| |

Camps de la guerre de Sécession, de la guerre des Boers, de la dernière guerre mondiale : psychoses et réalités

Les camps de ces trois guerres ont connu bien des horreurs. Mais, à côté des horreurs vraies, il y a eu des horreurs de pure fiction inventées par la psychose qui est toujours prête à se développer dans des lieux d’enfermement (psychose obsidionale, psychose carcérale, etc.). Malgré la haine organisée qui s’est donnée libre cours à leur sujet, la situation dans laquelle on a trouvé ces différents camps dépendait, semble-t-il, largement de facteurs étrangers à la volonté et au comportement des gardiens.

Dans le cas de la guerre de Sécession on a beaucoup parlé des horreurs d’Andersonville, en Géorgie. Des Sudistes y tenaient prisonniers des soldats nordistes. Après une parodie de procès, le médecin principal du camp, le capitaine Henry Wirz (d’origine helvétique) fut pendu le 10 novembre 1865 dans la prison du vieux Capitole de Washington. Il fut en quelque sorte réhabilité par l’érection d’un monument à sa mémoire le 12 mai 1909 à Andersonville même.[1] On a écrit de nombreux livres sur « la tragédie d’Andersonville ». Pour un Français, le plus simple est de se reporter à : Yves-Marie Bercé, Le Chaudron et la lancetteCroyances populaires et médecine préventive (1798-1830).[2]

Ainsi qu’on pourra le constater, le rapprochement avec les horreurs de Bergen-Belsen (prétendu responsable : Dr Klein) et celles d’Auschwitz (prétendu responsable : Dr Wirths) s’impose de lui-même pour qui connaît le sujet de ces deux camps allemands.

Pour ce qui est de la vérité sur les camps des Boers, on en percevra quelques éléments dans : John Dickson Carr, La Vie de Sir Arthur Conan Doyle [3].

P.J. :

– Extrait du livre d’Yves-Marie Bercé.
– Extrait du livre de John Dickson Carr.
– Signalons l’article de Jacques Gandebeuf : « Les fantômes d’ Andersonville – Il y a cent quinze ans, un Suisse allemand émigré en Amérique inventait le camp d’extermination », Le Républicain Lorrain, 30 novembre 1980. Le journaliste croit à la culpabilité du Suisse allemand, de même qu’il croit à l’existence de camps d’extermination allemands. Il s’en prend aux «universitaires dévoyés» (qui osent écrire que les fours crématoires n’ont jamais existé). Le journaliste fait erreur: personne ne nie qu’il ait existé des fours crématoires dans les camps de concentration allemands; incinérer un cadavre n’est pas un crime surtout en temps de guerre et d’épidémies ; ce que les auteurs révisionnistes nient, c’est l’existence de chambres à gaz homicides ; il y a eu des camps de concentration dans de nombreux pays (et il en reste encore aujourd’hui), mais il n’y a pas eu de « camps d’extermination ».

N.B. : Pour qui connaît la langue anglaise, se reporter a Mark Weber, “The Civil War Concentration Camps”, The Journal of Historical Review, Summer 1981, p. 137-153, où l’auteur démontre la ressemblance entre les mensonges de la propagande de haine, qu’il s’agisse des camps de la guerre civile américaine ou des camps allemands de la seconde guerre mondiale.

 

– Extrait d’un livre d’Yves-Marie Bercé sur les horreurs d’un camp où les Sudistes avaient concentré des Nordistes

– Les horreurs d’Andersonville – 

Pendant le déroulement de la guerre de Sécession qui ensanglanta les États-Unis de 1861 à 1865, une puissante épidémie de variole traversa l’Amérique du Nord. Les armées opposées de l’Union (les vingt-trois États nordistes) et de la Confédération (les onze États sudistes) furent amenées à organiser des vaccinations massives parmi leurs soldats et aussi dans leurs camps de prisonniers. L’urgence des opérations et les circonstances dramatiques provoquèrent des erreurs et des imprudences de la part des praticiens, et des paniques chez les patients. Le nombre des complications après vaccin fut considérable, culminant dans le camp d’Andersonville, au point qu’on peut considérer ces collections d’accidents comme l’épisode le plus sinistre qu’aient connu les annales de la médecine préventive. Grâce aux enquêtes minutieuses menées après le retour de la paix, il est possible de suivre avec assez de précision le tour des événements.

