L’Affaire Faurisson vue de Clermont-Ferrand en 1980-1981

« L’Affaire Faurisson » a vraiment commencé, en France et à l’étranger, vers la fin de l’année 1978 et au début de l’année 1979. En France elle a donné lieu à de tels débordements de haine, à de telles vitupérations et condamnations que les universitaires – race, en général, d’enfants sages issus de parents sages – en ont été comme pétrifiés. Pour ma part, je me souviens que mes «chers collègues», sans exception, du jour au lendemain, m’ont totalement abandonné aux coups, physiques ou autres. Parfois, soucieux de se dédouaner parce qu’ils avaient été de mes amis, ils ont participé à l’hallali.

Le seul universitaire qui, à ce moment-là, a eu l’audace de me manifester quelque sympathie a été un professeur d’histoire, appartenant à une autre université que celles de Lyon. Un jour, il s’est rendu à mon domicile, à Vichy, il a sonné, j’ai ouvert ma porte et, là, je lui ai entendu me dire d’un seul souffle :

Faurisson, je viens te demander pardon parce que je me suis conduit comme un lâche et que je continuerai à me conduire comme un lâche.

Il a tenu parole et je le comprends.

Il faut avoir vécu ces temps héroïques où mettre en doute l’existence de la Sainte Trinité du prétendu Génocide des juifs, des prétendues Chambres à gaz nazies et des prétendus Six Millions de juifs exterminés paraissait le comble de l’aberration. Bien des gens de mon plus proche entourage m’ont à cette époque fait sentir leur gêne ou leur désarroi : je devais être fou ou nazi pour ainsi « nier l’existence des camps de concentration » (sic).

Pour être exact, je dois dire que, sous l’impulsion de Pierre Guillaume (qui n’était pas, lui-même, un universitaire) et de Serge Thion (qui appartenait au CNRS), il s’est trouvé quelques rares enseignants ou universitaires, parfois juifs, pour m’apporter leur soutien et puis… pour s’éclipser ensuite dans la nature.

Avant d’enseigner d’abord à la Sorbonne, puis à la Sorbonne Nouvelle-Paris III, j’avais été, de 1963 à 1968, professeur au Lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Parmi mes collègues se trouvait un jeune professeur de lettres qui, des années plus tard, au moment de mes tribulations, allait faire preuve, à deux reprises, d’un étonnant courage.

On pourra le constater à la lecture des deux articles ci-joints que j’ai retrouvés il y a quelque temps dans mes archives. Ces articles étaient signés du nom de leur auteur. Si je ne crois pas nécessaire d’indiquer ici ce nom, c’est que j’ignore ce que l’intéressé, trente ans après les avoir écrits, peut bien encore en penser. Je sais seulement qu’il est à la retraite et souffrant.

C’est égal : un athée notoire aura été, dans la partie la plus éprouvante de sa vie, défendu dans les colonnes d’un hebdomadaire catholique, Le Semeur-Hebdo. Plus tard, il frappera à la porte de l’Union des athées, une Union dont le statut prévoyait que tout le monde pouvait en faire partie et que personne ne pouvait en être exclu.

Las ! Malgré l’appui que j’ai pu trouver au sein de cette Union auprès de quelques esprits distingués, une cabale montée par le président est parvenue à chasser l’intrus. Le Statut a été changé et l’excommunication prononcée. Selon le mot de Pierre Guillaume, « Faurisson a été chassé de l’Union des athées parce qu’on l’a trouvé pas trop catholique ».

7 septembre 2011

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Le Semeur-Hebdo est une publication de l’Évêché de Clermont-Ferrand.

Le premier article ci-dessous (29 mai 1980) porte sur le livre de Serge Thion, Vérité historique ou vérité politique ? / Le dossier de l’affaire Faurisson / La question des chambres à gaz, 1980, 352 p.

