Libération, Le Monde et Le Nouvel Observateur sur Les Crématoires d’Auschwitz de Jean-Claude Pressac
Le 23 septembre j’ai rendu compte du dossier consacré par L’Express au livre du pharmacien Jean-Claude Pressac, Les Crématoires d’Auschwitz. La Machinerie du meurtre de masse, CNRS éditions, 1993.
Je passerai ici en revue ce que Libération, Le Monde et Le Nouvel Observateur ont publié sur le même sujet. Je ne reviendrai pas sur les points déjà traités dans mon compte rendu du 23 septembre. Prochainement, je produirai une recension du livre même de Pressac.
– Libération[1]
L’article de Libération n’apporte guère d’éléments nouveaux par rapport au dossier de L’Express. J.-C. Pressac s’y présente comme un ancien « proche de Faurisson », un disciple repenti. Il déclare:
La thèse de Robert Faurisson […] s’appuyait sur une assez bonne connaissance des invraisemblances techniques du processus d’extermination [à Auschwitz] tel que les historiens l’expliquaient […]. J’ai été un proche de Faurisson qui m’a assez bien formé à la critique négationniste à la fin des années soixante-dix […]. Il faut savoir que Faurisson en savait beaucoup. Il disposait de plans et de photos qu’on n’avait jamais vus.
– Le Monde[2]
L’article du Monde est surprenant. Il est signé de Laurent Greilsamer, lequel, en son jargon, se félicite de ce que J.-C. Pressac « récus[e] une certaine idée de l’histoire qui voudrait que seule la mémoire soit noble». J.-C. Pressac confie au journaliste comment il en est venu à douter des témoignages, puis à les écarter : «Personne ne pouvait m’expliquer les contradictions des témoignages auxquelles je me heurtais». Aussi a-t-il, en conséquence, « délibérément tourné le dos aux témoignages des survivants pour s’intéresser aux ruines des crématoires et aux documents préservés de la destruction ». « Le drame », ajoute-t-il, « c’est que l’histoire de l’extermination ne reposait que sur des témoignages. Or beaucoup ne tiennent pas ». Il ne croit guère à la thèse du « langage codé » : « Il n’y a jamais eu camouflage, contrairement à ce que l’on dit » chez les SS constructeurs des crématoires et des chambres à gaz. Il évalue « à 800.000 le nombre des morts dans [le camp d’Auschwitz] alors que les chiffres les plus couramment cités étaient de plusieurs millions ». Il estime qu’« en France, la loi Gayssot interdit de s’exprimer librement ». Il révise « ce que la communauté des historiens croyait acquis ». Il dénonce la «couardise universitaire» et les chercheurs qui « se sont tus pour conserver leurs précieux fauteuils ».
L. Greilsamer a la prudence de ne pas faire état du document sur les détecteurs de gaz.
– Le Nouvel Observateur[3]
L’enquête du Nouvel Observateur est encore plus surprenante. Elle est de Claude Weill. En plus d’une interview de J.-C. Pressac, elle comprend des interviews de Pierre Vidal-Naquet, Raul Hilberg et Claude Lanzmann. J’y suis nommé plus de vingt fois mais la parole ne m’est pas accordée une seule fois bien que je paraisse dans cette enquête en posture d’accusé et même de faussaire.
J.-C. Pressac dénonce en Faurisson «une intelligence brillante, mais perverse, diabolique».
À la question : « Pensez-vous que dorénavant les révisionnistes seront réduits au silence? » P. Vidal-Naquet répond : « J’en doute. Les révisionnistes sont réfractaires à tout argument. Le seul révisionniste que Pressac ait convaincu, c’est lui-même ».
Pour R. Hilberg, le livre de Pressac semble soulever plus de questions « cruciales » qu’il n’apporte de réponses.
De son côté, à la question : « Quelle importance accordez-vous à la parution du livre de Jean-Claude Pressac ? » C. Lanzmann répond :
C’est une pierre supplémentaire qui vient s’ajouter à l’immense édifice du savoir déjà accumulé sur la solution finale. Rien de plus, rien de moins. Cela seulement. Présenter ce livre comme l’ont fait le journal de TF 1 et certains autres médias relève de la désinformation. Si l’on excepte le document de la firme Topf und Söhne sur les détecteurs de gaz, il n’y a rien dans l’immense article de L’Express qui ne soit archiconnu.
