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Une page de Céline sur Harvey et Galilée

Au début du XVIIe siècle, presque simultanément, le Toscan Galilée et l’Anglais Harvey ont publié leurs découvertes respectives, l’un dans le domaine de l’astronomie et l’autre dans celui de la physiologie. Tous deux ont été châtiés de leur témérité. Selon la tradition, le premier passe pour avoir résumé sa scandaleuse pensée en quatre mots : « E pur si muove » (Et pourtant elle se meut) tandis que le second aurait condensé sa non moins scandaleuse découverte en dix pages ; il faut dire que ce dernier avait aussi eu l’audace de poser l’axiome « Omne vivum ex ovo » (quatre mots là encore, qui signifient que tout être vivant provient d’un œuf).

Céline évoque leur mémoire à la toute fin de ses Entretiens avec le Professeur Y (1955). Dans ce qu’il appelait « mon mémoire façon d’interviouve », où il condense magistralement sa pensée sur l’art et la vie, il note avec finesse que le fait même de résumer au lieu d’exposer constitue un défi de plus à l’autorité qui déjà s’alarme de l’audace de votre thèse. Résumer, c’est manifester de l’assurance. C’est donner à entendre qu’on maîtrise son sujet. C’est frapper. Or il y a péril à défier ainsi l’autorité. Mais écoutons Céline :

Tout considérant… humblement… le mémoire d’Harvey faisait dix pages, en latin, sur la « Circulation du Sang »… lui qu’était coté, honoré, favori du roi… d’un jour à l’autre plus un client !… sa maison ravagée et tout !… le monde entier contre lui !… pour un petit écrit de dix pages ! alors ? alors ?… il faut se méfier de faire trop court… et Galilée donc !… quatre mots ! qu’est-ce qu’il a pris !… comment qu’il a dû s’excuser !… pour ses quatre mots !… s’agenouiller !… je me relis moi là, il faut se relire !… il faut se méfier de faire trop bref… tout mon mémoire façon d’interviouve… on se relit jamais assez !… oh !… oh !… non… non ! tout de même… ça peut pas aller si loin… je le dis ! ce n’est pas de telle importance… [FIN]

 

Pour mon humble part, ce n’est ni en quatre mots ni en dix pages que j’ai résumé ma propre thèse mais en une phrase de soixante mots que j’ai prononcée devant Ivan Levaï, en décembre 1980, à Radio Europe N° 1.  Cette phrase, dont j’ai conscience de ce que j’aurai à en porter le poids pour le restant de mes jours, je l’assume.

14 février 2008