerstein : on gazait les juifs. La version dite « de la chaux vive» nous provient de Jan Karski, aujourd’hui professeur à l’université Georgetown, de Washington.[11] Mais, pour en revenir à Auschwitz et au manuscrit de « l’Auteur inconnu » devenu Leib Langfus, J.-C. Pressac aurait grand intérêt à lire deux autres fragments ajoutés à la version initiale : le premier s’intitule « Les six cents garçons » et le second « Les trois mille nues ».[12] Il aurait aussi quelque intérêt à méditer les termes d’un article de Serge Thion et de Jean-Gabriel Cohn-Bendit consacré au livre de Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, et intitulé « Le faux témoignage est un art difficile[13] ».
Par bien d’autres points de son article l’auteur fait allégeance à la thèse exterminationniste. Il lui arrive d’aller si loin dans la complaisance qu’il en conçoit quelque embarras. Il flatte, tout en se demandant si sa flatterie ne touche pas à l’absurde. Höss, dans ses notes rédigées sous la surveillance de ses geôliers communistes de Cracovie, est censé avoir écrit en toute liberté la phrase suivante : «Je dois franchement dire que jamais je ne me serais attendu à ce que dans ma détention en Pologne on me traite d’une façon aussi convenable et prévenante, comme ce fut le cas après l’intervention du ministère public[14].» Höss n’est pas le seul à complimenter son juge d’instruction Jan Sehn et le ministère public. Il est mort pendu et heureux. On peut en être sûr. D’ailleurs, pour J.-C. Pressac, «Höss semble avoir atteint, d’après une de ses dernières photographies juste avant son exécution, un état de paix intérieure totale, à la limite de la béatitude, aussi absurde que cela puisse paraître[15]… »
3) J.-C. Pressac fait d’intéressantes concessions aux révisionnistes
J.-C. Pressac ne semble être ni un tricheur, ni un homme de mauvaise foi. S’il lui arrive de sauter un passage important dans une citation et s’il n’en prévient nullement le lecteur, ce peut être par accident. C’est ainsi qu’à la page 128 (sixième ligne) il saute une phrase capitale de « l’Auteur inconnu ». Cette phrase dit : « là-dessus s’ensuit le démontage du crématoire III ». Inutile d’épiloguer.
J.-C. Pressac s’en prend à ceux qui ont mis en doute l’authenticité des confessions de Höss.[16] Il dit que, pour sa part, il a eu tout loisir de consulter et d’examiner le manuscrit de Höss écrit au crayon. Mais au moment même où il croit trouver là une preuve de l’authenticité du manuscrit, il est pris d’un scrupule. Il lui vient à l’esprit que Höss « a rédigé plusieurs centaines de pages sans aucunes ratures ». Il en conclut fort justement que : « Ce travail soigné ne semble pas être le premier “jet” de Höss, homme de terrain et non écrivain professionnel. » Il ajoute : « Ce manuscrit proviendrait du recopiage d’une ou plusieurs ébauches qui n’ont pas été portées à la connaissance du public. » Un peu plus loin, il ne cache pas que seule une moitié des écrits de Höss nous est connue. Le Dr Martin Broszat, éditeur des écrits de Höss dans leur langue originale, en 1958, nous avait déjà prévenus de ce fait ; à la page 8 de son ouvrage, il nous donnait même des précisions chiffrées. Dès lors se pose une grave question : pourquoi ne peut-on avoir accès aux différentes moutures des écrits de Höss et pourquoi, en 1958, soit onze ans après la pendaison de Höss, ne nous a-t-on livré dans la langue originale que la moitié de la version définitive ? J.-C. Pressac a-t-il posé cette question aux autorités du musée d’Auschwitz ? M. Smolen, directeur de ce musée national, avait proposé à J.-C. Pressac de corriger ses livres ou articles, quelle que fût leur teneur, « gracieusement, pour éviter les erreurs grossières ». Proposition acceptée par l’auteur, ainsi qu’il nous le révèle.[17] L’article de J.-C. Pressac a donc, en fin de compte, été soumis avant publication à la fois aux autorités du musée national d’Auschwitz et à celles du Centre de documentation juive contemporaine de Paris. Pour quelqu’un qui dit essayer de rester impartial, il lui aurait suffi de soumettre son texte à un ou deux auteurs révisionnistes ; il se serait épargné bien des « erreurs grossières » et aurait peut-être pu ainsi faire la preuve de son impartialité.
