Au sujet du témoignage Rogerie – Lettre à Max Clos responsable de la rubrique “Opinions” du Figaro
Dans Le Figaro de ce jour, André Rogerie a signé un étrange témoignage. Il n’a pas le droit d’écrire : « J’ai assisté à la Shoah à Birkenau », ni d’écrire que les juifs non gazés « savaient aussitôt que la famille qu’ils venaient de quitter avait été gazée». Dans Vivre, c’est vaincre, écrit en 1945, imprimé, paraît-il, en 1946, et réédité en 1988 par Hérault-éditions (Maulévrier, Maine-et-Loire), Rogerie dit seulement qu’il a entendu parler de chambres à gaz.[1] La description extrêmement succincte qu’il en donne, ainsi d’ailleurs que des fours[2], est contraire à la version aujourd’hui en vigueur à propos de Birkenau : gaz arrivant par les pommes de douches (!) et fours électriques (!). Les photos aériennes prises par l’aviation alliée durant l’été 1944 – quand Rogerie se trouvait à Birkenau – prouvent que les cheminées des crématoires n’avaient pas de cette « fumée, noire et épaisse » montant tous les jours « par l’énorme cheminée ». Ce qui semble vrai, en revanche, c’est que notre homme bénéficiait, dans ce camp même d’Auschwitz-Birkenau, d’un sort privilégié. Il était installé au bloc des « caïds »[3], bénéficiant d’une «planque royale» dont il garde de « bons souvenirs »[4]. Il y mangeait des crêpes à la confiture et y jouait au bridge.[5] Certes, « il ne se pass[ait] pas que des événements gais »[6] mais, au moment de quitter Birkenau, il a eu cette pensée : « À l’encontre de bien d’autres, j’y ai été moins malheureux que partout ailleurs »[7] .
15 mai 1996
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[1] A. Rogerie, Vivre, c’est vaincre, Hérault-éditions, Maulévrier 1988, p. 70, 85.
[2] Id., p. 75.
[3] Id., p. 82.
[4] Id., p. 83.
[5] Id., p. 84.
[6] Id., p. 84.
[7] Id., p. 87.