Dès le début des hostilités et des mobilisations d’hommes, les médecins militaires avaient entrepris de vacciner les recrues. La variole était loin d’être éteinte. L’obligation vaccinale portée par les règlements militaires n’était appliquée qu’aux engagés. Une bonne part des populations rurales n’avait jamais été vaccinée. Effectivement, les recensements des régiments nordistes montrent que lors de ces opérations d’incorporation 34,7% des sujets développaient une réaction normale prouvant qu’ils n’étaient pas jusqu’alors immunisés, c’est-à-dire que 17,9% ne portaient pas de trace de vaccin antérieur, tandis que d’autres, 16,7%, avaient besoin d’une revaccination, leur immunité ayant disparu avec le temps. Durant les premiers mois, aucune défaillance technique ne dérangea l’entreprise. Dans l’année 1861, l’Eastern Dispensary de New York envoya aux régiments cinquante mille doses de vaccin frais.

Du côté sudiste, l’administration et la réglementation militaires [321] devaient être entièrement improvisées. C’est seulement à l’automne 1862, alors que les cas de variole se multipliaient du fait des concentrations et mouvements de troupes, que Preston Moore, chirurgien général des armées de la Confédération, donna une consigne de vaccination générale. La variole existait, semble-t-il, dans les théâtres d’opérations de l’année 1862 en Maryland et Virginie. Portée par les soldats, elle refluait vers le Sud et atteignait Richmond, la capitale des États du Sud, en octobre ; elle y frappait surtout les malades des hôpitaux et la population civile. Un an plus tard, on la rencontrait partout du Mississippi à l’Atlantique. Dans les seuls hôpitaux militaires de Virginie, pendant la durée de la guerre, on compte deux mille cinq cent treize cas, dont mille vingt décès soit, avec un taux de mortalité de 40,5%, une épidémie plutôt plus meurtrière que la moyenne (30 à 32% à l’hôpital St Pancras de Londres, sur cinquante ans). Au total, le nombre des cas pourrait avoir été très supérieur à dix mille ; si l’on tient compte de l’énorme rassemblement d’hommes, plus d’un million au Nord, plus de cinq cent mille au Sud, auxquels s’ajoutaient les déplacements de populations civiles dans les zones sudistes ravagées, il semble que la protection vaccinale ait été relativement efficace. Effectivement, on a estimé qu’à travers tous les États, dans la période la plus contagieuse, durant l’automne 1863 et l’hiver 1864, l’Amérique du Nord connut la plus intense campagne de vaccination qu’elle ait jamais subie jusqu’alors.

Dans les territoires confédérés, la production de vaccin frais s’avéra vite insuffisante. Le blocus maritime rigoureux imposé par la marine unioniste empêchait un approvisionnement en provenance d’Europe ; le transport de vaccin et de médicaments était assimilé à une contrebande de guerre. La protection de la population civile était plus difficile du fait de la ruralité de l’habitat et de sa dispersion en plantations.

En raison de ces contraintes passagères, les médecins sudistes avaient l’habitude de recueillir, de conserver et de réactiver des croûtes vacciniques. James Bolton, médecin de Richmond, accomplit ainsi une tournée d’un mois dans le cœur des comtés ruraux pour vacciner des petits enfants noirs et collecter leurs croûtes, qu’il distribuait ensuite aux médecins des régiments. Malgré tous les efforts de Moore, Bolton, Joseph Jones et Paul F. Eve, principaux responsables de la politique vaccinale de la Confédération, les fournitures de vaccin, liquide ou en croûtes, furent vite tragiquement inférieures aux besoins immenses de l’armée.