Le second article (15 janvier 1981) porte sur le livre de Robert Faurisson, Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’Histoire / La question des chambres à gaz, précédé d’un avis de Noam Chomsky, 1980, xxiv-280 p.

L’auteur de ces deux articles obtiendra son doctorat ès lettres et sciences humaines en 1988 et, jusqu’à l’âge de prendre sa retraite, enseignera la langue et la littérature françaises dans une université de Clermont-Ferrand.

 

1. ROBERT FAURISSON : LE CHEVALIER RAJAX

Connaît-on dans le grand public « l’affaire Faurisson » ? Je ne sais. Quoi qu’il en soit et quoi qu’il m’en coûte, je considère comme un devoir de parler du livre Vérité historique ou vérité politique ?, édité par la Vieille Taupe.

De quoi s’agit-il ? Robert Faurisson est un professeur de lettres qui a émerveillé et surtout éveillé des générations d’élèves, puis d’étudiants. Il émane de son nom un fumet de scandale, ou du moins de provocation, parce qu’il n’a pas son pareil pour « récurer les textes ». Il y a en lui, sans le côté « concierge », la passion d’un Henri Guillemin, pour que les mots dégorgent leur sens et non celui qu’on veut leur prêter. Robert Faurisson (qui a écrit des textes percutants sur Rimbaud, Lautréamont, Nerval…) s’est spécialisé dans la critique des documents. Ses étudiants ont baptisé sa méthode « la lessive Ajax »[1].

Jusque là rien que de très louable : faire dire aux mots leur dernier mot, comme dit Audiberti, c’est salutaire ! Seulement, Faurisson, avec une rage de convaincre qui l’honore, mais qui agace certains, essaie de prouver que les chambres à gaz du nazisme n’ont pas existé ! Ce n’est pas une lubie : toute une école (dite « révisionniste ») s’évertue, preuves en livres, d’établir qu’il s’agit d’un mythe. Alors là, c’en est trop ! On traite Robert Faurisson de « nazi », de « fasciste », j’en passe et des plus dures. L’an dernier, toute une affaire de presse a excité différents milieux, au point que Robert Faurisson a été l’objet d’attaques, tant morales que physiques !

Le livre de Serge Thion fait scrupuleusement l’historique de « l’affaire » en montrant combien les mensonges ont été accumulés. Le problème est simple : Robert Faurisson fait une œuvre d’historien, il essaie de prouver sérieusement sa conviction, mais jusqu’à présent on ne prend pas la peine de lui répliquer honnêtement.

Je n’ai personnellement pas encore assez d’éléments pour juger du fond de la thèse (« les chambres à gaz n’ont pas été utilisées pour l’extermination massive des déportés »), mais je considère que toute tentative de discréditer une position avant même de l’avoir discutée est une attitude indigne. Je respecte profondément la douleur des déportés et des familles de déportés, mais je ne vois pas en quoi la recherche d’une vérité historique est d’avance une marque de dépravation humaine. Le livre de Serge Thion est un acte de courage.

Si l’on veut éviter le retour de quelque fascisme que ce soit, il convient d’être vigilant certes, mais non en utilisant les armes du totalitarisme.

Au fond, Faurisson est un maniaque de la vérité : peut-être se trompe-t-il, mais il est sûr qu’il ne cherche pas à tromper. Les kilos de documents qu’il a réunis le prouvent. Faurisson ne nie pas l’horreur nazie, il croit que « le mythe des chambres à gaz » n’ajoute rien à cette horreur. Qu’il y ait une pointe de délectation dans sa certitude n’est pas une injure envers les victimes du nazisme, mais la satisfaction d’avoir servi, quoi qu’il lui en coûte, l’approche de ce qu’il estime être la vérité historique.

2.  IL FAUT REPARLER DE ROBERT FAURISSON

Impossible de ne pas prendre parti dans cette affaire sans aborder les problèmes de façon personnelle, et sans révéler, au nom de la vérité, ce qui me conduit à mettre mon grain de sel dans une histoire trouble et mouvementée.

