Dans National-Hebdo, « Topoline » se réjouit – ou affecte de se réjouir – de ce que Jean-François Kahn ait « fait preuve d’un peu de bon sens » en 1990 à propos de l’affaire de Carpentras. Topoline cite un extrait de L’Événement du jeudi du 16 novembre 1995 où J.-F. Kahn déclare :
Lorsque L’Événement du jeudi écrivit [en 1990], au lendemain de la profanation de Carpentras, que le Front national [de Jean-Marie Le Pen], quelle que soit l’ampleur de ses turpitudes par ailleurs, n’y était probablement pour rien, ce n’était peut-être pas politiquement correct, mais c’était vrai. Et si on avait fait l’économie, à l’époque, d’un certain panurgisme hystérique, on ne lui aurait pas fait cadeau d’un argument susceptible, aujourd’hui, de lui faire recruter quelques nouveaux adeptes.[1]
J’ai eu la curiosité de me reporter à la livraison de L’Événement du jeudi à laquelle J.-F. Kahn fait référence. J’y ai constaté que, dans son éditorial, le responsable du magazine écrivait :
Il faut le dire sans complexe : il est fort improbable que ce forfait [la violation du cimetière juif] de Carpentras ait été commis par des adhérents ou des sympathisants du Front national. De ce crime contre la mort, mais de celui-là seulement, Le Pen est sans doute innocent […]. Voilà le paradoxe. Le Pen est coupable de l’avant et de l’après-Carpentras. Sans doute pas de Carpentras[2].
Mais, comme le donne d’ailleurs à entendre cette dernière phrase, il s’agit là d’une clause de style. En réalité, en 1990, J.-F. Kahn a saisi l’occasion de « ce forfait » pour se livrer à des attaques hystériques contre Jean-Marie Le Pen, Marie-France Stirbois, le Front national tout entier, Henry Coston, les révisionnistes et… Giscard d’Estaing.
À l’époque, en effet, sous sa signature et sous celles de Nicolas Domenach, Florence Assouline, Maurice Szafran, Jacques Derogy, Serge Faubert, Richard Bellet, Michel Winock et Jérôme Garcin, la profanation du cimetière juif de Carpentras était présentée, dans les termes les plus affirmatifs, comme la révélation, par excellence, du racisme et de l’antisémitisme français. Une caricature montrait Le Pen compissant un arbre à sept branches et la légende portait : « Is fecit cui prodest » (le coupable est celui à qui le crime profite). À onze reprises, un cartouche représentait un chien serrant un os dans ses crocs et dans ses babines sanglantes, ce qui était une façon comme une autre de dénoncer ce « chien de Le Pen » (Claude Sarraute), déterreur de cadavres. Un dessin représentait des mains tenant un soufflet à la «flamme tricolore» du Front national qui attisait un feu d’enfer où dansaient trois diables brandissant des fourches. Un autre dessin représentait un rat immonde se libérant de ses liens. Une caricature représentait Le Pen levant les bras au ciel et s’écriant : «C’est pas moi. J’ai rien fait ! J’ai juste donné l’idée ! »
À elle seule, cette caricature, qui reflétait le contenu de tous ces articles de 1990, y compris l’éditorial de J.-F. Kahn, inflige aujourd’hui un démenti au même J.-F. Kahn qui, en 1995, ose venir affirmer que son magazine avait, il y a cinq ans, fait preuve de clairvoyance en affirmant, au lendemain de la profanation de Carpentras, que le Front national, « quelle que soit l’ampleur de ses turpitudes par ailleurs, n’y était probablement pour rien ».
La page de couverture de L’Événement du jeudi en question portait alors : «Contre la lèpre antisémite, la déchéance raciste, la haine de l’autre : LA FRANCE ! », et cela sur un fond montrant une foule de manifestants dont tout donnait à penser qu’il s’agissait de la foule de Français qui, François Mitterrand en tête, avait manifesté contre Le Pen, sur la place de la République, à Paris. En réalité, J.-F. Kahn s’était permis une incroyable supercherie. Cette foule n’était pas française mais… allemande. On ne distinguait sur la photographie aucune kippa, aucun drapeau israélien, aucun mannequin représentant Le Pen en coupable mais beaucoup de têtes blondes et même le képi d’un agent de police allemand. J.-F. Kahn avait substitué à une vue de la manifestation place de la République à Paris une vue de la manifestation des Berlinois à l’occasion de la chute du mur de Berlin !
Pourquoi cette supercherie ? L’hebdomadaire Rivarol proposait une explication :
L’un des plus proches collaborateurs de Jean Kahn [président du Congrès juif européen ainsi que du Conseil représentatif des Israélites de France] aurait confié : « Kahn a exigé [pour la page de couverture] un cliché sans kippa pour faire croire à ces lecteurs que cette manifestation était surtout celle de Français. »[3]
En tout état de cause, J.-F. Kahn avait pris la décision de refouler une photographie de la manifestation de la place de la République à l’intérieur même de son imposant dossier (voy. p. 12), un dossier qu’inspirait vraiment, pour reprendre son expression, « un certain panurgisme hystérique ».
J.-F. Kahn devrait se relire. Il devrait aussi montrer un peu plus de souci pour la vérité des faits.
7 décembre 1995
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