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Lettre à Mme Alice Saunier-Seïté, ministre des Universités

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A ma suspension de droit allait alors succéder une suspension de fait parfaitement illégale. La situation l’exigeait puisqu’on se déclarait incapable d’assurer le déroulement normal de mes cours. Le patron m’envoyait, le 29 janvier 1979, une lettre recommandée pour m’accuser de lâcheté (je n’avais pas osé affronter mes «contradicteurs», disait-il) et pour me faire savoir qu’un collègue assurerait mon cours de licence « jusqu’à la fin de cette année ».
 
Tous ces événements se produisaient alors qu’allait s’ouvrir la succession de notre patron socialiste à la tête de l’université Lyon-II. Un candidat se présentait parmi d’autres : mon directeur d’UER, avec lequel il était de notoriété publique que j’entretenais jusque-là d’excellentes relations. Mais l’ambition peut conduire à des égarements. Le nouveau candidat à la présidence faisait savoir publiquement que, dans mon affaire, il épousait les vues de l’ancien président. Il allait même plus loin. Il publiait dans un hebdomadaire de tendance socialiste un très long article, puis un texte en réponse à ma réponse, où j’étais présenté comme un homme médiocre, comme un enseignant ayant reçu autrefois non pas un « blâme » mais – nuance ! – des « reproches verbaux » pour de prétendus propos antisémites. Cette pure affabulation s’accompagnait d’une insinuation plus perfide et plus grave : on insinuait que j’étais un professeur qui avait déserté son poste et qu’on payait à ne plus rien faire.
 
J’élevais une vigoureuse protestation contre cette ignominie. On me proposait alors d’essayer de reprendre mes cours pour les deux dernières séances de l’année, soit le 7 et le 14 mai [1979]. J’acceptais immédiatement cette proposition sans égard pour les risques que j’aurais peut-être une fois de plus à courir.
 
Malheureusement, par un fait dont j’aimerais bien avoir l’explication, les manifestants étaient mis au courant de mon retour. Une fois de plus, le 7 mai, ils envahissaient les lieux et s’y déplaçaient comme à demeure. Comme d’habitude, aucun contrôle de cartes n’était même tenté à l’entrée de ma salle de cours, où je ne pouvais d’ailleurs accéder ce jour-là. Le 14 mai, les manifestants revenaient sur place. Cette fois-ci enfin, pour la dernière séance de l’année, on se décidait à pratiquer un contrôle des cartes. Je pouvais faire cours mais seulement à une étudiante, car une seule étudiante avait pu franchir le barrage des manifestants. C’est sur ce nouvel échec que se terminait une année universitaire où je n’avais pu, en fin de compte, donner que trois cours de licence : les 6 et 13 novembre [1978] et le 14 mai [1979]. Pour ce qui est des autres enseignements (cours de maîtrise et de certificat C 2), c’est clandestinement que j’ai pu les assurer dans l’arrière-salle d’un café de la ville à un petit groupe d’étudiants courageux.
 
Ce n’est pas vous, Madame, qui allez vous soucier de prendre ma défense.
 
Mon avocat a cherché à vous saisir de mon affaire quand il est devenu évident que les autorités de Lyon-II étaient incapables de la résoudre. A la même époque je crois savoir que les autorités de police vous ont fait savoir que j’étais en danger de mort. Vous êtes restée totalement insensible aux appels qui vous étaient lancés. Vous avez fait répondre qu’il nous fallait passer par la voie hiérarchique, c’est-à-dire par le recteur. Mais vous saviez que le recteur nous avait depuis longtemps déclaré qu’en vertu du principe de l’autonomie des universités il ne pouvait intervenir dans cette affaire.
 
Tout cela est dans l’ordre des choses. Je ne vois là ni complot, ni conjuration, mais un conformisme de fer. Aussi longtemps que j’ai paru rester dans le rang, j’ai été, paraît-il, un « très brillant professeur », un «chercheur très original», une «personnalité exceptionnelle». Du jour où j’ai heurté le tabou des «chambres à gaz», ma situation professionnelle est devenue intenable. Aujourd’hui, je me vois contraint à solliciter de votre haute bienveillance ma relégation dans l’enseignement par correspondance.
21 mai 1979