J’ai connu Robert Faurisson en 1968 et 1969 au lycée Blaise Pascal. Il était un excellent collègue, redoublant de vivacité d’esprit, de rigueur intellectuelle, et de non-conformisme salutaire.

Je connais un tout petit peu l’homme : c’est une forte individualité, tenaillée par le souci d’éclaircir les mystères ou les mensonges. Il traque inlassablement depuis vingt ans les à-peu-près, les falsifications, les mythes, tant en littérature que dans la vie. Quand d’autres se satisfont d’interprétations hâtives (souvent fautives), il va plus loin, ne négligeant aucun détail. Ses travaux sur Rimbaud, Lautréamont et Nerval (dont une thèse en Sorbonne) lui ont valu une renommée au parfum de scandale, dont il ne manque d’ailleurs pas de jubiler.

Pourquoi diable, disent certains, ne s’est-il pas contenté de ses chères lettres françaises ? Quelle mouche à fiel l’a piqué ? Qu’est-ce qui le fit courir en France et à l’étranger pour prouver que les « chambres à gaz » n’ont pas été utilisées à des fins d’extermination massive ? Qui peut sonder les reins et le cœur de Faurisson ? Je n’ai pas de réponse et ne vois guère comment violer ce secret. Ce que je sais, par contraste, c’est que Faurisson argumente avec des faits, avec des textes et qu’il contraint souvent ses interlocuteurs à remettre en question certains témoignages.

Je ne me passionne pas pour cette question des « chambres à gaz » en tant que telle mais pour « l’affaire Faurisson ». L’horreur nazie est insupportable même sans les « chambres ». Je m’excuse de faire cet aveu, mais j’ai tenu à manifester au lendemain de l’attentat de la rue Copernic. Si je parle de Faurisson ici ce n’est pas pour soutenir sa thèse mais seulement pour qu’on ne le juge pas sans le lire, pour qu’on ne l’accuse pas de vouloir falsifier l’histoire. Ce procès d’intention est indigne. Jusqu’à présent, c’est Faurisson qui accumule, semble-t-il, le plus de documents vérifiables. Il est l’un des rares à faire une scrupuleuse critique des témoignages. Peut-être est-il le seul.

Or voilà que sept associations d’antiracistes, d’anciens résistants et d’anciens déportés le traînent en justice et l’accusent de « falsifier l’Histoire ». Faurisson vient d’écrire, aux éditions de la Vieille Taupe, un mémoire en défense où il analyse, entre autres choses, comment on a dénaturé le journal de Johann-Paul Kremer, médecin à Auschwitz. Le témoignage dont se servent les accusateurs de Faurisson a été en fait l’objet de traductions douteuses ou tronquées.

Ce nouveau livre fait beaucoup parler de lui actuellement parce qu’il est préfacé par un linguiste juif américain de renommée mondiale, Noam Chomsky. Ce dernier, sans entrer dans le débat, prêche inconditionnellement la liberté d’expression. C’est une position courageuse.

Le grand tort actuel de Robert Faurisson est sans doute de s’être révélé prématurément. Les plaies laissées par le nazisme sont encore vives. Le temps d’écrire objectivement sur l’holocauste n’est pas venu. Voulant parler trop tôt de ses recherches critiques il a couru et attrapé le risque de l’incompréhension voire du mépris. Mais aurait-il seulement pu retarder ses révélations ! Ses recherches sentant le soufre, elles ont vite incommodé des hommes dont il faut respecter par ailleurs le destin douloureux et qui ont cru revoir surgir le spectre horrible du nazisme. Ces parents de déportés ont tout de suite condamné Faurisson. Leur réaction est compréhensible mais elle n’est pas forcément juste.

Surtout ne pas juger sans avoir écouté l’accusé.

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[1] Erreur : « la méthode Ajax ».