Lorsque des cas de variole survenaient dans une unité et qu’un baraquement d’hôpital était construit pour isoler les malades, le médecin régimentaire était aussitôt assailli de demandes de vaccin et l’affolement gagnait toute la troupe. Sans trop regarder à l’origine et aux intermédiaires, on employait alors la première souche venue. Sans attendre les opérations réglementaires, les hommes s’inoculaient les uns les autres. Ils se transmettaient un fluide incertain, prélevé et communiqué avec n’importe quelle pointe, aiguille ou canif ; l’incision la plus large et la plus forte inflammation étaient considérées comme les plus sûres. Dès janvier 1863, des médecins de Richmond s’alarmèrent des ulcérations de plaies vacciniques. Les cas se multiplièrent par la suite par centaines et par milliers, dans l’armée confédérée mais aussi dans les régiments nordistes et dans les unités engagées à l’Ouest en Tennessee et Missouri. La variole ne s’interrompit pas avec le retour de la paix, car l’arrivée dans les villes de foules d’anciens esclaves sortis des plantations apportait [322] à l’épidémie un nouveau contingent humain non immunisé. Les paniques de chasse au vaccin continuèrent donc en 1865 avec les mêmes accidents.

Les victimes de ces graves infections du site vaccinique avaient généralement des abcès plus ou moins étendus, douloureux et très longs à disparaître. L’opinion commune, tant celle des patients que celle des médecins, attribuait leur origine à des contaminations du vaccin par des intermédiaires syphilitiques. Le traitement prescrit, si l’on en avait par extraordinaire le temps et les moyens, était celui réservé aux porteurs de chancres vénériens, à base d’iodure de potassium. Sans doute, dans certains cas, il s’agissait bel et bien de syphilis vaccinale, mais dans beaucoup d’autres, les médecins affirmaient ne rencontrer par après aucun symptôme de syphilis secondaire. Même, il avait été plusieurs fois remarqué qu’après les habituelles paniques de vaccinations sauvages et la multiplication des abcès au bras, la variole survenant frapperait aussi bien les prétendus vaccinés que les autres. Bref, le fluide inoculé n’avait depuis longtemps plus rien à faire avec le vaccin et n’avait pas la moindre vertu immunitaire. Ce qu’on transmettait de bras à bras n’était qu’une infection purulente, avec sa nocivité spécifique.

Dans les camps de prisonniers, les mêmes événements survenaient, mais y prenaient un tour plus dramatique. De chaque côté, le style de la guerre avait provoqué un grand nombre de captures. La diversification des théâtres, les caprices des lignes de front, l’importance de la cavalerie et la pratique des raids sur les arrières multipliaient les occasions d’amasser des prisonniers. Dans le pré carré du Sud, sans cesse réduit et parcouru à partir de la sanglante offensive fédérale du printemps 1864, la masse de plus de cinquante mille prisonniers nordistes représentait une charge insupportable, alors que la Confédération avait peine à nourrir ses propres troupes et ses grandes villes. Elle avait cru trouver une solution en installant à Andersonville, au cœur de la Géorgie, loin des raids nordistes, un camp de tentes et de palissades. L’enclos avait vingt-six acres (10,4 ha) et devait recevoir dix mille prisonniers. De février 1864 à avril 1865, en treize mois le camp vit défiler quarante ou cinquante mille hommes. II y en aurait eu au maximum, en août 1864, près de trente-trois mille à la fois. La mortalité y fut effrayante, évaluée, selon les textes, de neuf mille quatre cents à treize mille sept cents, soit de 23 à 27%. L’hôpital consistait en groupes de tentes de quatre à huit personnes sur une langue de terre entre deux marécages empuantis par les déjections du camp. L’hôpital contint parfois jusqu’à deux mille hommes littéralement entassés, ne disposant que de quelques centaines de lits de camp et de couvertures. Les hommes étaient accablés de faim, de soif, de chaleur et de myriades de mouches. Pendant l’été 1864, il fallait enlever chaque jour une centaine de cadavres.

