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Lettre à l’abbé Curzio Nitoglia : “Pie XII a choisi Staline”

Monsieur l’Abbé,

La lettre que vous m’avez adressée ce 25 octobre me confirme dans mes craintes et même les aggrave.

Je vous faisais déjà le reproche de répondre à des faits par des sentiments.

Je vous disais que Pie XII, durant l’été 1941, ayant à choisir entre Hitler et Staline, avait choisi Staline. Il l’avait fait à la demande expresse de Roosevelt. Voulant éviter l’accusation de partialité – car c’était prendre parti dans un conflit – le pape avait donné pour instruction de procéder discrètement et par une voie indirecte. C’est ainsi que, le 20 septembre 1941, sous la forme d’une lettre SIGNÉE de Mgr Tardini, la Secrétairerie d’État (Mgr Maglione) adressait à Mgr Cicognani, délégué apostolique à Washington, une INSTRUCTION, telle que Mgr Maglione l’avait énoncée à Myron Taylor, représentant personnel de Roosevelt auprès de Pie XII. Selon cette INSTRUCTION, il fallait maintenant faire comprendre aux catholiques américains la subtilité suivante : certes, dans l’encyclique Divini Redemptoris, le prédécesseur de Pie XII avait bien, en 1937, condamné le communisme comme étant “intrinsèquement pervers” mais il n’avait jamais condamné la Russie ou le peuple russe. Par conséquent, le Vatican ne voyait pas d’objection à ce que Roosevelt fournît une aide économique et militaire à Staline. Car aider ainsi Staline, ne revenait pas à se porter au secours d’ un sanglant dictateur athée, destructeur d’églises, mais c’était venir à l’aide de la Russie ou du peuple russe. Grâce à Pie XII le président des États-Unis neutraliserait ainsi dans son pays la vive opposition de l’électorat catholique et de ses représentants politiques et religieux qui, à l’époque, répugnaient à soutenir Staline d’une manière ou d’une autre. Pie XII, cependant, ne voulut pas rendre publique cette subtilité. Il décida que ni l’Osservatore Romano ni Radio Vatican ne s’en feraient l’écho. En conséquence, après ladite subtilité, on eut recours à l’expédient que voici. Sur ordre du Vatican, Mgr Cicognani appela à Washington Mgr McNicholas, archevêque de Cincinnati, et le mit au courant des INSTRUCTIONS du pape. L’archevêque américain s’exécuta. Il expliqua aux catholiques américains que la condamnation du communisme par la fameuse encyclique ne s’appliquait pas en la circonstance. Cela se passait en octobre 1941. Six semaines plus tard, avec Pearl Harbour, les États-Unis et l’Union soviétique devenaient, par la force des choses, alliés dans la guerre contre l’Axe. Mgr Maglione (deuxième personnage du Vatican) l’avait donc ainsi emporté auprès du pape contre Mgr Tardini (troisième personnage du Vatican). Ce dernier avait estimé que le subtil distinguo faisait la part trop belle à la THÉORIE et négligeait la PRATIQUE. Je cite là-dessus le Père Pierre Blet qui expose en ces termes la position de Tardini : “Certes, en THÉORIE, aider le peuple russe à gagner la guerre ne signifie pas défendre la doctrine communiste et l’athéisme militant. Mais en PRATIQUE, ‘si les Russes gagnent la guerre, la victoire est celle de Staline ; personne ne pourra plus le détrôner. Et Staline, c’est le communisme, le communisme victorieux, c’est le communisme maître absolu du continent européen'” (p. 144). Avouez que Tardini voyait assez clair. Il n’empêche que, comme je l’ai dit plus haut, c’est à lui qu’incomba la charge d’instruire Cicognani dans le sens souhaité par Maglione et exigé par le pape. Tardini était une sorte de ministre des affaires étrangères tandis que Maglione était une sorte de premier ministre.

Dans ce résumé, je m’inspire largement – et parfois même mot à mot – du développement d’environ neuf pages que le Père Blet a consacré à ce sujet dans son livre sur Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d’après les archives du Vatican (Perrin, 1997, p. 138-146). Vous verrez plus loin pourquoi je m’en réfère au Père Blet et non aux pièces mêmes reproduites dans les douze volumes des ADSS.