Au fil des pages, l’auteur fait des remarques qui sont comme autant de réserves que les tenants de la thèse exterminationniste, en plein désarroi, sont bien obligés de laisser passer :
– p. 106 : en dépit de demandes répétées, il n’a pu obtenir du musée communication d’une pièce mentionnée par les Soviétiques dans leur rapport sur Auschwitz du 6 mai 1945 (la référence TIN est mise pour TMI) ;
– même page : dans son livre, Filip Müller contredit gravement sa déposition au procès de Francfort ; dans son livre, il parle de fausses douches dans les crématoires tandis que dans sa déposition il affirmait : « Il n’y avait pas de fausses douches dans les crématoires » ;
– p. 111 : les équipes travaillant à la construction des crématoires étaient de composition mixte, incluant civils et détenus (cas, ici, de l’équipe Kohler), ce qui, dirons-nous, pour notre part, rend absurde la thèse présentant la construction de ces édifices comme criminelle et hautement secrète ;
– p. 119 : le juge d’instruction Jan Sehn corrige un texte original avant d’apposer sa signature ainsi que la formule de légalisation pour le tribunal ; l’auteur pense que J. Sehn avait raison (?) de corriger mais qu’il aurait dû faire savoir qu’il s’agissait là d’une correction ;
– p. 120 : telle commande de « portes étanches » n’est (contrairement à ce qu’on pourrait croire ?) « manifestement pas d’usage criminel » ;
– p. 122 : s’il est raisonnablement possible d’attribuer tel type de portes aux chambres à gaz des quatre crématoires, « il est impossible de conclure à leur emploi criminel » (le style de l’auteur est si embarrassé que le sens du passage semble être le suivant : « ces portes paraissent appartenir à des chambres à gaz de désinfection ») ;
– même page : tel fait « démontre l’impossibilité totale de distinguer entre les portes de chambres à gaz de désinfection et celles criminelles » (l’auteur semble vouloir dire : « il est totalement impossible de distinguer si ces portes appartiennent a des chambres à gaz de désinfection ou à des chambres à gaz homicides ») ;
– même page : « le travail judiciaire accompli par Jan Sehn est d’excellente et irréprochable qualité » (compliment qui étonne après la remarque de la page 119) mais le travail fourni par les « experts » techniques est « douteux, imprécis, parfois incompréhensible [et] aux frontières du contestable » ; c’est en particulier le cas pour le travail du professeur Dr Ing. Roman Dawidowski, «expert pour toutes les questions techniques» ; ce dernier a participé en 1945 à la commission d’expertise soviétique avant de passer à la commission d’expertise polonaise ; le fait est grave, dit J.-C. Pressac, car le juge Jan Sehn «se servira de ces détestables expertises techniques pour donner son évaluation du nombre des victimes d’Auschwitz» ; ce nombre que J.-C. Pressac ne nous rappelle pas est de près de quatre millions ; s’il nous avait révélé ce chiffre et, d’ailleurs, bien d’autres chiffres extravagants du juge Jan Sehn, J.-C. Pressac nous aurait donné la mesure de ce que valent ses compliments et de ce que valait le juge polonais ; dans son livre sur Auschwitz, Jan Sehn ne nous dit-il pas, par exemple, que le rendement des chambres à gaz de Birkenau était de soixante mille personnes par jour ?[18] Tel est l’homme pour lequel Höss et J.-C.Pressac marquent de l’admiration ;
– p. 123-126 : le témoignage de Szlama Dragan, longuement cité comme étant le témoignage d’un « tragique acteur forcé », nous décrit la marche des opérations depuis l’arrivée des victimes devant les crématoires jusqu’à leur gazage et jusqu’au travail du coiffeur et du dentiste sur trois mille cinquante cadavres (un seul coiffeur et un seul dentiste, chacun dans son coin) ; J.-C. Pressac, qui ne semble pas s’être avisé de ces énormités-là, affirme qu’« industriellement, la marche des opérations est aberrante » ; il souligne sa phrase ; plus loin, à propos de la manière dont le SS verse le contenu de sa boîte de Zyklon B, il écrit : « On est stupéfait devant ce bricolage. »
