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L’Affaire Notin

Bernard Notin, 40 ans, marié, cinq enfants, maître de conférences à l’Université Lyon-III (dite Jean-Moulin) est dénoncé dans le journal Le Monde du 28/29 janvier 1990, p. 9, par Edwy Plenel pour une étude publiée dans la revue Économies et Sociétés (Hors série n° 32, Presses Universitaires de Grenoble, revue publiée avec le concours du CNRS, août 1989 [achevé d’imprimer : décembre 1989], p. 117-133). L’étude est jugée raciste, antisémite et révisionniste par ce journaliste. Elle contient, en particulier, le passage suivant sur les chambres à gaz :

Le réel passe alors en jugement devant l’irréel. Le thème, historique, des chambres à gaz homicides, est très révélateur de ce procès. Les preuves proposées pour en démontrer l’existence évoluent au gré des circonstances et des époques mais s’extraient d’une boîte à malices comprenant trois tiroirs. Tout en bas : la visite des locaux (peu crédibles). Au milieu : l’affirmation des vainqueurs (elles ont existé). En haut : les on-dits (histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui…). Au total on en postule l’existence, et qu’importe la réalité de cette réalité.

On reconnaîtra là le fondement de toute tyrannie.

Dénoncent également cette étude le directeur de la revue, Gérard Destanne de Bernis, lequel déclare :

Mon avis est qu’il faut un verrou quelque part,

ainsi que le bureau de l’ISMEA (Institut des Sciences Mathématiques et Économiques Appliquées). Quant à M. Frédéric Poulon, professeur à l’université de Bordeaux-I et coordonnateur du numéro, il déclare :

C’est une affaire que je regrette profondément. Mais il y a une question grave de liberté d’expression. Je ne me désolidarise pas de Bernard Notin.

Une pétition, partie de lecteurs employés à la Banque de France, circule dans toutes les universités contre B. Notin. Antoine d’Antume, professeur d’économie à l’université Paris I, déplore qu’une revue scientifique se fasse l’écho de thèses qui ne sont absolument pas scientifiques. Olivier Favereau, professeur d’économie à l’université Paris X-Nanterre, déclare :

[…] les faurissonistes sont à la recherche d’une reconnaissance académique. Ils veulent accréditer l’idée que ce sont des thèmes dont les scientifiques débattent. Il est grave que cette publication ait eu lieu dans un cadre universitaire.

Frédéric Poulon est « mis à l’écart » et son séminaire suspendu. Le MRAP engage une action pénale en précisant que « cette décision a été prise à la demande de Gérard Destanne de Bernis, directeur de la revue et membre du mouvement ». Ce dernier demande aux bibliothèques de retirer du prêt aux lecteurs l’exemplaire litigieux d’Économies et Sociétés et d’en arracher l’article de B. Notin. Les Presses Universitaires de Grenoble vont imprimer un nouveau tirage de la revue sans l’article incriminé qui sera remplacé par une page d’explication sur le scandale.

De jeunes juifs envahissent le cours de B. Notin ; ils sont accompagnés de deux déportées et de personnalités juives de Lyon, dont le Dr Marc Aron qui déjà, en 1978/79, avait organisé des manifestations contre le professeur Faurisson. Des caméras filment la scène. B. Notin est séquestré, insulté. Il se tait.

Michel Noir, maire de Lyon, condamne le maître de conférences et déclare que, pour sa part, il ne peut rester insensible à l’idée d’une « spécialité lyonnaise » de la falsification de l’histoire : allusion à l’affaire Faurisson en 1978/79, à l’affaire Roques en 1985 (deux membres du jury de thèse étaient lyonnais : le Père P. Zind et Jean-Paul Allard) et à certains journaux et tracts d’étudiants, en 1987, à l’occasion du procès Barbie.

On découvre que B. Notin est membre du Conseil scientifique du Front National.

M. François Kourilsky, directeur général du CNRS , décide de supprimer la subvention du CNRS à la revue Économies et Sociétés.

Dans une lettre au Monde, Mme Madeleine Rebérioux, professeur d’histoire à l’université Paris VIII et vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, dénonce le poids accru de la Nouvelle Droite dans l’université.

B. Notin conserve son calme. Il proteste contre l’invasion de son cours. Il précise que, pour lui :

Il n’a jamais été question de nier les souffrances que les juifs et beaucoup d’autres ont subies du fait de la seconde guerre mondiale. Mais ni les événements du passé, ni les situations présentes ne sauraient échapper au débat et à la critique dans des revues faites pour cela.

L’Union des Étudiants Juifs de France demande « la radiation du corps enseignant » du maître de conférences.

Le bureau puis le conseil d’administration de l’université Lyon-III condamnent les prises de position révisionnistes de B. Notin. Le conseil de la faculté de droit où ce dernier est chargé de cours,

pleinement respectueux de la liberté d’expression inhérente à l’institution universitaire, n’en est que plus à l’aise pour condamner ses déviations qui conduisent au racisme et au révisionnisme et, en l’espèce, pour dénoncer avec force la teneur d’un article qui s’inspire de cette misérable idéologie.

Les cours de B. Notin sont supprimés par Laurent Boyer, doyen de la faculté de droit: la sanction financière s’élève ainsi, pour cet universitaire à salaire unique, à environ 30 000 F par an.

Pierre Vialle, président de l’université Lyon-III, fait savoir à B. Notin qu’il n’entend pas porter plainte contre les manifestants juifs. Il exprime, dans un communiqué, l’émotion et la consternation du bureau de l’université et sa « condamnation des thèses révisionnistes et du racisme ».

B. Notin prend la décision de renoncer au concours de l’agrégation en économie. Il est contraint de présenter sa démission du conseil scientifique de son université où il représentait l’IAE (Institut d’Administration des Entreprises). Cette démission était nécessaire pour que la ville de Lyon accepte à nouveau de faire siéger l’un de ses représentants au conseil d’administration de l’IAE. Le conseil municipal nomme à ce poste Maître Alain Jakubowicz, adjoint délégué au respect des droits de l’homme et l’un des avocats des parties civiles au procès Barbie en 1987.

Le rabbin de Lyon promet, discrètement, que, si B. Notin retire sa plainte pour séquestration, les juifs ne reviendront plus manifester. Ces derniers obtiennent du recteur le prêt du grand amphithéâtre commun à Lyon-II et Lyon-III pour une exposition de la Shoah. B. Notin reçoit l’appui moral de collègues à travers la France. Sur le plan financier, il est seul face au MRAP et aux frais considérables d’un procès qui exige deux avocats, l’un à Lyon et l’autre à Paris.

1er mai 1990