Notes céliniennes
La Société d’études céliniennes a reçu de M. Robert Faurisson les notes suivantes qui sont une version rédigée d’interventions orales faites en marge des communications du colloque.
1. Les « données de mentalité »
Dans sa communication sur les « données de mentalité », M. Poli tente une mise au point sur les idées de Céline. Et il s’abstient de tout jugement. Je trouve qu’il a bien fait. Je constate en effet que Céline est souvent jugé sur des idées qu’il n’a seulement jamais eues. Et puis à quoi sert de juger ? M. Poli nous présente avec clarté le développement harmonieux d’une « mentalité ». Quelques points nous en étaient bien connus, mais encore fallait-il en trouver l’agencement, ainsi que le rapport avec des points beaucoup moins connus de cette « mentalité » : la notion d’«âme», par exemple, chez Céline. M. Poli y est parvenu. Il nous rappelle par ailleurs combien il serait intéressant d’étudier, chez ce cœur sensible et généreux et chez ce « rêveur bardique » qu’était Céline, le dégoût que lui inspirait, par-delà l’Église, le christianisme même.
2. La subtilité du racisme antijuif de Céline
Il serait étonnant que Céline manifeste dans ses idées politiques – fussent-elles racistes – une absence de cœur et une lourdeur d’esprit qu’on ne lui voit nulle part ailleurs. J’espère montrer, lors du prochain colloque, que l’antisémitisme de Céline, qui tient à la fois d’un racisme instinctif et d’une sorte de réflexion anticolonialiste, n’est pas dénué d’intelligence et de cœur. On peut, comme c’est son cas, être raciste sans se faire à proprement parler d’illusion sur la beauté, la force ou les vertus de sa race par rapport à d’autres races.
3. Une idéologie de « petit bourgeois » ?
Il est possible que, par certains de ses aspects, l’idéologie célinienne s’apparente à celle d’un «petit bourgeois», encore que le mot soit galvaudé et que je lui préfère celui de « poincariste » que nous suggère Trotski ou encore ceux de « hobereau déclassé ». Les deux pôles de l’idéologie célinienne me paraissent être l’égalitarisme et le racisme ; or, la mentalité du « petit bourgeois » répugne à l’égalitarisme et elle ne laisse pas vraiment de place au racisme en tant que tel. Céline, qui n’est ni « boutiquier », ni « bas de plafond », se situe en tout cas aussi loin que possible de l’esprit « poujadiste ». Il a trop parcouru le vaste monde pour cela et il a connu les aventures du cœur et de l’esprit : on le voit à chaque moment de son œuvre. Il est bien vrai que, dans ses pamphlets, il tient à mettre la « petite bourgeoisie » en garde contre une politique qui la conduit à la guerre et qui, en fin de compte, se révèle dangereuse pour ses intérêts de boutique, mais la France était peut-être, comme encore aujourd’hui, faite en majorité de « petits bourgeois ». S’adresser à ces derniers, c’était alors s’adresser à « la France ». Mais, de toute façon, Céline lance les mêmes avertissements aux paysans, aux ouvriers (« Putois Jules terrassier ») et aussi à la noblesse française qu’il considère pourtant comme pourrie jusqu’à l’os. Il sait trop bien que la guerre moderne ne fait plus de détail.
4. La « trépanation »
Où Céline a-t-il personnellement écrit qu’il avait été trépané ?
5. Bagatelles juives pour un massacre des Aryens ?[1]
Du point de vue de l’auteur, ce « massacre » est celui des Aryens. Il sera perpétré par la volonté des juifs. Ces derniers veulent provoquer une croisade contre Hitler. Ils font tout pour « nous filer au casse-pipe » mais, quant à eux, comme en 14, ils trouveront mille subterfuges pour essayer de se planquer. Énumérant cent turpitudes de la grande ou de la petite « musique juive », Céline les présente comme autant de « bagatelles juives », comme autant d’inoffensives babioles qui préludent à la grande boucherie, c’est-à-dire au massacre des Aryens. Cela en 1937. L’année suivante, dans L’École des cadavres, il mettra de nouveau les Aryens en garde contre la volonté juive de les dresser pour en faire des cadavres. Peine perdue ! Il ne sera pas écouté. L’Europe continentale – et non pas seulement la France – se trouvera vite dans de « beaux draps ».
6. « Alors tu veux tuer tous les juifs ? »[2]
À cette question de son confident Gustin, Céline répond que, si la guerre doit éclater, il faudra bien que les juifs “saignent”. (Il l’a dit et répété sur tous les tons, ce sera leur guerre.) Si, le moment venu, les juifs le poussent, lui, en première ligne, il les butera tous, ces « pousse-au-crime ».