En attendant, notez en quels termes le Père Blet clôt ce développement. Il écrit : “Cette circonstance [l’entrée en guerre du Japon, de l’Allemagne et des États-Unis] restreignait dans la pratique la portée des INSTRUCTIONS romaines envoyées aux prélats d’Amérique, mais cela ne diminue pas l’intérêt que présente la DÉCISION de Pie XII de lever les scrupules des catholiques américains devant la politique de Roosevelt” (p. 146).

Les FAITS ont donc été les suivants : Roosevelt a demandé à Pie XII une DÉCISION qui lui permettrait de venir en aide à l’URSS contre l’Allemagne. Pie XII a acquiescé. Il a pris la DÉCISION conforme à la demande de Roosevelt et il a envoyé des INSTRUCTIONS en ce sens, lesquelles ont été suivies d’EFFET.

À ces FAITS vous avez, en un premier temps, répondu par ce que j’appelle des sentiments ou encore des spéculations essentiellement psychologiques. Personnellement, je ne m’engagerai pas sur ce terrain. Je laisse à d’autres le soin d’imaginer les pensées profondes ou les arrière-pensées du pape.

Nous en étions là de notre discussion quand j’ai eu la surprise de recevoir votre lettre du 25 octobre où vous croyez, cette fois-ci, m’apporter des FAITS. Vous y joignez un article en italien du Père Blet en date du 20 juillet, dont vous m’envoyez les pages 122-123. Mais, dans cette page et demie, le Père Blet ne fait que résumer ce qu’il avait déjà exposé dans les quelque neuf pages de son livre et que je viens de vous rapporter ! Or, dans ma lettre du 2 octobre, je vous en avais précisément déjà donné la référence. Je vous avais déjà écrit : “Ses pages 138-146 sont claires et la dernière phrase est sans ambiguïté”. Je vous citais même déjà cette phrase de la page 146 que je viens de vous répéter ci-dessus. Je me permets donc de vous dire ma surprise. Vous ne semblez pas être allé consulter les pages 138-146 et vous ne paraissez pas avoir lu avec soin ma lettre du 2 octobre.

Mais il y a mieux ! Vous avez souligné certains mots de l’article du Père Blet. Le choix de vos soulignements est étrange. Pour Tardini, vous avez souligné “in teoria” mais vous n’avez pas souligné “in pratica“. Autrement dit, vous insistez sur ce que Tardini tient pour vue théorique et vous négligez ce qu’il considère comme une réalité pratique !

Encore mieux ! Dans votre lettre, vous écrivez : “… le 20 septembre Tardini signe une lettre qui donne la même [mot souligné par vous] interprétation que Maglione sur Divini Redemptoris et la guerre des USA contre l’Allemagne”. Cela revient à dire que, du simple messager et du simple exécutant vous faites quelqu’un qui, renonçant à son idée première, en serait venu à exprimer une idée diamétralement opposée à celle que nous lui connaissions ! Le Père Blet, lui, avait pourtant été explicite : “Sous la date du 20 septembre, et sous la forme d’une lettre signée de Mgr Tardini, la Secrétairerie d’État [Mgr Maglione] adressait au délégué apostolique de Washington [Mgr Cicognani] une instruction qui contenait l’interprétation authentique de l’encyclique Divini Redemptoris, telle que Maglione l’avait énoncée à Taylor : le pape [Pie XI] a condamné le communisme, non la Russie” (p. 144). Vous avez bien lu : Tardini n’a fait que SIGNER une lettre de Maglione et contenant l’opinion de Maglione, à laquelle Pie XII s’était rallié. Vous n’êtes donc pas en droit d’affirmer que Tardini signe une lettre où il exprime “la même interprétation” que Maglione !

J’espère que vous comprenez maintenant pourquoi je me suis borné à invoquer le livre du Père Blet. C’est que vous avez, vous-même, choisi d’invoquer cet auteur.

Et vous comprenez aussi pourquoi, au début de ce message, je vous ai dit que votre dernière lettre confirmait mes craintes et même les aggravait. Non seulement vous ne m’avez pas apporté de FAITS mais, à ce qui me semble, vous ne m’avez pas lu avec attention et vous avez, nolens volens, présenté la position de Tardini de façon contraire à la vérité des textes.

Veuillez recevoir, je vous prie, mes salutations.

Robert Faurisson, 1er novembre 2002