Lettre à Ernst Nolte

Mon cher collègue,

Vous avez remarqué que, dans ma lettre du 27 septembre, j’ai pris soin de n’engager aucune discussion, ni sur le contenu de votre livre ou de vos interviews, ni sur aucun point de votre propre lettre du 30 août.

Réflexion faite, j’ai pensé qu’il était imprudent de ma part de vous adresser une telle lettre sans procéder, pour le moins, à une mise au point pour la postérité. Vu le train où vont les choses, la postérité me jugera et peut-être vous jugera-t-elle aussi. Je ne veux pas qu’on puisse affirmer un jour qu’après avoir lu votre Streitpunkte j’ai négligé de vous signaler une grave erreur que vous y avez commise à mon préjudice.

Je veux parler de ma phrase de soixante mots.

Déjà, le 16 mars 1993, ma sœur vous avait mis en garde. Elle vous écrivait alors :

Monsieur le professeur,

Permettez-moi de vous dire que vous avez commis une très grave erreur dans votre transcription de cette phrase. Vous avez, en effet, oublié [après le mot “mensonge”] un mot essentiel : le mot “historique” ! C’est extrêmement grave et j’insiste beaucoup sur cette gravité. En effet, un “mensonge” laisse entendre qu’il y a des menteurs. Or, jamais Robert n’a écrit que les juifs avaient menti dans cette affaire ! En revanche, un “mensonge historique” est tout autre chose et ce n’est pas à un historien comme vous que j’expliquerai la différence.

Personnellement, je mettrai les points sur les «i» et, pour être clair, je reprendrai ici la comparaison que vous avez lue sous ma plume et que j’ai souvent utilisée devant les tribunaux français et canadiens (pour ces derniers, il existe une transcription littérale des débats) : ceux qui affirment que Néron a incendié Rome et qui propagent cette affirmation comme s’il s’agissait d’une vérité historique ne sont certes pas des menteurs ; ce sont des moutons de Panurge, des chiens de Pavlov, des perroquets, des victimes d’un mensonge historique ou, si vous préférez ce néologisme d’intellectuel, d’un «mythe». Plus on avance dans le temps ou dans l’histoire, plus le nombre et, parfois, la conviction des victimes s’accroissent ; vous connaissez le raisonnement cher aux colporteurs de ragots : « Il n’y pas de fumée sans feu ». C’est ainsi qu’un simple mensonge ou une rumeur deviennent historiques. Les livres d’histoire en sont pleins.

Il suffit, d’ailleurs, d’un peu d’attention auditive pour se rendre compte que ma phrase est faite d’éléments qui s’appellent et se répondent l’un l’autre. J’ai tenu à conférer au début de cette phrase tout son poids d’histoire avec les trois mots suivants que je souligne pour la circonstance :

Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge historique […] 

Hitler…, les juifs…, l’histoire… Sans jeu de mots, il me semble qu’il y a là toute l’histoire dont nous débattons. Si vous supprimez l’adjectif d’« historique », vous retirez à tout ce début son poids d’histoire et vous m’attribuez une phrase qui est boiteuse.

Certes, lorsque je parle ou que j’écris, il peut m’arriver d’éviter l’emploi, à chaque fois, de l’adjectif «historique». Je ne vais pas assommer mon lecteur ou mon auditeur avec le binôme lancinant de «mensonge historique», mais soyez assuré que le contexte le plus direct est là pour leur faire entendre que «mensonge» signifie alors « mensonge historique ».

J’ai, par ailleurs, le droit d’être lu avec un minimum d’attention, surtout par un homme que le mot même d’«historique» ne saurait normalement laisser indifférent.

Je suis à votre disposition pour les références, si vous les désirez.

Cette mise au point, je le répète, me paraissait nécessaire pour l’avenir, et même pour le proche avenir.

2 octobre 1993