Maître Varaut au Procès Papon : la reculade de Bordeaux
Maurice Papon, et plus encore ses défenseurs, ont renoncé à utiliser un argument de poids pour leur défense : savoir, que l’Union générale des israélites de France (UGIF), qui dépendait de Vichy, avait contribué à l’internement et à l’acheminement de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris à la rafle du 16 juillet 1942. Ce qui signifie bien évidemment que l’on ignorait alors ce qu’on a nommé depuis la solution finale. Et ce qui donne une autre idée de la complexité de la politique de Vichy envers les juifs, du statut de ceux-ci sous l’Occupation, et des responsabilités de l’administration. Robert Faurisson nous écrit une lettre à ce sujet, que nous reproduisons bien volontiers, en y ajoutant nos titre et intertitres. Son opinion est qu’en criminalisant (pour des motifs tactiques ?) Vichy de manière simpliste, Jean-Marc Varaut a rendu immanquable la condamnation de son client.
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Les peines infligées à Maurice Papon ne devraient pas vous surprendre. Pendant six mois, son principal avocat, Jean-Marc Varaut, a exprimé l’horreur que lui inspirait le régime “criminel” de Vichy en même temps qu’il décrivait son client, haut fonctionnaire de ce régime “criminel”, comme un parfait innocent.
“Si c’était le procès de ‘Vichy’, répétait-il, “je serais partie civile” et il défendait un ancien haut fonctionnaire de “Vichy” ! À quel juré, à quelle personne de sens commun peut-on faire admettre un tel paradoxe ?
S’il faut en croire le compte rendu du Monde (2 avril), voici les termes que, dans sa seule plaidoirie du 31 mars cet avocat a utilisés au sujet de la politique de “Vichy” à l’égard des juifs de Bordeaux : “répulsion”, “honte”, “déshonneur”, “horreur”, “dégoût”, “étonnement”, “incompréhension”. Après un tel déferlement, comment remonter la pente ? Comment faire admettre aux jurés qu’un haut fonctionnaire a pu, sans se salir, rester au service d’un tel régime pendant plusieurs années ? Quand l’enfer est décrit sous de pareilles couleurs, à qui fera-t-on croire qu’un ange habitait cet enfer-là ?
Les juges et les jurés ont tiré la conclusion que M. Papon s’était forcément sali.
Relations distantes et courtoises
Les juges et les jurés ont certainement noté que J.-M. Varaut tenait à marquer physiquement ses distances d’avec son client et manifestait une étonnante cordialité avec la plupart des avocats de la partie civile. On a pu le constater à la télévision et la presse l’a relevé. Un journaliste du Monde a écrit en propres termes : “Jean-Marc Varaut aime à marquer quelques distances avec son client” (16-17 novembre) ; de son côté, un journaliste du Figaro a noté : “L’avocat entretient avec son client des relations distantes et courtoises” avant d’ajouter que “le tempérament consensuel” de Me Varaut lui a permis de partager “pendant neuf ans un cabinet avec Me Roland Dumas” (30 mars).
La presse nous a également appris que J.-M. Varaut redoutait l’intervention finale de son client (Le Monde, 10 mars). Et pour cause ! Dans cette intervention, M. Papon a été clair, courageux et franc ; il a dit au jury que les deux seules décisions possibles étaient soit la réclusion à la perpétuité, soit l’acquittement.
Mais comment aurait-il pu en quelques minutes convaincre les jurés ? Le mal était fait.
Pendant tout un procès long de six mois, et en particulier dans sa plaidoirie, J.-M. Varaut s’est prudemment abstenu de recourir à une bonne partie de l’argumentation, solide et efficace, qu’il avait annoncée deux ans auparavant dans un article du Monde intitulé : “L’affaire Papon n’est pas ce que l’on dit” (29 février 1996). À l’époque il écrivait :
[Le rôle de M. Papon] fut analogue à celui des délégués de l’Union générale des Israélites de France [UGIF] à Bordeaux qui assuraient l’intendance des convois, et bien moindre que ceux du chef [juif] du camp de Drancy et de ses cadres, juifs français qui assuraient le triage, le fichage et la composition des trains de déportés vers l’Est, qui distinguaient eux aussi pour privilégier les premiers, les juifs français et les juifs étrangers !