La variole était apparue à Andersonville dès l’arrivée des premiers captifs, transportés des prisons de Richmond. Il y eut au printemps cent dix-neuf cas de variole ou varioloïde dont soixante-huit morts (57,1%). Les quelque quinze médecins du camp, praticiens locaux tirés des milices des proches comtés, vaccinèrent en dix jours deux à trois mille hommes et arrêtèrent la contagion En fait, les milliers de morts du printemps et de l’été moururent avant tout de dysenterie et de scorbut. Les rations alimentaires étaient théoriquement les mêmes que pour les soldats sudistes, à base de viande salée, riz et pain. Une relative liberté dans l’enceinte entraînait [323] des trafics et des rançonnements où succombaient les plus pauvres et les plus faibles. En outre, le pain complet de maïs, auquel les nordistes n’étaient pas accoutumés, provoquait des troubles intestinaux. Surtout, l’absence de légumes et de fruits condamnait les hommes au scorbut, aussi sûrement que des matelots embarqués dans une interminable traversée. Dans le délabrement scorbutique, la moindre blessure, griffure, écorchure, piqûre d’insecte s’envenimait et se gangrenait. Presque toutes les interventions chirurgicales se terminaient par la gangrène et la mort.

Dans ces conditions affreuses, beaucoup de sujets vaccinés furent victimes de phlegmons développés après l’inoculation, nécrosant tout le bras, obligeant à l’amputation, qui ne retardait la mort que d’un jour ou deux. Comme dans tout milieu obsidional, les rumeurs les plus folles et les nouvelles les plus angoissantes trouvaient crédit. Le bruit se répandait que les gardes du camp et les médecins avaient trouvé ce moyen pour exterminer les prisonniers et que le vaccin était empoisonné.

Lorsque, après la capitulation du général Lee au nom de la Confédération, le 9 avril 1865, la guerre civile prit fin, les troupes sudistes furent simplement désarmées et dispersées. Les autorités fédérales voulurent donner à l’opinion des éléments de vengeance et d’humiliation du Sud rebelle. L’horreur d’Andersonville offrait la meilleure opportunité pour un procès expiatoire. Le directeur du camp, le capitaine Henry Wirz, un officier obscur, d’origine suisse, fut arrêté et présenté à un tribunal militaire pour crimes contre les lois de la guerre. Parmi les charges, le procureur avait effectivement retenu la conspiration pour empoisonner les prisonniers au moyen d’un vaccin.

Beaucoup d’officiers nordistes étaient persuadés de l’intention meurtrière des Confédérés. Le major général Wilson, qui pénétra en Alabama et en Géorgie au début de 1865, affirmait avoir trouvé des campagnes bien éloignées de la famine et prétendait que des approvisionnements auraient pu être dirigés vers les camps. Les mémoires et témoignages, publiés aussitôt après l’événement en 1865 et 1866, accusaient les « rebelles » d’outrages à l’humanité et à la civilisation chrétienne. Un certain Atwater, ancien prisonnier d’Andersonville, employé aux écritures, croyait à un plan d’extermination, ou d’exténuation des prisonniers pour les empêcher de reprendre du service. On aurait entendu le général Winder, responsable des camps, se flatter « de tuer plus de Yankees que vingt régiments de l’armée de Lee ». Il aurait envisagé le marasme des prisonniers comme un moyen commode de désencombrer les camps et de réduire leur charge.

L’enquête fit témoigner des dizaines de survivants d’Andersonville. Les prisonniers employés comme fossoyeurs auraient entendu le capitaine Wirz s’exclamer ironiquement : « God damn them, nous leur donnons la terre qu’ils voulaient conquérir. » Un autre, affecté au service des médecins du camp, prétendait qu’en plaisantant après boire ils comptaient le nombre de « Yankees empoisonnés » dans la journée.