– p. 126 : en conclusion, J.-C. Pressac affirme : « Alors, une évidence s’impose: les Krematorium IV et V n’ont pas été conçus comme instruments criminels, mais ils ont été transformés à cette fin. » Il est probable que l’auteur a voulu dire qu’une telle aberration dans la conduite des opérations et un tel bricolage impliquent que les bâtiments en question n’avaient pas été conçus à l’origine pour servir d’abattoirs industriels. On aimerait qu’il nous dise clairement en vue de quel emploi les Allemands avaient créé ces bâtiments et quelles transformations avaient été apportées, puisque, aussi bien, ce que nous décrit Dragan laisse croire qu’il n’y a justement pas eu de transformations. Ne serait-ce pas le récit de Dragan lui-même qui serait aberrant et bricolé ? Les phrases qui suivent cette conclusion de J.-C. Pressac sont particulièrement obscures ;
– p. 127 : parlant du livre de Filip Müller, J.-C. Pressac dit d’un seul et même souffle : « [Il] comporte certains passages dont la véracité semble douteuse, mais qui ne nuisent en rien à la réalité du témoignage ». Il veut sans doute dire: « … qui ne nuisent en rien à l’authenticité du témoignage ». On peut s’étonner de voir qu’un témoignage dont certains passages (non précisés) sont d’une véracité douteuse garde toute son authenticité. J.-C. Pressac ajoute d’ailleurs qu’à choisir entre Dragan et Müller, il pencherait plutôt pour Dragan (le témoin qui décrivait des faits aberrants et du bricolage) ;
– p. 128 : J.-C. Pressac déclare que « l’Auteur inconnu se trompe de bonne foi […] sur plusieurs points » ;
– p. 129 : parlant des portes étanches au gaz qu’on a trouvées à la libération du camp, il convient qu’elles pouvaient « provenir de chambres à gaz de désinfection classiques » et, venant à évoquer le fameux camouflage de l’un des crématoires, il écrit que les Allemands avaient planté une haie et il ajoute : « il semble que l’efficacité du camouflage ait été plus symbolique que réelle » ;
– p. 130 : il soupçonne les Polonais d’avoir tenté de « reconstituer » les crématoires IV et V comme ils ont, au camp central d’Auschwitz, « réaménagé » le crématoire I ; ce passage ne prend sa pleine expression et toute sa saveur que lorsqu’on sait que le « réaménagement » du crématoire I a été, de la part des Polonais, une grossière supercherie pour touristes.[19]
4) Quelques suggestions à J.-C. Pressac
Cette étude fourmille d’erreurs pour les raisons susmentionnées. Il n’y a ni ordre, ni clarté, ni rigueur. Les raisonnements sont boiteux. À l’observation des lieux et à l’examen des documents l’auteur mêle de façon constante des bribes de témoignages. On s’y perd. Un bon juge d’instruction commence par établir la matérialité des faits qui peuvent être établis. Sous les yeux il a des plans et des photos ainsi que d’autres indices matériels. Il les examine. Il cherche à se les expliquer. Parfois, il a recours à des experts. Plus tard, quand ce point de son travail lui paraît suffisamment avancé, il va écouter ou lire des récits, ceux de l’accusation et ceux de la défense. Si jamais il a commencé par une audition préalable des parties ou des témoins, il va de soi qu’il ne les acceptera comme sérieux que sous bénéfice d’inventaire. Quand il entendra proférer des énormités qui sont un défi aux lois élémentaires de la physique ou de la chimie, il en prendra bonne note. Il ne les passera pas sous silence.
J.-C. Pressac a commis une erreur en déclarant que ces deux pièces mystérieuses des crématoires IV et V devaient être des douches, à l’origine. Il ne fournit pas d’argument à l’appui de son hypothèse. Il a d’ailleurs l’honnêteté de nous rappeler tout au long de son exposé qu’il s’agit là d’une dénomination choisie « par commodité et habitude ». Il rappelle opportunément que, dans les camps de concentration du IIIe Reich, les crématoires étaient souvent flanqués de douches. Il oublie de dire… et d’installations de désinfection, par exemple des chambres à gaz. Parti avec cette idée que les deux pièces munies chacune d’un petit poêle au charbon pouvaient être des douches, il s’en va examiner les registres des ateliers d’Auschwitz et là, stupeur, rien ne semble indiquer qu’il y ait eu des douches commandées pour ces crématoires. Il découvre, en revanche, de nombreuses preuves que des chambres à gaz ou des éléments de chambres à gaz étaient commandés pour ces mêmes crématoires. Il se fait alors ce raisonnement : si les Allemands commandaient de telles chambres à gaz pour ce qui, en réalité, était des salles de douches, c’est qu’ils employaient là des chambres à gaz… homicides. La vérité est qu’à bien examiner comment sont rédigées les commandes il ne fait aucun doute qu’il s’agissait de chambres à gaz de désinfection.
