|

À France Soir, sur une photo aérienne d’Auschwitz

En première et dernière page de votre livraison du 21 janvier, sous le titre «Auschwitz : la preuve», vous vous êtes fait l’écho d’une rumeur aux proportions internationales. Vous avez été doublement abusé.

D’abord, ces photographies aériennes d’Auschwitz n’ont rien d’un scoop ; on en connaît l’existence et la nature depuis un quart de siècle. En février 1979, la CIA, sous les signatures de Dino A. Brugioni et de Robert G. Poirier, avait publié un opuscule intitulé The Holocaust Revisited, où certaines de ces photographies étaient reproduites et commentées; la première de ces photographies ressemble comme une sœur à celle que vous avez vous-même présentée à vos lecteurs. Dans sa livraison de janvier-mars 1980, Le Monde juif, revue du Centre de documentation juive contemporaine, avait, à son tour, publié la version française de l’opuscule américain sous le titre « Auschwitz à vol d’oiseau ». Enfin, tout chercheur a pu, dès 1980, consulter aux Archives nationales américaines l’ensemble des photographies qui, au cours de 32 missions au-dessus du secteur d’Auschwitz, avaient été prises par l’aviation alliée (en fait, surtout par une unité sud-africaine sise près de Bari, en Italie). La section des archives dirigée à l’époque par Robert Wolfe contenait aussi des photographies prises par l’aviation allemande après l’évacuation du camp.

Ensuite, vous avez également été abusé par les prétendus éclaircissements que les «découvreurs» ont cru devoir apporter à ces photographies. Vous avez repris à votre compte leurs spéculations, plutôt confuses, sur « la fumée s’échappant de l’incinérateur d’Auschwitz », qui devient « la fumée s’échapp[ant] des bâtiments de gauche » pour se transformer, enfin, en des « fumées s’échappant de ces fosses que nous voyons ». Vous parlez aussi d’une « file d’attente » de « suppliciés », qu’on ne voit pas mais que, paraît-il, on verrait si la photographie était agrandie.

Bref, je pense qu’il faut être plus prudent et plus soucieux de clarté et d’exactitude que vous ne l’avez été.

Complément (à ne pas publier): Vous devez pouvoir retrouver dans vos archives des années 1979-1982 mention de ces photographies aériennes. Quant aux « preuves », je vous renvoie à la position de Simone Veil telle que vous l’avez vous-même rapportée : « Chacun sait que les nazis ont détruit ces chambres à gaz et supprimé systématiquement tous les témoins » (France-Soir Magazine, 7 mai 1983, p. 47).