Grâce aux multiples interrogatoires, l’épisode de la vaccination et des accidents consécutifs peut être reconstitué. Elle fut effectuée en 1864 en dix jours sur les hommes qui déclaraient volontairement n’avoir pas été vaccinés. Deux prisonniers infirmiers inspectaient chaque jour les tentes pour reconnaître les varioleux, mais aucun examen n’avait porté sur le vaccin. Des sergents de la garde se contentaient [324] d’appeler les candidats au portail sud où on les faisait ranger en file et remonter leur manche de chemise pour les inoculer. Très vite, on s’aperçut que la scarification vaccinale, loin de se cicatriser, se transformait souvent en plaie infectée. On observait un abcès en développement, recouvert d’une large croûte noire et suppurant, s’étendant sur le haut du bras, nécrosant les tissus en profondeur. Les médecins appliquaient du nitrate d’argent pour tenter d’arrêter la gangrène, puis se résignaient à l’amputation. II y aurait eu, sur deux à trois mille vaccinés, plusieurs centaines d’ulcérations graves (10 à 15 %) ; on aurait compté au moins deux cent huit morts et une centaine d’amputés ayant survécu à l’opération. La nouvelle avait fait le tour du camp et les vaccinés des derniers jours s’empressaient de courir au ruisseau et de laver leur vaccin à l’eau et au savon.

Les témoins cités par la défense établirent la liberté entière des prisonniers de se présenter ou non au lieu de vaccination. Le docteur Bates, médecin militaire sudiste, appelé à visiter le camp en septembre 1864, déclarait qu’en dépit des dangers d’infection du vaccin, le péril variolique dans un camp surpeuplé justifiait l’opération, même si on n’avait dû sauver par ce moyen qu’un homme sur dix ou sur cent.

Le réquisitoire retint pourtant l’entreprise de vaccination de masse comme médicalement inutile et délibérément criminelle. Le capitaine Henry Wirz fut pendu le 10 novembre 1865 dans la prison du vieux Capitole de Washington.[4]

En fait, l’idée d’une conspiration des Confédérés pour anéantir leurs prisonniers relevait, bien sûr, de la psychose. La meilleure réfutation tient dans les récits lamentables exactement symétriques décrivant la survie dans les camps où étaient regroupés les prisonniers « rebelles », les « gris ». Le dépôt de Rock Island dans le Nord de l’lllinois enfermait douze mille hommes. La variole avait pénétré dans le camp et devait y faire deux cent quatre-vingt-dix-huit morts. Une inoculation générale fut alors exécutée en urgence. Les cas d’ulcérations apparurent immédiatement, avec leurs séquelles extrêmes de gangrène et d’amputations. Les prisonniers étaient tellement terrifiés par les dangers du vaccin qu’il fallait les conduire et les opérer de force. On compta mille cinq cent quatre-vingts exemples d’ulcérations graves (13,1 %). En mars 1865, après plusieurs mois d’accidents, alors que les cas de variole diminuaient, les médecins du camp renoncèrent aux vaccinations et s’en tinrent à un très strict isolement des varioleux. Dans le camp d’Elmira, dans l’État de New York, enfermant neuf mille hommes, on rencontre les mêmes circonstances. Les vaccins distribués massivement à l’automne 1864 entraînaient inflammations, abcès et parfois amputation. Partout, le surpeuplement, la malnutrition et les mauvais traitements débilitaient les prisonniers. Partout, les hommes souffraient de scorbut. L’origine scorbutique des accidents vacciniques était mise en évidence à Rock Island par le docteur John H. Grove, chirurgien du camp. II a employé les mêmes croûtes vacciniques pour inoculer les prisonniers sudistes et les soldats de la garnison ; chez les prisonniers l’ulcération était presque générale, alors qu’aucun accident n’apparaissait sur les soldats. Pour ultime preuve de l’inanité de la conspiration des vaccinateurs sudistes, on peut noter encore le nombre des morts de prisonniers [325] dans les deux camps : vingt-cinq mille neuf cent soixante-seize sudistes moururent dans les camps fédéraux, et trente mille deux cent dix-huit nordistes dans les camps du Sud. Les horreurs d’Andersonville étaient avant tout attribuables à l’effondrement effroyable de l’économie et de la société sudistes à compter du printemps 1864.