C. Lanzmann emploie à six reprises, et avec raison, le mot d’« archiconnu ». (En ce qui concerne les détecteurs de gaz (Gasprüfer), il semble ignorer que ces instruments étaient d’un usage courant dans les opérations de désinfestation.) Il dénonce chez Pressac un homme hanté par Faurisson et Faurisson seul :
Faurisson est le seul interlocuteur qui compte aux yeux de ce converti. Il doit, pour être entendu de lui, parler son langage, faire sienne sa démarche, épouser sa problématique, exhiber la preuve cruciale, l’ultima ratio qui convaincra son ancien maître. D’où l’importance démesurée attachée au document (qui ne sera en aucun cas, on peut en être sûr, le mot de la fin pour Faurisson) sur les détecteurs de gaz. Même pour les réfuter, on légitime ainsi les arguments des révisionnistes, qui deviennent ce par rapport a quoi, à qui, tous se situent. Les révisionnistes occupent tout le terrain.
C. Lanzmann annonce la parution en novembre dans sa revue Les Temps modernes d’un « article fulgurant » montrant que l’extension du révisionnisme a pris les proportions d’une « catastrophe ».
Il juge « scandaleuses » les interviews où J.-C. Pressac frappe de suspicion ou de nullité les témoignages sur les chambres à gaz homicides.
Il vise, en particulier, l’article susmentionné de L. Greilsamer dans Le Monde.
Il considère que la publicité faite à l’ouvrage du pharmacien est «une faute morale». S’en prenant, sans le nommer, à P. Vidal-Naquet, il déclare :
Le triste est qu’un historien, menacé sans doute dans son statut ontologique par la véracité, la force, l’évidence des témoignages [rapportés par C. Lanzmann lui-même dans son film Shoah] n’hésite pas à cautionner cette perversité. Un historien abdique devant un pharmacien, qui par ailleurs «révise» à la baisse, selon des calculs bien à lui, le nombre des victimes. Qu’on y prenne garde, on dira peut-être dans vingt ou cinquante ans : « Bien sûr, les chambres à gaz ont existé, mais on n’y a jamais gazé que des poux ou des menteurs ». Ce sera l’ultime avatar du révisionnisme.
Conclusion
Ces articles de Libération, du Monde et du Nouvel Observateur confirment l’impression donnée par le faux scoop de L’Express. On songe ici aux communiqués de victoire des armées en retraite. Les déclarations fracassantes, les coups de cymbales et le son du clairon ne parviennent pas à dissimuler l’ampleur du désastre. En 1943, après leur capitulation à Stalingrad, les Allemands n’avaient plus eu pour unique ressource que de vanter, sur le mode héroïque, les mérites de la « défense élastique ». On s’y croirait. C. Lanzmann, lui, est le seul à ne pas tenter de donner le change. Il voit poindre à l’horizon la victoire des révisionnistes et la capitulation des exterminationnistes. Ses affres ont leur raison. Voilà quinze ans, je prenais publiquement l’initiative – c’était la première fois au monde – de placer « le problème des chambres à gaz » sur le plan scientifique et matériel. Mon audace avait longtemps paru sacrilège. Aujourd’hui, les adversaires des révisionnistes se voient contraints d’avancer sur le terrain où j’espérais les voir s’engager. Et C. Lanzmann redoute que ne se lève cette fois-ci, pour son camp, le vent de la défaite.
30 septembre 1993
________________
[1] « Des documents ignorés sur la Shoah. Le devis d’Auschwitz », Libération, 24 septembre 1993.
[2] L. Greilsamer, « Un chercheur amateur révèle la machinerie des crématoires d’Auschwitz. Les plans de la mort », Le Monde, 26-27 septembre 1993.
[3] C. Weill, « Auschwitz : enquête sur la mécanique de l’horreur », Le Nouvel Observateur, 6 octobre 1993.