Une autre erreur de J.-C. Pressac est de n’avoir compris dans sa bibliographie aucun ouvrage, aucun article sur les chambres à gaz allemandes. Ne serait-ce qu’en se reportant aux publications révisionnistes de Thion ou de Faurisson, il aurait appris ce que sont les contingences d’une opération de gazage au Zyklon B ou avec d’autres gaz. Il lui aurait fallu étudier sur la question des chambres à gaz quelques livres et articles surtout rédigés en allemand ou en anglais qu’on trouve par milliers dans les bibliothèques américaines ou allemandes. Et puis, pour commencer, les documents rassemblés par les Alliés pour juger des Allemands comme Tesch, Weinbacher ou G. Peters constituent déjà une riche provende. J.-C. Pressac nous aurait épargné ses considérations de la page 123 sur les boîtes de Zyklon B portant en toutes lettres la mention : « Attention ! Sans avertisseur. » Il aurait appris que déjà bien avant la guerre les Allemands utilisaient pour eux-mêmes et vendaient à l’étranger du Zyklon sans ce produit (Bromessigester) qui avait l’inconvénient de ne pouvoir s’appliquer à certains produits sensibles. L’armée allemande pouvait utiliser une forme simplifiée du Zyklon B. Dans Justiz und NS-Verbrechen, on lit, par exemple : « Dans des cas exceptionnels, principalement pour le traitement au gaz de matières sensibles aux odeurs, tels que les produits alimentaires et le tabac, la Degesch fournissait du Zyklon B sans avertisseur ; ceci était alors indiqué sur l’étiquette des boîtes par la mention : “Attention. Sans avertisseur”. Le document de Nuremberg NI-1210 est un mémorandum du 21 juin 1944, signé d’un Dr Heinrich. Il y est expliqué qu’il y a manque d’ester bromacétique (Mangel an Bromessigester), ce qui est très ennuyeux pour le brevet du Zyklon B ».[20]
J.-C. Pressac a fort bien vu que la mention dans un registre de la serrurerie d’Auschwitz de mots comme « Gaskammer » n’impliquait pas qu’il y eût gazage homicide. Mais il a tort, quand il voit le mot de « Gaskammern » remplacé par celui de « Kammern », d’imaginer qu’on a voulu cacher le mot de « Gas ».[21] Les Allemands appelaient leurs chambres à gaz des noms de « Gasraum », de « Gaskammer », de « Begasungskammer », de «Blausäuregaskammer», d’« Entlausungskammer », d’« Entwesungskammer » ; c’était selon. Et quand on avait à répéter le mot dans un même contexte on pouvait aussi bien utiliser « Kammer ». On agirait de même dans un texte français ou anglais où « chambre » ou bien « chamber » succéderaient à «chambre à gaz» ou à « gas chamber ». Pour favoriser l’action de certains gaz, il arrivait qu’on chauffe la pièce au préalable. Dans des installations sommaires comme celles de Majdanek, on voit encore aujourd’hui que les chambres à gaz étaient flanquées d’un petit édicule où se trouvait un poêle. Cette pièce n’était raccordée à la chambre à gaz que par un tuyau perçant le mur de séparation. Il est probable que les deux pièces trouvées suspectes par J.-C. Pressac aux crématoires IV et V étaient des chambres à gaz de désinfection. Le poêle était en effet garni de l’extérieur, dans le couloir d’accès, avec le charbon déposé dans une autre pièce à proximité. J’ignore quel gaz on utilisait mais je suppose qu’il s’agissait d’un autre gaz que le Zyklon B (par exemple le Cartox, le Ventox, l’Areginal…), lequel avait l’inconvénient d’être très dangereux et d’adhérer longuement aux surfaces. Le Zyklon était surtout employé pour le gazage général de bâtiments ; l’opération exigeait de six à vingt et une heures selon la température ; il y fallait un personnel spécialement entraîné et rien n’était délicat comme l’aération de ces bâtiments et des objets qui s’y trouvaient. Munis de masques à gaz au filtre le plus sévère, les hommes de l’art pénétraient dans les lieux avec, pour consigne, de n’ouvrir que les fenêtres qui voulaient bien s’ouvrir sans trop de difficultés ; et rapidement ils ressortaient des lieux, retiraient leurs masques, respiraient l’air pur pendant dix minutes et reprenaient ensuite leur activité.
