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Les cheveux d’Auschwitz

Une certaine Ruth Abram-Rosenthal vient d’écrire dans le journal hollandais Handelsblad NRC du 6 mars 1982, sous le titre « En Pologne l’antisémitisme continue de vivre » :

Des écoliers qui visitent les anciens camps de concentration tels ceux de Treblinka, Birkenau et Sobibor reçoivent des brochures où ils peuvent lire que les gazages sont des inventions juives. On suggère aux enfants, lors d’une visite prochaine chez le coiffeur, d’envoyer leurs cheveux coupés à l’instance commémorative d’Auschwitz pour que celle-ci puisse les ajouter à sa fallacieuse collection de cheveux.

 

Personnellement, pour des raisons que je n’ai pas envie de développer ici, je dirais que la journaliste hollandaise a été la victime d’une provocation ; ou peut-être sait-elle fort bien qu’il s’agit d’une provocation et que cela l’arrange de chercher à nous faire croire que des antisémites polonais seraient à l’œuvre.

En revanche, ce qui est sûr, c’est que la collection de cheveux présentée derrière l’une des vitrines du musée d’État d’Auschwitz est bel et bien fallacieuse. En effet, tout ou partie de ces cheveux rassemblés en 1945 ne venait pas des camps d’Auschwitz ou de Birkenau mais… d’une usine de tapis et peluches, sise à Kietrz ! Cette ville de Kietrz se situe, à vol d’oiseau, à environ quatre-vingt-dix kilomètres à l’ouest d’Auschwitz, à proximité de la frontière tchécoslovaque. Une expertise polonaise du 27 mars 1947 portant sur quatre kilos deux cents de cheveux saisis dans cette fabrique permettait de découvrir des traces d’acide cyanhydrique dans des cheveux ainsi décrits : « de teintes peu variées : blond foncé, châtain pour la plupart, certains légèrement grisonnants ». Cette présence d’acide cyanhydrique était normale puisque, aussi bien, l’usine devait désinfecter les cheveux avant d’en faire des tapis ou des peluches et que les Allemands, comme beaucoup d’autres peuples, avant et après la guerre et encore aujourd’hui, utilisaient ou continuent d’utiliser le Zyklon B (qui est un absorbat d’acide cyanhydrique) quand il s’agit de désinfecter quelque matériau que ce soit et surtout des cheveux, avec leurs impuretés, leurs poux et leurs lentes. Mais le fameux juge d’instruction Jan Sehn, de Cracovie, célèbre pour avoir interrogé Rudolf Höss et bien d’autres Allemands responsables du camp d’Auschwitz, s’empressa d’y voir une preuve de crime. Il fit saisir ces cheveux et les proposa au directeur du musée d’Auschwitz qui les accepta. De Cracovie, le 6 mai 1947, Jan Sehn écrivait à la Commission centrale d’investigations sur les crimes allemands en Pologne (lettre n° 366-47) :

Je considère comme le moyen le plus sûr d’assurer la conservation de ces cheveux leur remise au musée national d’Auschwitz, ce qui garantira leur conservation dans l’état dans lequel ils se trouvent actuellement et permettra pendant longtemps de s’en servir, si besoin est, comme preuve matérielle [contre les accusés].

Je me suis entendu à ce sujet avec M. Wasowicz, directeur du musée, qui s’est déclaré prêt d’en assurer, par ses propres moyens, le transport de Kietrz à Auschwitz pour les garder, d’une part, comme objets d’exposition, et, de l’autre, comme éléments de preuves susceptibles de servir à l’ avenir.

 

Et c’est ainsi, pensera le touriste d’Auschwitz, que la magnifique tresse blonde qui trône au milieu du tas de cheveux qu’on lui présente aujourd’hui comme ayant appartenu à des femmes «gazées» peut très bien avoir appartenu à une Silésienne allemande qui aurait sacrifié sa chevelure à l’effort de guerre allemand.

De toute façon, ces étalages muséographiques de cheveux, de lunettes, de blaireaux, de chaussures, de béquilles n’ont pas grand sens. Dans toute l’Europe en guerre, chez tous les coiffeurs, on faisait de la récupération de cheveux. On « récupérait » d’ailleurs et on rassemblait dans toutes sortes de dépôts toutes sortes de matériaux ou d’objets. Dans les usines, dans les prisons, dans les camps de travail ou de concentration, on utilisait une main-d’œuvre considérable pour le traitement ou le retraitement de ce qu’on avait récupéré. Certains camps de concentration contenaient de véritables usines de fabrication de chaussures ou de vêtements. Aujourd’hui, le touriste abusé se voit présenter tous ces objets comme autant de preuves de la barbarie allemande. Il est sûr que certains de ces objets ont pu appartenir à des internés dépouillés après leur mort. Mais il en allait de même pour les dépouilles des populations civiles allemandes recueillies, après chaque bombardement, par des équipes d’internés conduites sur les lieux à déblayer. Il en allait de même pour les dépouilles des soldats allemands concentrés dans des dépôts militaires.

L’Allemagne était engagée dans un formidable conflit et subissait un blocus presque total. On essayait de gâcher le moins possible et de récupérer le plus possible.

Mais le touriste est si facile à tromper. Pourquoi ne pas en profiter ? C’est un rêveur. Nourrissons ses rêves, n’est-ce pas, surtout s’ils sont malsains. D’Auschwitz, qui fut un lieu de souffrances et de drames, les communistes polonais ont fait une sorte de Disneyland.

12 mars 1982