Des commissions médicales militaires étudièrent rétrospectivement les faits. Des conclusions méthodiques furent déduites. On remarqua notamment l’absence du typhus à Andersonville, comme dans toutes les autres prisons militaires. Que, malgré l’entassement des hommes, leur saleté, leur sous-alimentation, et leur désespoir – toutes circonstances qui entouraient les épidémies de typhus décrites par les classiques –, cette fièvre n’ait pas sévi, permettait aux rapporteurs d’opiner que le typhus ne naissait pas spontanément de la putréfaction animale et que son origine dépendait de la présence d’un poison spécifique.

On tint pour assuré que le scorbut était responsable, plus ou moins directement, des neuf dixièmes de morts de prisonniers. Aucun médicament, opium ou autre drogue, ne sauvait ces malheureux, alors que, en contraste, les prisonniers sur parole, autorisés à aller et venir hors des camps, profitant de lait et de légumes frais, restaient en parfaite santé.

L’expérience de la guerre, concluait-on, portait sur plus de deux millions de soldats. Elle enseignait que les recrues devaient être vaccinées obligatoirement immédiatement après leur incorporation. Elle démontrait surtout l’existence de graves contre-indications comme le scorbut. II aurait fallu refuser les propagations de bras à bras et n’employer que des souches fraîches et sûres. La guerre de Sécession avait donné des exemples très nombreux et documentés d’accidents après vaccin, soit par les vaccinations sauvages effectuées par les soldats sur eux-mêmes, soit par les vaccinations de scorbutiques dans les camps de prisonniers. Elle avait ainsi constitué un terrible et spectaculaire laboratoire des techniques, des précautions nécessaires et des dangers menaçant la pratique de la médecine immunitaire.

Bibliographie 

– Raker, Raymond F., Andersonville. The Story of a Civil War Prison Camp, Washington 1972. 
– Chipman, général N.P., The Tragedy of Andersonville, San Francisco 1911. 
– Futch, Ovid L., History of Andersonville Prison, Univ. of Florida Press, Gainesville 1968.
– Jones, Joseph, Researches upon Spurious vaccination in the confederate Army, Nashville 1867 (exemplaire à l’Acad. de médecine, Paris).
– Mc Elroy, John, This was Andersonville, New York 1879, éd. révisée, 1957.
– Stevenson, Randolph, The Southern side, or Andersonville Prison, Baltimore 1876 (R. S. était chirurgien-chef de l’hôpital d’Andersonville).
– The Trial of Henry Wirz, Executive Document n° 23, House of Representatives, 40th Congress, Washington 1865.  
– Sanitary Memoirs of the War of the Rebellion, U.S. Sanitary Commission, New York 1867 (Rapports des docteurs Elisha Harris, Austin Flint, etc.).

 

Je dois des remerciements très vifs au prof. Steven L. Kaplan, de l’université Cornell, à l’amitié duquel je dois la plus grande partie de cette documentation.