Aussi ne peut-on que hausser les épaules devant les récits de gazages homicides censés avoir été librement rédigés par Höss dans sa douce prison polono-communiste. À en croire Höss, l’équipe chargée de vider la chambre à gaz de tel crématoire de Birkenau pénétrait dans les lieux immédiatement après la mort des victimes et la mise en marche d’un appareil d’aération. Les équipiers traînaient les cadavres hors de la chambre à gaz vers le petit monte-charge, en fumant et en mangeant, c’est-à-dire, si l’on comprend bien, sans même un masque à gaz. Même avec des masques à gaz, l’opération aurait été impossible. Imagine-t-on deux mille corps (c’est le chiffre du musée d’Auschwitz) cyanurés et baignant dans des restes de gaz mortel, qu’il faudrait démêler les uns des autres ? J.-C. Pressac sait fort bien que la disposition des lieux est telle qu’il n’y avait pour ainsi dire pas de dégagement et que les équipiers auraient été fort en peine de trouver où entreposer deux mille cadavres en attendant de les faire brûler, afin que le convoi suivant de victimes vienne à son tour se faire gazer dans les deux cent dix mètres carrés de ce qui était en réalité une Leichenkeller, c’est-à-dire un dépositoire en sous-sol.
Aujourd’hui, à Berlin, le crématoire du quartier de Charlottenburg et de Spandau possède une « Leichenkeller » (le mot est resté le même) capable de contenir cinq cents cadavres et il possède quatre fours. C’est assez dire qu’un cadavre demande encore aujourd’hui beaucoup de temps à être incinéré et que, d’autre part, des fours ne peuvent fonctionner en continu des jours entiers. Tous les chiffres de crémation que nous présentent les Polonais et quelques autres à propos des fours crématoires d’Auschwitz doivent être accueillis avec la plus grande méfiance. Pour en revenir à l’actuel crématoire de Charlottenburg-Spandau, chaque four ne peut brûler que de quinze à dix-sept cadavres par vingt-quatre heures.
Dans l’immense littérature scientifique concernant les chambres à gaz de désinfection, on recommandera à J.-C. Pressac de commencer son initiation par la lecture d’un petit ouvrage édité à Berlin en 1943 sous le label officiel ; il s’agit de Blausäuregaskammern zur Fleckfieberabwehr (chambres à gaz à l’acide cyanhydrique pour la prévention du typhus).[22] Il pourrait tout aussi bien prendre la peine de lire les études de G. Peters signalées dans le livre de Serge Thion à la page 204.
Mais est-il même besoin d’entreprendre de pareilles recherches ? J.-C. Pressac connaît le registre de la serrurerie d’Auschwitz. Qu’il s’y reporte à la commande n° 459 du 28 mai 1943. Il y verra ceci :
Chambre de désinsectisation, camp de concentration d’Auschwitz. Objet : 1° Les ferrures pour une porte avec cadre, étanche à l’air avec mouchard pour chambre à gaz ; 2° Une porte à lattes (etc.).
Les mots allemands sont:
Entwesungskammer, Beschläge, Tür, Rahmen, luftdicht, Spion, Gaskammer.
Ces mots reviennent très fréquemment à propos des chambres à gaz ; il est manifeste qu’il s’agit de chambres à gaz de désinfection et J.-C. Pressac lui-même a l’honnêteté de nous montrer en page 112 de son étude la photographie d’« une porte étanche au gaz de la baraque de désinfection du Kanada-I du Stammlager avec œilleton [ou mouchard] ».
Bien sûr, on pourrait prétendre que les Allemands gazaient des détenus dans des chambres à gaz de désinfection, mais, pour commencer, c’est là une accusation qui n’a jamais été sérieusement portée, ne serait-ce que parce qu’elle ferait apparaître chez les Allemands un esprit d’improvisation et un recours au bricolage qui seraient bien loin de la gigantesque entreprise d’extermination qu’on leur prête généralement sans avoir pu jamais la prouver par un document quelconque. Cela reviendrait aussi à dire que quiconque possède chez lui une hache a pu s’en servir pour tuer. De plus, aucun des prétendus témoins n’en a parlé.