Au procès, J.-M. Varaut n’a pas vraiment ouvert ces deux boîtes de Pandore : soit celle de l’UGIF et des “juifs bruns”, soit celle de Drancy et du gouvernement de ce camp par les juifs (Robert Blum signait ses notes, y compris celles relatives à la préparation des convois de déportation : “Le lieutenant-colonel Blum, commandant le camp de Drancy”). J.-M. Varaut s’est abstenu de rappeler que l’UGIF avait participé à la préparation de la rafle du Vél’ d’hiv’ en juillet 1942. Dans son ardeur à noircir Vichy, il a grandement minimisé l’interposition de l’Etat français aussi bien dans les déportations des juifs que dans le règlement, en faveur des juifs, de conflits avec les autorités allemandes : par exemple, lorsque, à la suite d’attentats contre des soldats allemands, les juifs s’étaient vu infliger une amende d’un milliard de francs (soit un milliard et demi d’aujourd’hui), le Maréchal Pétain et Xavier Vallat étaient immédiatement intervenus pour faire verser cette somme par le Syndicat des banques, avec promesse de remboursement du total par l’UGIF… dans les 99 ans à venir ! Certaines sommités du Grand Rabbinat et du Consistoire central ainsi que des responsables d’autres organisations juives entretenaient d’excellentes relations avec le maréchal Pétain ou de hauts fonctionnaires de Vichy. Dans Le Monde juif (sept.-déc. 1996, p. 97), on lit sous la plume de Simon Schwarzfuchs : “On peut d’ailleurs considérer que les diverses communautés [juives de France] ne furent pas mécontentes du rôle joué par leurs rabbins durant l’Occupation ; la très grande majorité n’avaient pas songé à quitter leur poste pour la Suisse ou l’Espagne ni même pour la clandestinité. Les services religieux furent régulièrement célébrés partout où le nombre et la disponibilité des fidèles le justifiaient. À Paris, la plupart des grandes synagogues étaient restées ouvertes pendant toutes les hostilités.” Après la Libération, les juifs qui auraient dû tomber sous le coup de la loi pour collaboration avec l’ennemi échappèrent au sort commun et furent blanchis par des “tribunaux d’honneur” uniquement composés de leurs coreligionnaires. “À cette époque Léon Meiss [haut magistrat juif] dut […] s’occuper de la liquidation morale de l’UGIF : des jurys d’honneur eurent à connaître des reproches faits à certains de ses dirigeants. À la fin du compte, ils furent tous plus ou moins réhabilités. Il n’y eut pas d’épuration au sein du judaïsme” (Ibid., p. 100).
J.-M. Varaut aurait pu montrer que son client était poursuivi pour des “crimes” infiniment moins graves que ceux de l’UGIF qui, elle, ne s’était pas contentée de coopérer indirectement à des rafles et à des mises en camps de rétention ou de transit mais était allée jusqu’à livrer à l’occupant des enfants juifs pour leur déportation (Encyclopedia of the Holocaust, Yad Vashem, IV, p. 1538). On dit souvent que, sans la police française, les Allemands n’auraient pas pu mener à bien leur politique de refoulement de certains juifs vers l’Est ; mais ce qui était vrai de la police française était encore plus vrai de beaucoup de juifs français, y compris de la “police juive” de Drancy appelée parfois la “Gestapolack” ; ce sobriquet désignait les “M.S.” ou membres, masculins ou féminins, du “Service de surveillance intérieure” pourtant essentiellement composé de Français juifs (Maurice Rajfus, Drancy, Manya, 1991, p. 198).
J.-M. Varaut aurait même pu se dispenser d’écrire toute une partie de sa plaidoirie. Il lui aurait suffi de demander au département des Hauts-de-Seine communication des archives du Consistoire central ou de réclamer les archives des “tribunaux d’honneur” de 1944–1945 ; il y aurait certainement trouvé des éléments de défense et des arguments, déjà tout écrits, qu’il aurait pu utiliser à Bordeaux en 1997-1998 en remplaçant le nom de tel haut fonctionnaire juif par le nom de son client. Il aurait conclu par une question : “Quelle est cette justice qui permet d’absoudre un ‘crime’ à chaud et de le punir à froid un demi-siècle plus tard ? Est-ce la justice de la paille ou de la poutre ?”
Pourquoi cette “reculade” ?
J.-M. Varaut étant hostile au révisionnisme, on ne pouvait lui demander d’utiliser l’argumentation révisionniste mais pourquoi a-t-il renoncé en 1997–1998 à une défense classique qu’il annonçait en février 1996 et que les parties civiles redoutaient tant de le voir employer ? Je serais curieux de savoir s’il existe une raison précise à cette “reculade”…
Car J.-M. Varaut a “reculé”. Un avocat des parties civiles lui en a même fait la remarque. Un journaliste du Monde le rapporte (13 mars) :
Puis, [Me Blet] vilipende, par avance, les thèses de la défense : l’interposition de l’administration française dans les déportations des juifs. “C’est du révisionnisme !” Me Varaut ne bronche pas. La participation de juifs à la gestion du camp de Drancy ? “Vous atteignez l’ignoble !” Et puis : “Heureusement, vous avez reculé”. Me Varaut opine de la tête.
Effectivement J.-M. Varaut a trop souvent “reculé” et “opiné”.
Selon France-lnfo, M. Papon se verrait réclamer la somme de six millions de francs par ses avocats. J’ignore si, condamné par ailleurs à verser 4.600.000 F aux parties civiles il sera en mesure de payer son dû. Heureusement pour lui, J.-M. Varaut compte actuellement parmi ses clients de riches représentants de la communauté, en particulier Maurice Msellatti-Casanova et son fils Charles propriétaire du Fouquet’s (Libération, 2 décembre 1997).
Personnellement, malgré les graves divergences qui nous séparent, j’avais fait tenir à J.-M. Varaut bien des informations ou des documents propres l’aider dans la défense – classique et non révisionniste – de son client (en particulier, un texte que j’avais intitulé : Maurice Papon et Yves Jouffa : deux poids, deux mesures?). S’il n’en a pas fait usage, c’est de propos délibéré et pour des raisons que j’ignore.
9 avril 1998