 

==========

– Extraits du livre de John Dickson Carr sur les horreurs des camps où les Anglais avaient concentré des femmes et des enfants boers

Chapitre XIII

Dilemme : comment un champion refusa d’être fait chevalier, et ce qu’il en advint

[256] « Tenez-vous en aux faits et ne mentez pas ! Écrire des petits romans de quatre sous est davantage dans votre ligne. »

« Pour l’amour de Dieu, cessez de défendre l’assassinat de 12.000 bébés dans les camps ! La vérité est plus chère que l’argent. »

« Vous me rappelez le gentleman dont Sheridan disait qu’il tirait les faits de son imagination et les chimères de sa mémoire. »

Voilà trois des cartes postales qu’il reçut, parmi les centaines de lettres qu’il décachetait chaque jour après la parution de The War in South Africa: its cause and conduct. (La guerre en Afrique du Sud: ce qui la provoqua, comment elle fut conduite) vers le milieu de 1902. Mais ce genre de commentaires généralement anonymes comptait à peine pour le centième de 1% du flot d’un courrier dont le leit-motiv était : « Dieu merci, voici enfin quelqu’un qui dit un mot pour nous ! »

L’éditeur de The War in South Africa: its Cause and Conductau prix de sixpence, vendit trois cent mille exemplaires en six semaines. Cinquante mille autres partirent pour les États-Unis et le Canada. Mais le plus urgent était de le [257] traduire en langues étrangères. Les lecteurs qui écrivaient pour témoigner leur gratitude envoyaient des dons pour les traductions, depuis le «loyal Anglais» qui annonça une offrande de cinq cents livres jusqu’à des mandats-postes d’une demi-couronne ou d’un shilling.

A propos du « loyal Anglais », nous trouvons une lettre du directeur de la succursale d’Oxford Street de la Capital and Counties Bank. (Oui, la Capital and Counties Bank – Banque de la capitale et des comtés – existait réellement ; elle n’a pas été inventée, comme certains l’ont cru, pour les besoins de Sherlock Holmes : c’était la propre banque de Conan Doyle.)

« Je vous informe, écrivait le directeur, que la somme de cinq cents livres en coupures a été encaissée hier ; elle a été versée par un inconnu qui n’a pas voulu dire son nom au compte du Fonds pour le Livre de Guerre. »

Cet incident a de quoi émoustiller l’imagination. On songe à un personnage masqué, mystérieux, un doigt sur les lèvres, se glissant hors d’un fiacre dans le brouillard et ne retirant son masque que devant le directeur de la banque. De quoi ravir le Robert Louis Stevenson des New Arabian Nights (Nouvelles nuits d’Arabie) ! En fait, ce fut le moyen qu’employa le Foreign Office pour représenter le roi Édouard VII. Les seules autres contributions élevées qu’on relève sur les longues listes de Smith et Elder émanèrent de Lord Rosebery et de A. H. Harman, avec cinquante livres chacun ; plus, un certain A. Conan Doyle qui arriva à égalité avec eux : cinquante livres lui aussi. Mais, par petites ou grosses sommes, le fonds prit de l’ampleur.

Car The War in South Africa: its cause and conduct n’était pas un livre qui essayait de blanchir le camp de l’auteur. Là résidait l’effet de surprise. A peine peut-on le qualifier de pamphlet, ce que firent pourtant les lecteurs et l’auteur : il est long de soixante mille mots. Lorsqu’un fait était susceptible de provoquer des commentaires hostiles, l’auteur le signalait. Tout en approuvant la nécessité de [258] la politique militaire de la terre brûlée, il insistait énergiquement pour que toutes les fermes qui avaient été incendiées au nom de cette politique fussent reconstruites et des indemnités de compensation versées à l’ennemi.

Mais les accusations de brutalités, de pillages, de rapts et de viols étaient de plats mensonges qu’il ne s’attarda guère à discuter. Au lieu d’argumenter, il consacra de nombreuses pages à citer des témoignages de première main, parmi lesquels des bourgeois boers, des femmes boers, des officiers boers, des juges boers, des pasteurs boers, l’attaché militaire américain, l’attaché militaire français, le général autrichien Hubner et le chef de l’Église Réformée hollandaise à Pretoria.