Quant au terme de « Vergasung », il fourmille aussi bien dans les ouvrages allemands traitant de fours, et il est alors à prendre au sens de carburation, que dans les ouvrages traitant de désinfection par chambres à gaz, soit « simples », soit «avec circuit fermé» et, alors, il signifie gazage. Dans un message-radio du 22 juillet 1942 adressé sous la signature du général Glücks au camp d’Auschwitz on lit : « Par la présente, j’accorde l’autorisation d’effectuer le trajet aller/retour d’Auschwitz à Dessau (endroit où se livrait le Zyklon B) pour un camion de cinq tonnes, afin d’aller chercher du gaz destiné au gazage du camp… » Il faut toute l’impudence de nos exterminationnistes pour faire comme si la phrase s’arrêtait là et pour dire : voilà une preuve qu’on gazait les détenus d’Auschwitz ! Il serait manifeste, si la phrase s’arrêtait là, que le gazage en question est celui des bâtiments du camp et non celui des internés. Et comme, d’ailleurs, la phrase ne s’arrête pas là, autant en donner la fin, qui est « … pour lutter contre l’épidémie qui s’est déclenchée ». Le texte allemand donne : « Gas für Vergasung ».
On pourrait faire vingt autres suggestions à J.-C. Pressac. Par exemple, on pourrait le mettre en garde contre sa myopie. Le camp d’Auschwitz était un énorme ensemble et même Birkenau à soi seul constituait un tout qu’il fallait garder à l’esprit au moment d’en analyser tel ou tel détail. Si vraiment on exterminait des foules entières aux crématoires IV et V, comment expliquer qu’à deux pas de là se trouvait un ensemble de baraquements hospitaliers avec soixante médecins et trois cents infirmières qui soignaient les détenus malades ? Comment se fait-il qu’il y ait eu tant d’enfants à Birkenau, des enfants dont on retrouve encore les naïfs dessins à l’intérieur de certaines pièces ? Comment expliquer que dans L’Anthologie (bleue) d’Auschwitz, publiée par le Comité international d’Auschwitz, on puisse lire le rapport d’une sage-femme polonaise qui, sur trente-huit ans de carrière, avait, en l’espace de deux ans passés à Birkenau, accouché trois mille femmes juives et non juives, et cela, dit-elle, avec un taux de réussite exceptionnellement élevé ? Comment se fait-il qu’à leur arrivée à Auschwitz, le 27 janvier 1945, les Soviétiques aient trouvé des vieillards ou des enfants apparemment en bonne santé comme nous le montre le film alors tourné par leurs services ? Comment se fait-il que, vers 1965, les Polonais aient été en mesure de procéder à toute une série d’études médicales d’un grand nombre d’«enfants d’Auschwitz», c’est-à-dire d’adultes qui étaient nés dans le camp d’Auschwitz ou qu’on y avait concentrés avec leurs parents dès leur plus jeune âge ?[23]
Comment se fait-il que les services secrets alliés, disposant – on le sait aujourd’hui – d’innombrables renseignements sur Auschwitz pendant toute la guerre et possédant même des photographies aériennes prises lors de trente-deux missions aériennes au-dessus du camp et de ses environs, n’aient pas conclu un seul instant à l’existence de formidables abattoirs, avec foules humaines piétinant le sol à l’entrée des bâtiments des crématoires, aux cheminées infernales lançant jour et nuit des volutes de fumée et des langues de feu ? Nous possédons des analyses de photos aériennes ; on remarque que les analystes accordaient une importance particulière aux feux, aux vapeurs et aux fumées ; on essayait par là de savoir les résultats d’une activité industrielle ennemie ou les résultats d’un bombardement allié ; on voulait savoir si des locomotives ou des usines fonctionnaient ou non et en quelle quantité. On peut donc bien penser que, s’il avait existé quelques-uns de ces formidables brasiers humains mentionnés par Höss dans ses confessions ou décrits par Filip Müller dans ses mémoires protéiformes, ils n’auraient pas échappé à l’aviation alliée ; quelques brasiers n’auraient peut-être pas trop attiré leur attention, mais ces crémations gigantesques et répétées dans des fosses où, nous dit-on, on recueillait la graisse coulant des cadavres pour la reverser sur ces mêmes cadavres (sic, chez Höss et chez Müller), auraient immanquablement été repérées même à très haute altitude.