7. « Luxez le juif au poteau ! »[3]
Céline n’a jamais préconisé le massacre des juifs. Cette phrase, dont on lui fait souvent le reproche, est l’objet d’un contresens. Elle signifie, non pas : « COLLEZ LE JUIF AU POTEAU [d’exécution] ! », mais… «COIFFEZ LE JUIF AU POTEAU [d’arrivée]!» La page d’où cette phrase est extraite porte en épigraphe : « S.O.S. » et commence en ces termes : « Plus de tergiverses ! Plus d’équivoques ! – Le communisme Labiche ou la mort ! Voilà comme je cause ! Et pas dans vingt ans, mais tout de suite ! »
Céline, en effet, appelle de ses vœux un communisme à la bonne franquette faute de quoi les Français connaîtront le communisme juif, marxiste ou stalinien. Il faut faire vite. Il faut coiffer le juif au poteau d’arrivée de la course au communisme. «Vinaigre! Luxez le juif au poteau ! y a plus une seconde à perdre ! C’est pour ainsi dire couru ! ça serait un miracle qu’on le coiffe ! une demi-tête !… un oiseau !… un poil !… un soupir ! … [4] »
8. Insouciance et jubilation céliniennes
« Ballet veut dire féerie ». À la fin de Bagatelles, dans le ballet de «VAN BAGADEN», Céline, comme il lui arrive souvent, entonne un hymne à la joie et à l’insouciance. Van Bagaden est un vieux tyran qui n’aime que l’or. Le pauvre Peter est son esclave soumis (soumis au point de prendre la défense de son maître qui l’a enchaîné). Mais le tyran va mourir dans son or. Le présent est tout à la joyeuse rébellion des mutines ouvrières, des marins, des ouvriers. Le livre se termine sur «toute cette joie, cette folie… l’immense farandole…» Les communistes du (théâtre) « Marinski » voulaient que Céline leur présente un ballet moins « archaïque » et plus « sozial » que « La Naissance d’une fée ». Eh bien, nous y voici! Avec le ballet de «VAN BAGADEN», ils auront du « sozial » et même de la « Révolution ». Mais à la manière de Céline. Vive la libération des travailleurs dans l’ivresse de la joie et de l’enthousiasme ! La tyrannie de l’or et du travail, souvent dénoncée dans le cours du livre, va prendre fin. Le communisme arrive, non pas celui – « concombres et délation » – du camarade Toutvabienovi(t)ch, mais celui – art, danse, musique et rythme – des « colonisés » qui se libèrent et retrouvent spontanément le lyrisme intime de la race. «Le Communisme doit être folie avant tout, par dessus tout Poésie», pourra-t-on lire dans L’École des cadavres.[5] On notera que la «libération» se situe dans cette Flandre chère au cœur de Céline.
9. La signification des trois arguments de ballet
Céline n’est pas clair quand, par opposition à l’art contemporain qualifié de «juif», il nous vante l’art du patrimoine aryen. Il ne fournit guère d’exemple de cet art qui serait sans doute « pudeur, musique, rythme, valeur ».[6] Les exemples des «Cromagnons – ces graveurs sublimes» – ou de Couperin laissent entendre qu’il recherche dans l’art une forme d’ingénuité et de raffinement authentique qui paraissent à jamais perdus. Et pourtant, le retour aux sources n’est peut-être pas impossible. Je suis tenté de croire qu’aux yeux de leur auteur les trois arguments de ballet constituent des exemples d’un art « aryen » rénové ou restitué. Ceux-ci ne seraient pas de simples divertissements conçus pour alléger une œuvre de caractère principalement politique, mais ils serviraient ce dessein politique. Tristes ou gais, mais toujours passablement ingénus (et peut-être même d’une ingénuité volontairement appuyée), ils se proposeraient en exemples de ce « ton personnel, racial et lyrique »[7] dont les Français, abrutis et dénaturés, devraient apprendre à retrouver le goût. En ce sens, et si l’on veut bien se rappeler qu’en musique le mot de « bagatelle » désigne une composition courte et légère, on pourrait dire que les arguments de ballet de « La Naissance d’une Fée » et de «Voyou Paul. Brave Virginie» sur lesquels s’ouvre le livre, ainsi que l’argument de ballet de «VAN BAGADEN» sur lequel termine l’auteur, sont des «bagatelles» aryennes, aussi typiquement françaises que le rigodon par exemple, et opposables en tous points aux sinistres « bagatelles » d’une « musique juive » qui, selon l’auteur, n’est, elle, qu’un prélude à « l’immense tuerie prochaine ».[8]
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Notes
[1] Sur le sens à donner au titre de Bagatelles pour un massacre on pourra consulter le livre (30e édition) aux pages 86, 124, 133 et 134, 182, 200, 203, 225, 240, 244, 250, 260, 262, 269, 272, 278, 281, 297, 299, 323, 324…
[2] Céline, Bagatelles pour un massacre, aux pages 318 et 319.
[3] Céline, Les Beaux Draps, aux pages 197 et 198.
[4] Le mot de « luxer » appartient à l’argot des carabins. G. Esnault, dans son Dictionnaire des argots, en propose la définition suivante : « Remplacer par un autre, de droit, dans sa fonction (externes des hôpitaux, 1867), un invité absent à table (étud., 1903). ÉTYM. c.-à-d. «déboîter ; cf. allemand vertreten (luxer le pied), remplacer par quelqu’un».
[5] Céline, L’École des cadavres, p. 132.
[6] Céline, Bagatelles pour un massacre, p. 183.
[7] Id., p. 176.
[8] Id., p. 133.
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[Extrait de Céline, Actes du colloque international de Paris (27-30 juillet 1976), Paris, Société d’études céliniennes, 1978. Voy. aussi, dans Écrits révisionnistes (1974-1998) vol. I, p. 315 et 322 et vol. II, p. 483 et 927.]