« Qui devons-nous croire ? demanda-t-il. L’ennemi sur place ou les journalistes de Londres? »

A propos des camps de concentration, quels étaient les faits ? Les autorités anglaises, ayant décidé de rassembler les femmes et les enfants parce qu’il n’y avait rien d’autre à en faire, devaient les nourrir et prendre soin d’eux. Ces femmes et ces enfants étaient-ils enfermés pour être mis à la torture ?

« J’ai l’honneur, écrivait Lord Kitchener en réplique à une fanatique protestation de Schalk Burger, de vous informer que toutes les femmes et tous les enfants qui se trouvent actuellement dans nos camps et qui désirent les quitter seront remis aux bons soins de Votre Honneur, et je serai heureux d’être informé de l’endroit où vous souhaitez que nous vous les remettions. »

L’offre ne fut pas acceptée. Les commandos boers ne tenaient nullement à recevoir les femmes et les enfants ; ils étaient bien heureux d’être déchargés de cette responsabilité. Les « rations de famine » dans les camps (chiffres cités par les pro-Boers, pas par les Anglais) consistaient en un approvisionnement quotidien pour chaque personne d’une demi-livre de viande, de trois quarts de livre de farine, d’une demi-livre de pommes de terre, de deux onces de sucre, de deux onces de café ; [259] pour tous les enfants âgés de moins de six ans, un quart de litre de lait.

De nouveau l’auteur fit défiler ses témoins. Personne ne pouvait nier la terrifiante généralisation des maladies, ni le taux élevé de la mortalité infantile. Mais ces maladies n’étaient ni le typhus, ni la diphtérie, qu’auraient provoqués des conditions de vie malsaines : c’était la rougeole, la varicelle, la coqueluche. Les mères s’accrochaient en hurlant à leurs enfants et se refusaient à s’en séparer quand les médecins ou les infirmières essayaient de leur faire entendre raison. Pour une douzaine d’exemples, le même témoignage revenait :

« Beaucoup de femmes ne voulaient pas ouvrir leurs tentes afin de laisser passer de l’air frais, et, au lieu de donner les médicaments fournis par l’armée, elles préféraient administrer leurs remèdes de bonne femme. Les mères ne voulaient pas lotionner leurs enfants… La cause du fort pourcentage des décès est due au fait que les femmes laissaient sortir leurs enfants dès que l’éruption de la rougeole diminuait. Elles s’obstinaient à donner aux enfants de la viande et d’autres aliments indigestes, même quand nous le leur défendions. » Ce que les bruyants du type Stead oubliaient de dire, c’est que les réfugiés anglais de Johannesburg avaient vécu depuis le début de la guerre dans des camps exactement semblables.

Sur d’autres accusations Conan Doyle continua à faire le point : son accumulation méticuleuse de faits contrastait singulièrement avec la colère qu’il ressentait dans son for intérieur. Vingt mille traductions de The War furent dispersées à travers l’Allemagne. Vingt mille furent expédiées en France. Le livre fut lu en Hollande, en Russie, en Hongrie, en Suède, au Portugal, en Italie, en Espagne, en Roumanie. En Angleterre même, une édition spéciale de dix mille exemplaires fut traduite en gallois. Pour l’édition norvégienne, une partie du livre fut diffusée pour les éditeurs par héliographe de pic en pic.

31 décembre 1985

______________

[1] “Wirz Monument Unveiled Today”, The Constitution, Atlanta, 12 mai 1909 ; voy. aussi 13 mai 1909.
[2] Y.-M. Bercé, Le Chaudron et la lancette. Croyances populaires et médecine préventive (1798-1830), Presses de la Renaissance, Paris 1984, Annexe 4, p. 320-325.
[3] J. D. Carr, La Vie de Sir Arthur Conan Doyle, Robert Laffont, Paris 1958, p. 256-259.
[4] Heinrich-Hartmann Wirz (1823-1865) était issu d’une bonne famille zurichoise de négociants et pasteurs. Un monument de réparation à sa mémoire fut dressé à Andersonville le 12 mai 1909.