D’où vient que les très précises photographies aériennes publiées par les Américains en 1979 et dont on trouve un exemple dans le livre de S. Thion[24] ne montrent rien qui puisse laisser soupçonner l’existence d’immenses abattoirs humains, et tout qui puisse faire penser qu’Auschwitz n’était qu’un grand camp de concentration ?
J.-C. Pressac serait bien inspiré de se montrer moins crédule. Tout au long de son étude on croit sentir une personnalité fragile qui se réfugie dans le détail insignifiant pour ne pas avoir à regarder en face les gens et les choses. L’autorité lui fait peur. Ses audaces tournent court. Il s’en effraie lui-même et sagement, après avoir inquiété le maître par un brusque entêtement et une velléité d’indépendance, il regagne sa place avec, à l’adresse du maître, des éloges appuyés. Il répète sagement sa leçon et si, par exemple, on lui a dit que « l’ordre d’arrêt des gazages était arrivé à l’automne 1944 », il reprend l’affirmation à son compte et, s’il ne fournit aucune preuve, c’est parce qu’il n’en a pas demandé lui-même.[25] Magister dixit ; alors on s’incline. À la page 13 de sa thèse Le Système concentrationnaire nazi, Olga Wormser-Migot écrit : « Dernière remarque à propos des chambres à gaz: ni aux procès de Nuremberg, ni au cours des différents procès de zone, ni au procès de Höss à Cracovie, d’Eichmann en Israël, ni aux procès des commandants de camps, ni de novembre 1963 à août 1965, au procès de Francfort (accusés d’Auschwitz « de seconde zone »), n’a été produit le fameux ordre, signé de Himmler, du 22 novembre 1944, sur la fin de l’extermination des juifs par les gaz, l’ordre de mettre fin à la Solution finale ». Ajoutons qu’on aurait été bien heureux de le trouver, cet ordre ; il aurait en effet compensé l’absence totale d’un ordre de mise en marche de l’extermination des juifs. En revanche, les faits et les documents ne manquent pas qui prouvent par leur seule signification qu’un tel ordre n’a tout simplement pas pu exister.
L’étude de J.-C. Pressac est loin d’être inutile. Elle prouve d’abord qu’on peut être exterminationniste de bonne foi, ardent au travail et à la recherche, soucieux de mener à bonne fin un type d’investigation que méprisent beaucoup d’historiens chevronnés : je veux parler de l’investigation matérielle et sur place. Mais J.-C. Pressac, avec la meilleure volonté exterminationniste du monde, est parvenu à démontrer le contraire de ce qu’il entendait démontrer. Il a voulu prouver deux choses : 1° que les crématoires d’Auschwitz, avec leurs dépendances, n’avaient nullement été conçus dans une intention homicide ; 2° que les Allemands ont ensuite, néanmoins, utilisé ces crématoires et leurs dépendances à des fins homicides. Pour le premier point, la démonstration est probante, malgré d’incroyables gaucheries dans le maniement des idées et dans leur expression. Pour le second point, l’échec est total. Dans leur désarroi devant la montée et le succès des idées révisionnistes, les autorités du musée national d’Auschwitz et le Centre de documentation juive contemporaine de Paris s’en étaient remis à un jeune pharmacien enthousiaste et quelque peu naïf ; ils lui avaient ouvert toutes les portes (ou presque toutes les portes) ; malheureusement pour ces autorités et pour le jeune chercheur, ces portes donnaient sur le vide.
3 novembre 1982
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Notes
[1] J.-C. Pressac, « Les “Krematorien” IV et V de Birkenau et leurs chambres à gaz. Construction et fonctionnement », p. 91-131, Le Monde juif, n° 107, juillet-septembre 1982.
[2] Id., p. 93.
[8] B. Mark, Des Voix dans la nuit, Plon, Paris 1982.
[9] Id., p. 253.
[10] New York Times, 12 février 1944, p. 6, cité par A. Butz, The Hoax of the Twentieth Century, Noontide Press, Newport (Californie) 1979, p. 146 ; Dr Stefan Szende, cité dans Réponse à P. Vidal-Naquet de R. Faurisson, La Vieille Taupe, Paris 1982, p. 44-45 ; W. Laqueur, The Terrible Secret, Weidenfeld & Nicolson, Londres 1980, en note de la page 222.
[11] R. Faurisson, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 43.
[12] B. Mark, op. cit., p. 257-263.
[13] Republié dans S. Thion, Une Allumette sur la banquise, Le Temps Irréparable, Chalo-Saint-Mars 1993, p. 12-15. [NdE]